Et si on écrivait pour lire ? Et si on s’écrivait pour mieux apprendre ? C’est sans doute une double leçon à retenir d’une expérience menée par Aurélie Palud au lycée Gabriel Touchard au Mans : deux classes de seconde, de niveau différent, ont échangé des lettres « à la manière du XVIIème siècle », autour de Versailles d’une part, de La Fontaine d’autre part. Le dispositif, original, amène les élèves à construire des savoirs en les partageant, « le travail des uns favorisant l’apprentissage des autres », tant « la parole du pair pourrait bien avoir plus d’impact que la parole du professeur. » Aurélie Palud éclaire ici les enjeux et les modalités du jeu de rôles, et de manière plus générale les intérêts de l’écriture créative qu’elle expérimente jusque dans l’université.
En quoi a consisté le projet ?
Dans le cadre d’une séquence sur le livre I des « Fables » de La Fontaine, deux classes de seconde ont échangé des lettres « à la manière du XVIIe siècle ». L’une des deux classes (la seconde 513) est une classe semi-européenne qui présente un très bon niveau, l’autre (la seconde 509) est plus faible. Ces derniers devaient exprimer leur admiration face au faste du château de Versailles et au pouvoir du Roi. Les autres ont recommandé à leur correspondant la lecture d’un fabuliste contemporain, un certain Jean de la Fontaine.
Dans quel contexte et avec quels objectifs avez-vous mené ce travail ?
Le projet s’inscrit dans le cadre d’une séquence sur une œuvre intégrale : Les Fables de La Fontaine (Livre I) en lien avec l’objet d’étude en seconde « Genres et formes de l’argumentation : XVII- XVIIIe siècles ». Il s’agit d’interroger les liens entre parole et pouvoir au XVIIe siècle dans l’optique suivante : « Versailles : une réalité, deux récits ».
Un projet de correspondance similaire avait été mené il y a quelques années avec des élèves de 4ème. Partant du constat que les lettres écrites restaient toujours « virtuelles », j’avais décidé de donner du sens à l’apprentissage des codes de la lettre et à l’analyse de la situation d’énonciation. Il s’agissait également de travailler le lexique de façon plus ludique.
Là encore, la correspondance épistolaire est au service d’un travail sur le lexique (lexique de l’admiration, du luxe, de la grandeur, de la méfiance, du mensonge et de l’hypocrisie), mais il s’agit en outre de réfléchir à l’usage de la parole et à la notion de pouvoir dans Les Fables. Plus encore, le projet vise à faire en sorte que deux classes de niveau différent partagent des savoirs, échangent leurs compétences, et parviennent in fine à une maîtrise similaire de l’œuvre de La Fontaine. En somme, une forme de « pédagogie différenciée » à l’échelle de deux classes.
Nous faisons le pari que la perspective d’être lu par un pair (anonyme de surcroît) doit susciter la motivation de l’élève et l’inciter à prendre au sérieux ses recherches, à travailler son style, à peaufiner son travail. A rebours, la réception d’une lettre contenant des savoirs pourrait être un support favorisant l’apprentissage en raison de son caractère inhabituel mais aussi de sa valeur « affective » qui invite à la relecture.
Les élèves de la première classe ont été amenés à rédiger des lettres faisant l’éloge de Versailles : avec quelles consignes précisément ? quelles modalités de travail avez-vous mises en place pour que le contenu soit pertinent et que le style soit crédible ?
La première lettre est écrite par la classe de 509. Les élèves savent qu’ils vont échanger des lettres avec un élève d’une autre classe. Ils tirent au sort un papier sur lequel est seulement indiqué « vous allez correspondre avec une fille » ou « vous allez correspondre avec un garçon » (il faut évidemment prendre en compte le nombre de filles et de garçons dans l’autre classe). L’identité du destinataire ne sera dévoilée qu’à la fin de la séquence.
Après des recherches sur le château de Versailles et la Fontaine de Latone, chaque élève se met dans la peau d’un aristocrate du XVIIe siècle qui a été convié à Versailles. La lettre doit intégrer des éléments précis sur l’architecture du château, les jardins et l’influence de l’Antiquité. L’auteur de cette lettre doit exprimer son admiration face au faste du château et au pouvoir du Roi.
Tout est fait pour que les élèves se mettent dans la peau d’un aristocrate de l’époque : ils se choisissent un titre de noblesse et un pseudonyme, ils définissent le rang social du destinataire et ils doivent opter pour une police d’écriture susceptible d’évoquer le XVIIe siècle (Viner Hand ITC, Vladimir Script par exemple). Pendant la rédaction de cette lettre, un élève a demandé la permission d’intégrer des photos du Château de Versailles. Néanmoins, un de ses camarades a immédiatement souligné que ce serait anachronique, la photographie n’ayant été inventée qu’au XIXe siècle. Afin de favoriser l’immersion, j’ai jugé cette objection pertinente et je n’ai donc pas autorisé l’insertion de photos dans les lettres (des photos du château ont toutefois été analysées par la suite, pendant une séance d’Histoire des Arts sur le classicisme).
Afin que le travail soit de qualité, une sitographie permet aux élèves d’accéder efficacement aux informations choisies. Ils sont également orientés vers le site « Lexilogos » qui facilitera le choix de synonymes pertinents. Les élèves, bien conscients des enjeux de cette correspondance, ont bien utilisé cette ressource. Certains élèves ont multiplié les tournures sophistiquées, généralement pour « donner une bonne image d’eux-mêmes », parfois pour « impressionner », voire « perdre » le destinataire et « l’obliger à chercher le sens des mots dans le dictionnaire ».
Le travail a été mené sur deux séances, ce qui permet au professeur une relecture intermédiaire. Lors de la 2e séance, les élèves améliorent leur brouillon et finissent leur lettre.
Avant d’imprimer les lettres, j’ai jugé bon de procéder à une dernière relecture. La tâche est laborieuse mais elle semble nécessaire. Les élèves de 513 doivent, idéalement, recevoir des lettres sans fautes ni coquilles.
Comment avez-vous procédé pour que ces lettres parviennent à la classe partenaire ? Comment les élèves de cette classe ont-ils tiré profit de ces lettres ?
Suite au tirage au sort, j’avais établi des binômes, de façon aléatoire, entre les élèves des deux classes. Quelques jours après la deuxième séance d’écriture des 509, chaque élève de 513 a reçu une enveloppe nominative. L’activité requiert un investissement en papier et en enveloppes… (Lors de la séance, la lettre acquiert le statut de document pédagogique : il est donc pratique que les élèves aient la version papier en leur possession.) Ayant demandé aux élèves de 509 de garder le secret sur cette correspondance, les élèves de 513 ont été très étonnés de recevoir du « courrier ». Ils ont pris le temps de lire leur lettre et de formuler des hypothèses sur la nature de cette correspondance. Puis je leur ai expliqué le projet. J’ai senti de l’exaltation et de la curiosité. Beaucoup d’élèves ont essayé de « lire entre les lignes » afin de définir les traits de caractère de leur correspondant. Certes, la surprise a occasionné une certaine effervescence mais ce travail de décryptage ne permet-il pas de comprendre à quel point les mots que nous choisissons ont une signification et un impact sur nos interlocuteurs ? A leur tour, les 513 devront peser leurs mots lorsqu’ils écriront à leur correspondant anonyme.
Une fois le calme revenu, cette lettre est devenue le support d’un cours sur l’esthétique du classicisme. A partir de la lettre, les élèves de 513 ont proposé cinq mots pour définir le Château de Versailles. L’exercice, rapide et efficace, a permis de découvrir les caractéristiques de l’esthétique classique et ses enjeux. Un travail d’histoire des arts a ensuite été mené sur la distinction entre baroque et classicisme. Le même exercice a été donné aux élèves de la classe 509 qui connaissent désormais, grâce à leurs recherches et leur travail d’écriture, les caractéristiques de Versailles. Pour cette première étape, l’objectif est atteint : les deux classes accèdent aux mêmes savoirs.
Les élèves de cette seconde classe ont été invités à écrire leurs réponses : quels étaient ici le dispositif et les attentes ?
Par la suite, les 513 sont effectivement chargés de répondre à la lettre des 509. Ils ne connaissent toujours pas l’identité de leur interlocuteur (même si certains m’ont avoué avoir mené l’enquête). Dans cette lettre, ils doivent recommander à leur correspondant la lecture d’un fabuliste contemporain, un certain Jean de la Fontaine. Dans ses écrits, cet auteur dévoile l’usage biaisé de la parole à Versailles : tout n’y est bien souvent que mensonge, flatterie et bassesse. Aussi faut-il faire preuve de prudence. Chaque élève de 513 est donc chargé de reformuler les conseils que La Fontaine nous donne pour « survivre » à la Cour : pour se faire bien voir, faut-il parler longuement ou savoir se taire ? Dans quels cas la parole confère-t-elle du pouvoir ? Dans quels cas est-elle vaine ? A quel(s) types(s) de paroles faut-il recourir pour s’en sortir ? Pour alimenter son propos, l’élève est invité à s’appuyer sur des fables telles que « Le loup et l’agneau », « le Corbeau et le renard », « Les obsèques de la lionne ». En somme, à l’admiration exprimée dans la première lettre, les 513 opposent un autre récit : celui des « dessous » de Versailles.
L’exercice est riche car là encore, la rédaction de la lettre exige un travail sur le lexique (méfiance, prudence, hypocrisie). En outre, la lettre devient le moyen d’analyser des fables et de s’approprier leur sens. On touche également aux enjeux profonds des Fables : dénoncer l’hypocrisie de la Cour sans imposer de message unique. Enfin, l’exercice est intéressant car il exige de trouver le ton adéquat : une élève ayant pris très (trop ?) au sérieux son rôle de conseiller, elle a manqué de tact envers son destinataire, le taxant d’aveuglement et de naïveté. La lettre devient alors un bon apprentissage de la diplomatie.
Quelle exploitation pédagogique a été faite de cette 2ème série de lettres, davantage centrées sur La Fontaine ?
Cette lettre, imprimée et distribuée nominativement aux 509, est devenue le support d’un bilan de séquence sur « Pouvoir et parole dans les fables ». Les 509 ont d’abord réfléchi individuellement au rôle de la parole dans les fables (parole efficace, parole vaine, parole violente..). Puis ils ont reçu la lettre des 513 qu’ils ont lue attentivement car ils savaient qu’elle leur donnerait des clés pour l’évaluation sommative à venir (dans le devoir surveillé, une question porte sur les flatteurs et les puissants). Cette lettre devient donc un élément à prendre en compte pour les révisions. A partir des lettres reçues, une liste de vocabulaire est établie : les termes difficiles sont expliqués (prioritairement par les élèves qui trouvent ce mot dans leur lettre et peuvent en deviner le sens). Un bilan est réalisé sous forme de carte mentale sur les liens entre parole et pouvoir dans l’œuvre de La Fontaine. Ainsi, le travail mené par la classe de 513 facilite le bilan de séquence pour les 509. La parole du pair pourrait bien avoir plus d’impact que la parole du professeur.
Il est assez inhabituel d’amener des élèves de deux classes à entrer en collaboration et en correspondance : comment s’est déroulée la rencontre finale ? qu’apporte selon vous un tel partenariat pédagogique ?
Ce projet reposait sur l’entraide et le partage entre les classes, le travail des uns favorisant l’apprentissage des autres. Afin de clôturer le projet et de mettre fin au suspense (insoutenable pour certains élèves !), j’ai convenu d’un temps de rencontre. La lettre virtuelle allait donc devenir l’occasion d’une rencontre réelle. Par-delà l’acquisition de connaissances, le projet pouvait permettre de rencontrer l’autre, de sortir du « cercle » de la classe.
La semaine suivante, avec « Atys » de Lully pour fond musical, les élèves de 509 et 513 se sont rencontrés dans une salle de classe, sur un temps de récréation. Outre la garantie d’une disponibilité des élèves, ce temps de récré (15 min maximum) permettait de ne pas rendre trop longue une rencontre qui pouvait gêner certains. Les élèves de 513 ont accueilli les 509 avec des pancartes indiquant leur pseudo et celui de leur correspondant, afin de faciliter la reconnaissance entre élèves. Chaque binôme, une fois identifié, se présente devant le professeur pour recevoir un petit paquet de bonbons (pas très XVIIe siècle…), à partager de manière équitable. Les échanges ont été plus ou moins longs : certains élèves ont cédé le paquet de bonbons au correspondant afin d’éviter la conversation. Mais j’ai eu le plaisir de constater que de nombreux échanges ont duré et que cette rencontre a créé des liens persistants entre certains élèves.
De manière générale, quel bilan tirez-vous de cette immersion, par l’écriture, dans le siècle de Louis XIV ?
Ce partenariat a permis un échange fructueux et une progression conjointe de deux classes pourtant distinctes. Le projet permet aux élèves des deux classes de découvrir les valeurs, les goûts et les modes de vie du XVIIe siècle, en lien avec le système de valeurs présentes dans Les Fables de La Fontaine. En réservant aux 509 la recherche sur Versailles, j’ai pensé que les connaissances déjà acquises en Histoire dédramatiseraient l’écriture de cette lettre. En faisant ce choix, je pouvais réserver aux 513 l’analyse littéraire, plus laborieuse, et l’approfondissement du Livre I des Fables. Mais dans les deux cas, les mots-clés de l’activité ont été plaisir et ambition. Des élèves assez faibles ont visiblement aimé ce jeu de rôle et ils ont apprécié le maniement d’une langue sophistiquée qui les rebute pourtant dans les textes. Les 509 m’ont semblé intéressés par les fêtes et la gastronomie à Versailles. Grâce à l’outil Lexilogos, j’ai senti ces élèves fiers d’une production au style érudit. Depuis, certains élèves recourent à ce dictionnaire des synonymes pour leurs devoirs maison.
En outre, l’exercice interroge la valeur de l’écrit : comment s’adresser à un destinataire inconnu ? Comment retranscrire nos émotions afin de les partager ? Comment formuler un conseil de telle sorte qu’il soit suivi ? Quelle image renvoyons-nous à travers les mots que nous employons ? A l’heure du SMS et du numérique, la version papier de la lettre a sensibilisé les élèves au plaisir de la correspondance épistolaire. Les élèves ont été agréablement surpris de recevoir une lettre à leur nom, placée dans une enveloppe cachetée. Ils ont accordé une grande attention aux mots, essayant parfois de décrypter ce qui pouvait se cacher derrière certaines formules. Ils ont également échangé leurs lettres, comparé le style et la longueur des différentes missives – ce que n’aurait pas permis un courriel consulté sur un ordinateur. Beaucoup ont pris soin de conserver la lettre et l’enveloppe.
Vous avez aussi mené des expériences d’écriture créative à l’université : pouvez-vous en expliquer le contexte et les modalités ?
Parallèlement à mon enseignement au Lycée, je suis vacataire à l’Université depuis plusieurs années. J’ai pu en dégager quelques constats : les étudiants à l’Université semblent souvent passifs, se contentant de « consommer » le cours ; le professeur peine à créer du lien avec son groupe, même en TD (heure généralement consacrée à des exposés d’étudiants) ; on imagine aisément que les étudiants ne s’approprient le cours que quelques semaines (quelques jours ?) avant les partiels, si bien que la séquence d’enseignement est un fil discontinu.
Forte de mon expérience d’enseignement au Lycée où la mise en activités et la tâche complexe sont désormais inscrites dans les pratiques courantes, j’ai décidé d’expérimenter des heures de TD ludiques et créatives afin de pallier ces trois problèmes. Le cours de « Littérature mondiale et contemporaine » a été prodigué à des étudiants de L3 en Lettres modernes. Il s’agissait de saisir les composantes d’un imaginaire national et de penser le lien entre l’Histoire et la création littéraire sur une période de plusieurs décennies. Les objectifs du cours se voulaient multiples : comprendre les piliers de la culture américaine et son « imaginaire national » , connaître les grandes dates de l’Histoire des Etats-Unis, découvrir les grands courants de l’histoire littéraire américaine, connaître et de s’approprier les trois romans au programme (Francis S. Fitzgerald, Tendre est la nuit, 1934 ; Philip K.Dick : Le maître du haut château, 1962 ; Stewart O’Nan : Un mal qui répand la terreur, 1999), c’est-à-dire établir leurs résonances avec le contexte d’écriture, mais aussi découvrir la singularité d’un style et d’un univers fictionnel.
Le premier TD a été déterminant car il me permettait d’évaluer la capacité des étudiants à s’investir dans des projets créatifs. Le TD invitait les étudiants à se mettre « dans la peau d’Abraham Lincoln » : « Novembre 1863. Lincoln inaugure un cimetière national sur le champ de bataille de Gettysburg (en Pennsylvanie). Ecrivez le discours qu’il prononce à cette occasion. Votre discours devra rendre compte des enjeux de ce conflit, des faits (notamment de l’état des troupes en novembre 1863) mais aussi être porteur des valeurs des ‘Nordistes’, qui aspirent à incarner la nation américaine. » A la manière des tâches complexes que nous menons avec les lycéens, les étudiants de L3 ont dû relire le cours sur les fondements de la nation américaine, sélectionner les informations pertinentes sur la Guerre de sécession et convoquer leurs compétences rhétoriques pour offrir un discours vibrant de patriotisme.
Pour aller au bout du jeu de rôle (et donner le ton des TD à venir), les discours ont été lus sur fond d’hymne national. Grâce à certains étudiants motivés par ce défi, le cours s’est bien déroulé et nous avons eu plaisir à écouter des discours efficaces, intenses, convaincants. A la fin de l’heure, les étudiants ont découvert le discours réellement prononcé par Lincoln en 1863, fort proche de la production de certains groupes. Le test s’avérant probant, j’ai décidé de décliner l’idée d’une expérience « dans la peau de ». Tour à tour, les étudiants de L3 se sont mis dans la peau d’Ernest Hemingway, d’un auteur de la beat generation, d’un uchroniste, d’un journaliste, d’un comédien, d’un scénariste de série.
Le « creative writing » est peu répandu dans l’université française : quel bilan tirez-vous de vos expériences en la matière ?
Le bilan est très positif : j’ai senti de la bonne humeur chez les étudiants et de la curiosité face au « défi » à venir. Il m’a semblé que ce type de projets permettait aux étudiants de s’approprier les œuvres et le cours pendant le TD. Les très bons résultats aux partiels témoignent d’un travail sérieux et d’une bonne compréhension des enjeux du cours. Enfin, le TD est devenu un véritable espace d’expression et de création où chacun a pu, à un moment ou à un autre, être valorisé par ses pairs et par l’enseignant. La diversité des missions a permis à tous les étudiants de « briller » lors d’une ou plusieurs séances de TD. De mon côté, j’ai pris le temps de dialoguer avec les étudiants et de les connaître un peu mieux, ce qui m’a apporté une grande satisfaction.
On pourrait évidemment nuancer ce bilan qui relève avant tout d’une impression globale. D’ailleurs, certaines tâches ont suscité de la réticence chez quelques étudiants, notamment l’imitation du style d’Hemingway qui implique une écriture brutale, voire crue (mission qui a par ailleurs, beaucoup amusé certaines étudiantes ayant pris plaisir à se glisser dans la peau du « macho »).
Enfin, le TD « Dans la peau d’un auteur de la beat generation » a mis au jour une vision très classique de l’art et de l’écriture chez beaucoup d’étudiants. Le TD permettait d’expérimenter l’écriture automatique. Alors que le premier jet de certains me semblait riche, voire touchant, ces productions ont été jugées sans intérêt ou ratées par la majorité des étudiants. L’art ne devrait être ni « chaotique », ni « irrationnel ». Un texte littéraire devrait, à leurs yeux, faire sens immédiatement et répondre à des exigences de cohérence et de clarté. Que faire alors des auteurs comme Clément Marot, Rimbaud, Lautréamont ou Borges ? On pourrait ici regretter que les étudiants en Lettres (et en amont, les lycéens) ne soient pas assez sensibilisés à ces auteurs ou à des mouvements comme le surréalisme et l’Oulipo. Certes, ces auteurs font « peur » car leurs écrits ébranlent notre exigence de rationalité, déjouent les codes établis, prônent le dé-lire. Mais il serait bon que les étudiants de Lettres modernes soient conscients que la littérature vise à explorer les potentialités expressives et ludiques du langage. Le « creative writing » serait un moyen efficace et jubilatoire de le souligner.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut