Les 18-19 mai à Nice, le colloque EcriTech’7 explore ainsi ce que l’écran change à l’écrit. Professeure de français au Collège Mendès-France à Tourcoing, Carole Guérin-Callebout y présente les expériences menées cette année avec ses élèves de 3ème : elle exploite les ressources du traitement de texte et des tablettes pour renouveler les pratiques d’écriture scolaire et accompagner les élèves dans le développement d’une écriture littéraire. Au final, le numérique lui apparait comme « un levier fécond pour faire comprendre l’essence même de l’acte d’écriture aux élèves : l’engagement qu’il suppose, le travail sur la langue qu’il initie, le tissage lexical, textuel et stylistique qu’il opère ». Il amène même à travailler « des compétences aussi essentielles que la créativité, la coopération, le développement de l’esprit critique ou encore la capacité à s’engager. » Nous écrivons de plus en plus, mais de moins en moins de façon manuscrite : qu’est-ce cela change à nos façons d’écrire ? quelles nouvelles pratiques de classe inventer pour être à la mesure de ce qui se métamorphose sous nos doigts avec le numérique ?
Vous avez mené au collège Pierre Mendès-France de Tourcoing une expérimentation qui conduit à renouveler les pratiques scolaires d’écriture : pouvez-vous expliquer ce dont il s’agit ?
Cette expérimentation a été menée auprès d’élèves de 3ème.. Les deux classes dans lesquelles j’enseigne ont participé. La première est celle dans laquelle l’expérimentation a été développée ; la seconde est une classe « témoin » au sein de laquelle des modalités d’écriture plus « classiques » sont proposées. L’intérêt de ces deux groupes est de permettre la mesure d’écarts, l’analyse des plus-values de l’expérimentation en évaluant de manière comparative, sur un groupe test d’élèves issus des deux classes, les compétences développées.
Concrètement, il s’agit de mettre à profit les ressources des logiciels de traitement de texte et la facilité d’utilisation des tablettes pour renouveler les pratiques d’écritures et accompagner les élèves dans le développement d’une écriture littéraire.
L’objectif premier de l’expérimentation est en effet de donner ou de redonner aux élèves le goût et le plaisir d’écrire, de les engager véritablement dans l’écriture en les invitant à développer progressivement une posture nouvelle : une posture de scripteur, une posture d’auteur surtout.
L’enjeu est d’autant plus important auprès d’élèves en difficultés scolaire et/ou en difficulté avec l’école. L’écriture concentre en effet, aux yeux des élèves, nombre d’obstacles, aridité, complexité…, au point que certains préfèrent abandonner, se désinvestir. Déjouer les représentations associées à l’écriture, c’est donc aussi inviter les élèves à renouer avec l’école pour construire de manière engagée et avec motivation leur scolarité.
Comment en pratique le projet a-t-il été mené ?
L’expérimentation s’intègre aux pratiques quotidiennes de la classe et des séquences pédagogiques proposées aux élèves. Les activités d’écriture sont déclinées en 3 phases distinctes.
Une première phase d’écriture « dans » le texte d’un auteur, après lecture de celui-ci et au moyen de manipulations numériques. Les élèves sont ainsi invités à intervenir dans le texte d’un auteur en procédant à diverses opérations qui vont progressivement les conduire à produire leur trame textuelle dans celle de l’auteur : ils peuvent copier, coller, déplacer, voire supprimer pour obtenir une nouvelle architecture textuelle du texte de l’auteur qui va servir de squelette à leur propre écriture. Les élèves accompagnent leurs manipulations d’un travail de justification.
Une seconde phase de retour sur les premières traces produites, qui peut prendre différentes modalités : débat collectif visant à examiner et à analyser quelques propositions ; regards distanciés entre pairs ; évaluation en petits groupes d’élèves…L’objectif ici, crucial, est de mettre l’écriture au cœur de la classe, d’en faire le centre d’intérêt, le cœur du débat afin de mettre en questions des notions aussi abstraites que complexes que sont la cohérence, le tissage textuel, le travail de la langue…puis de proposer des pistes de réécriture.
Une troisième phase de réécriture « dans » le texte de l’auteur afin d’enrichir la trame du co-auteur qu’est l’élève pour en préciser, en ajuster l’écriture. Là aussi, les modalités peuvent varier : réécriture individuelle, réécriture collective d’un texte….co-écriture….
L’expérimentation a donc pour but de tirer parti des outils les plus courants de notre environnement numérique et d’opérations que les élèves maîtrisent parfaitement pour ré-engager ces derniers dans l’écriture et les initier à mener un dialogue littéraire, via l’écran numérique et ses manipulations tactiles, avec un auteur et son texte.
Quel bilan tirez-vous de cette activité ?
Le bilan méritera d’être affiné au terme de l’année scolaire, mais on peut déjà dire qu’un premier objectif a été atteint. Les élèves écrivent, s’investissent dans l’écriture. A l’évidence, leurs représentations ont changé, ce dont peuvent témoigner d’ailleurs les résultats obtenus lors du second brevet blanc qui mettent en valeur des connaissances linguistiques plus précises, une habileté plus manifeste également à les manipuler pour produire des textes cohérents, porteurs de sens, et révélant le souci de s’adresser à un lecteur.
On peut néanmoins nuancer ce bilan pour reconnaître que si la posture de scripteur est désormais familière des élèves,- et c’est déjà un grand pas- la posture d’auteur n’est pas encore une posture que tous sont capables d’adopter.
Un point de vigilance mérite par ailleurs d’être signalé. Il serait dommage en effet de réduire l’expérimentation à un détour ludique, ou au contraire une somme vide de sens de manipulations techniques, pour introduire une activité d’écriture. Il s’agit bien davantage d’une exploitation de toutes les richesses de la « conversion numérique » pour reprendre une expression de Milad Douehi,, de l’écriture lui donnant des dimensions nouvelles- tactile, spatiale, dynamique- pour faciliter son appropriation par les élèves au service du développement de leurs compétences. Les élèves se saisissent de manière concrète, par les manipulations permises par le traitement de texte (copier, coller, déplacer…) des processus complexes de l’écriture. Chacune de ces manipulations est l’expression tangible des tâches de l’écriture : anticiper, prévoir, structurer, contrôler… que les élèves s’approprient par l’expérience, en mettant « la main à la pâte » en quelque sorte.
J’aimerais enfin souligner le plaisir associé à cette expérimentation, plaisir d’imaginer des consignes nouvelles, d’en renouveler l’intérêt au fil des textes, plaisir enfin d’observer des élèves concentrés sur leur écriture, soucieux de travailler la langue.
Le projet a été mené en collaboration avec Magali Brunel, enseignante chercheuse à l’ÉSPÉ de Grenoble : sous quelles formes s’est faite cette collaboration ? en quoi vous semble-telle fructueuse ?
C’est une collaboration qui est née l’année dernière à l’occasion d’une première rencontre et d’un avant-projet pour évaluer l’intérêt du dispositif. Il s’est agi ensuite de co-construire l’expérimentation. Le projet a été élaboré à deux voix et s’est enrichi au fil de l’année, de nos regards distincts et croisés, fruits de nos identités différentes : enseignant de terrain et enseignant chercheur. L’ensemble des travaux des élèves ont été partagés, évalués de part et d’autre, et les séances ont été filmées pour analyser au plus près le déroulement de l’expérimentation. L’intérêt est de faire mûrir ainsi le projet au service du développement des compétences des élèves comme des professeurs. Il est particulièrement intéressant pour un professeur en effet de bénéficier du regard distancié du chercheur qui peut prendre le temps de l’observation et de l’analyse et accompagner ainsi un enrichissement et un affinement de la posture et des gestes professionnels. Terrain et Recherche se nourrissent l’un et l’autre. On peut y lire, je pense, un exemple d’une « communauté de pratiques ».
Vous participez au colloque écriTech’7 qui s’interroge sur les métamorphoses de l’écriture à l’heure numérique : de manière générale, et à la lumière de vos diverses expériences, en quoi le numérique transforme-t-il selon vous notre relation à l’écrit ?
Le numérique transforme en effet en profondeur notre relation à l’écrit. Et le verbe « transformer » me semble essentiel. Très souvent en effet encore, on oppose écriture numérique et écriture « traditionnelle » sur papier. C’est vrai en partie. Il y a bien des éléments d’opposition entre une écriture qui se développe de manière linéaire sur une feuille de papier et dans un espace réduit et une écriture numérique multimodale, voire collaborative et interactive. Mais on peut aussi souligner, à l’image de cette expérimentation, que le numérique, à travers des outils simples mis au service des textes, constitue un levier fécond pour faire comprendre l’essence même de l’acte d’écriture aux élèves : l’engagement qu’il suppose, le travail sur la langue qu’il initie, le tissage lexical, textuel et stylistique qu’il opère. Le numérique se met au service de la compétence « écrire ». Il lui donne une légitimité nouvelle. Fondamentalement, il exerce des compétences aussi essentielles que la créativité, la coopération, le développement de l’esprit critique ou encore la capacité à s’engager.
L’Ecole perpétue certaines traditions liées à l’écriture papier : par exemple au collège, la rédaction, la dictée, l’exercice … ; par exemple au lycée, le commentaire, la dissertation … En quoi le numérique peut-il modifier ici la donne, autrement dit inviter à de nouvelles formes scolaires d’écriture et à de nouveaux modes d’apprentissage de celles-ci ?
A la lumière de l’expérimentation menée, je dirais surtout que le numérique invite à développer de nouvelles modalités d’apprentissage de l’écriture pour en déjouer la complexité et la dimension abstraite voire sibylline et en faire au contraire le lieu d’une expérimentation, d’un voyage tactile et quasi kinesthésique au cœur de la langue. Le numérique permet de mettre en œuvre des expérimentations, au sens premier du texte, linguistiques qui ouvrent sur tout un champ de possibles didactiques et pédagogiques.
Quels profits les élèves tireraient-ils selon vous d’une telle pédagogie numérique de l’écriture ?
A mon sens, un des intérêts est de stimuler l’ensemble des élèves sans en laisser de côté et de rendre accessible des dimensions encore peu exploitées de l’écriture, et en particulier sa dimension créative, associant exigence et plaisir d’écrire.
Propos recueillis par Jean- Michel Le Baut
Le site d’EcriTech
Carole Guérin-Callebout dans le Café