Est-il impossible de réformer l’Ecole en France ? Ce pourrait être la conclusion des travaux présentés le 24 mai au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences-Po. Beatriz Pont (Ocde) rendait compte de son étude sur les directions d’établissement dans les pays de l’Ocde. De tous les pays de l’Organisation, la France s’avère la plus rétive à l’idée de l’autonomie des établissements. Hélène Buisson-Fenet dévoilait la partie française d’une recherche sur le pilotage par les résultats. Impulsée par l’administration centrale, portée par les recteurs, elle montre comment cette réforme s’englue petit à petit dans les résistances du système éducatif français. Alors, impossibles les réformes ?
Dirigé par Agnès Van Zanten et Denis Fougère, le Liepp met en débat les recherches récentes sur les politiques éducatives. Le 24 mai, il recevait Beatriz Pont (Ocde) et Hélène Buisson-Fenet (CNRS, Laboratoire Triangle CNRS) pour un débat particulièrement riche sur les réformes éducatives en France.
Béatriz Pont tente de théoriser les réformes du pilotage d’établissement dans les pays de l’OCDE. Elle s’appuie sur un millier d’études, sur les résultats de Talis et de Pisa, deux études OCDE) pour mettre en avant les facteurs qui peuvent soutenir la réforme des directions d’établissement et ceux qui peuvent y faire obstacle.
La France cas à part
Pour elle, le pilotage d’établissement scolaire est, après les enseignants, le facteur le plus important d’amélioration de l’Ecole. Le directeur d’établissement (au primaire comme au secondaire) est à la jonction entre la classe et la politique éducative nationale. C’est lui qui met en oeuvre les conditions pour que l’éducation se fasse. Le type de direction lui semble donc quelque chose qui a à voir avec l’efficacité d’un système éducatif.
La tendance dans les pays de l’OCDE est au renforcement de l’autonomie des établissements, celle-ci pouvant aller jusqu’au curriculum et au recrutement des enseignants. En même temps se met en place un type de direction partagée qui correspond aussi à des enseignants mis en réseaux et collaborant entre eux. Le directeur doit donc savoir aider les enseignants à travailler entre eux et avoir une vision de leur développement professionnel en plus de capacités de gestion.
Ce qui apparait tout de suite dans les données Ocde, c’est le cas à part que constitue la France. C’est le pays où les directions peuvent le moins choisir leurs enseignants et où les enseignants travaillent le moins ensemble. C’est aussi celui elles ne choisissent pas le curriculum et où l’évaluation locale est au plus bas. Bref, la France se singularise par son très faible autonomie des établissements. Un seul autre pays semble rétif au même type de management : le Japon. Mais c’est dans un contexte très différent : les enseignants japonais travaillent tellement ensemble qu’ils ont tendance à ignorer leur direction…
La réforme du pilotage un élément d’une réforme plus globale
Alors que faudrait-il pour qu’une réforme du pilotage soit possible ? Pour B Pont, les pays qui ont fait ce genre de réforme ont connu une véritable alternance politique qui a entrainé une nouvelle politique éducative globale. « La réforme du pilotage ne vient jamais seule », explique B Pont. Elle se glisse dans un cycle politique. L’autonomie de l’établissement quant au curriculum et au choix des enseignants est la base de ces réformes avec la mise en place d’un système d’évaluation.
B Pont a étudié de près 3 pays qui ont connu une réforme de ce type : le Mexique, l’Espagne et la Norvège. C’est au Mexique que le choc a été le plus brutal avec l’arrestation des leaders syndicaux enseignants dans le cadre d’affaires de corruption, et l’obligation pour les enseignants et les directeurs de passer un examen auquel 40% des directeurs ont échoué.
La conclusion c’est quand même la modestie de ces réformes. Au bout du compte, les pouvoirs politiques qui impulsent la réforme se fatiguent. Ils la considèrent comme mineure et ont tendance à recentraliser.
Pour nous , l’intérêt des travaux de B Pont c’est bien sur de mettre en évidence que le chemin d’une telle réforme en France serait bien plus long qu’ailleurs. Avant d’impulser un peu plus d’autonomie, un peu de travail collaboratif au collège, la ministre a-t-elle vu à quel point c’était contraire à la tradition française ? Seul un vrai projet politique pour l’Ecole pourrait, à l’occasion d’une alternance politique, mettre en route une réforme de la direction des établissements. La France a-t-elle une réelle chance de devenir un bon élève de l’OCDE ?
Quelle réaction au pilotage par les résultats ?
La recherche d’Hélène Buisson Fenet (ENS Lyon – CNRS) est en cours de publication. Elle fait partie d’un travail comparatif sur le pilotage par les résultats au Québec et en France. H Buisson Fenet a travaillé depuis 2012 sur 3 académies (Créteil, Versailles et Lyon) et dans chaque académie sur 4 lycées ayant des profils variés dont à chaque fois un établissement privé.
A ces niveaux elle a suivi la mise en place des outils de pilotage par les résultats : cadre budgétaire et comptable, projet d’établissement, contrat d’objectifs, indicateurs de pilotage (IPES). Et elle a observé la façon dont ça se passait dans les établissements.
» Les politiques de pilotage par les résultats en France doivent être prises en compte dans leur intrication avec les routines professionnelles. Or le souci c’est que celles -ci désagrègent les nouveaux outils de pilotage qui sont proposés », nous a-t-elle dit.
« Par exemple, on peut prendre la réforme du cadre budgétaire et comptable qui a été une réforme pensée pour essayer d’articuler le budget des établissements avec leur projet. Il s’agissait d’évaluer avec des indicateurs financiers la manière selon laquelle les projets peuvent être financés et la façon dont le budget suivant peut abonder davantage en fonction des résultats attendus. Il s’agit d’une réforme très appréciée par beaucoup de gestionnaires d’établissement au départ. Mais elle a rencontré un fonctionnement des conseils d’administration très routinier sur le budget. Au final, on a vu revenir des budgets routiniers et l’objectif de la réforme de lier résultats et projets n’est plus visible ».
L’identité professionnelle contre le management
C’est sans doute un apport important de sa recherche que de montrer que les outils de management ont un impact négatif. « On a l’impression que ces outils, notamment les indicateurs et les contrats d’objectifs, crispent les acteurs. Ils ont l’impression qu’ils les empêchent de bien faire leur travail. On a l’impression que l’organisation bloque la culture pédagogique. On voit une sorte de torsion des outils par rapport aux objectifs ».
Pour H Buisson Fenet, le pilotage par les résultats heurte l’identité professionnelle des acteurs éducatifs qui finissent par faire dérailler le train réformiste. » La question du contexte et la façon dont les directions mobilisent à leur coté les enseignants est au coeur de la réussite de la réforme », dit-elle. Car elle cite aussi des exceptions comme un lycée qui s’est emparé d’évaluation venues du monde médical ou un établissement privé qui développe ses propres outils de pilotage.
D’où vient cette exceptionnelle résistance française à la réforme du pilotage ? Des participants au séminaire y voient l’histoire d’un système très étatique et pas du tout communautaire. Dans ce contexte, le leadership du chef d’établissement se heurte à une culture régalienne que partagent les directeurs eux-mêmes.
François Jarraud
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