Prendre le regard de l’élève et celui de l’enseignant pour combattre les discriminations, c’est ce que propose le rapport de la Conférence de consensus sur les discriminations réunie par l’académie de Créteil. Dans une académie marquée par de très fortes inégalités, le jury met le doigt là où ça fait mal. Il évoque les discriminations ethnique et systémique. Il fait le lien avec les pratiques pédagogiques ou l’orientation et invite au rééquilibrage des rapports avec les entreprises.
La suite de la conférence de consensus
Réunie à Créteil le 3 février 2016, la conférence de consensus sur les discriminations à l’école a réuni une vingtaine d’experts, sous la direction de Monique Sassier, parmi lesquels F Dhume, C Ben Ayed, E Prairat, G Zoia, S Chauvel, F Lorcerie. « C’est un sujet qui me tient à coeur », avait dit la rectrice de Créteil, B. Gille, estimant que « l’apport de la recherche est indispensable ». Quatre mois plus tard, un composé de cadres de l’éducation nationale, rend un rapport où on retrouve les apports des différents chercheurs.
Pour le jury, « les préconisations ainsi élaborées pourront être mises en oeuvre dans le cadre du projet académique. Il ne s’agit pas d’ajouter des dispositifs particuliers se superposant à d’autres, mais de faire de la prévention et de la réduction des discriminations un acte majeur de la politique académique ».
Une discrimination ethnique et systémique
Ce que relève ne premier le jury, c’est « un poids accru du facteur de l’origine ethnique (élèves issus de l’immigration de première et deuxième génération) à catégorie socioprofessionnelle et niveau de diplôme équivalents des parents. Cela ne peut s’expliquer que par l’aggravation d’une discrimination systémique, c’est à dire une détérioration globale de leurs conditions de scolarisation, et non par la seule dégradation des conditions socio-économiques de vie des familles ». Ainsi sont mis e avant deux dimensions souvent niées ou occultées par l’institution, mais que la conférence du Cnesco avait également bien mis en valeur.
Le rapport identifie deux « zones à risque » de discrimination : les stages des élèves et l’orientation. Le premier sujet a fait l’objet des recherches de F Dhume. Le second a été travaillé par C Ben Ayed.
Limiter les stages pour lutter contre les discriminations
« Dans un contexte où les établissements sont sous pression pour “placer” leurs élèves en stage, les enjeux de formation tendent à s’effacer devant les enjeux de placement des élèves et la préservation de la bonne entente avec les entreprises », écrit le rapport. Il juge la relation école – entreprise « inégalitaire » et souligne les pratiques discriminatoires d’entreprises.
Pour éviter une expérience précoce de la discrimination, le rapport préconise de substituer aux stages en entreprises de 3ème des démarches de découverte d’entreprise organisées par les élèves.
Le rapport s’attaque ensuite aux stages en lycée professionnel. Il propose de « limiter les temps consacrés aux stages au minimum prescrit par les textes » et de former les enseignants à l’écoute de ce que vivent les élèves. Il propose un rééquilibrage de la relation avec l’entreprise passant par une codification et des procédures de régulation.
Lutter contre la discrimination à l’orientation
S’agissant de l’orientation, le rapport dénonce des ségrégations liées à la carte scolaire. Mais il va au delà des recommandations sur la révision de la sectorisation. Le rapport dénonce aussi Affelnet, la procédure d’orientation post collège. » Toutes les familles ne sont pas outillées de manière égale pour accompagner leur enfant dans ce palier d’orientation. Dans le travail mené avec elles, les catégorisations ethniques jouent à l’insu des enseignants et l’offre de formation est différenciée selon les origines sociale, ethnique, culturelle et cultuelle, le genre, la situation familiale, réels ou supposés, de l’élève ».
Il propose de s’attaquer aux ségrégations à l’intérieur des établissements en observant ce qui se passe avec les options, les filières. » À partir du CP, l’orientation des élèves vers les classes d’enseignement spécialisé (SEGPA, CLIS, ULIS) entraîne une séparation selon l’origine sociale et ethno-raciale », note par exemple le rapport. Il préconise de « clarifier les critères de constitution des classes… et de s’outiller d’indicateurs ».
Il recommande aussi de « s’efforcer d’intégrer dans les critères d’évaluation et de sélection des élèves, à l’échelle de l’établissement, dans la classe, dans les instances institutionnelles comme les conseils de classe, des compétences souvent travaillées de manière implicite dans le cadre scolaire, mais peu reconnues ».
Des implicites pédagogiques qui trient
Enfin le rapport attire l’attention sur « les implicites pédagogiques ». » Par exemple, proposer un dispositif de différenciation pédagogique à un groupe d’élèves peut relever, à l’insu des acteurs, de la discrimination active : diminution des exigences, absence d’enjeu etc. Inversement, proposer la même situation pédagogique à tous, alors que tous ne s’en emparent pas de manière équivalente, peut relever de la discrimination passive. » Sur ces points il recommande de la formation.
Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire sur les discriminations et spécialement dans une académie où l’offre pédagogique est si inégale. Le jury n’est pas allé jusque là. Les préconisations, le tableau de discriminations ethniques et systémiques ne sont pas nouveaux. Beaucoup a été déjà décrit dans la conférence Cnesco ou par l’Observatoire francilien.
Ce qui fait le grand intérêt de ce rapport c’est de voir que ces démarches pionnières ont, pour la première fois, une traduction locale par une structure mise na place par un rectorat et qu’elles sont portées par un jury de cadres de l’éducation nationale. Reste maintenant à voir quel usage en sera fait par le rectorat de Créteil.
François Jarraud