Comment en finir avec la dégradation des performances en lecture des jeunes français ? Comment enseigner la lecture à l’heure du numérique ? Comment prendre en compte la diversité des élèves ? C’est finalement pas moins de 47 recommandations qui sont publiées par le jury de la conférence de consensus réunie par le Cnesco et l’Ifé. La conférence est -elle trop ambitieuse ? Appliquer ses recommandations serait révolutionner les pratiques enseignantes à l’école et surtout au collège.
Après deux journées de travail, les 16 et 17 mars, particulièrement riches, le jury de la conférence de consensus du Cnesco et de l’Ifé, présidé par Jean-Emile Gombert, professeur en psychologie cognitive, rend le 8 avril pas moins de 47 recommandations. Particularité de la conférence, elle ne concerne pas que l’école mais touche aussi au collège, voire au lycée. Elle ne concerne pas que les professeurs des écoles ou ceux de français mais tous les enseignants tant les difficultés en lecture sont transversales. La conférence fait donc date par la qualité de ses recommandations. Mais aussi par le défi adressé au système éducatif, beaucoup plus difficile à relever que celui de la conférence de 2003.
Le niveau en lecture baisse rapidement…
Mais le défi est à la hauteur de la situation. Selon l’étude Cèdre (Depp) 39% des élèves quittent l’école primaire avec des difficultés en lecture. Ils ne sont aps capables par exemple d’identifier le thème d’un texte ou de lier des informations séparées dans le texte. A la fin du collège on retrouve 37% de jeunes qui ont un niveau de compréhension insuffisant selon Pisa.
Or la situation se détériore. Entre Pisa 2000 et Pisa 2012, le pourcentage de jeunes en grande difficulté de lecture est passé de 15 à 19% en France alors qu’il diminue dans les autres pays. La nature des difficultés a changé. Ces jeunes savent déchiffrer un texte . Mais ils ne le comprennent pas et ne savent pas en faire un élément d’apprentissage. Ces difficultés sont plus marquées en éducation prioritaire où la part des mauvais lecteurs est le double de la moyenne nationale (33 contre 18% selon Cèdre). C’est dire que la question de l’apprentissage de la lecture a une forte dimension sociale. « Les élèves des établissements les plus défavorisés ne maitrisent que 35% des compétences attendues en français en fin de 3ème contre 60% en 2007 » selon l’étude Cèdre.
Particulièrement pour la compréhension
La conférence de consensus de 2003 avait porté principalement sur le déchiffrage : la compréhension du principe alphabétique et de la conscience phonologique. En quelques années ses apports se sont diffusés dans l’école primaire. Ce que vient de montrer l’étude de Roland Goigoux, publiée peu de temps avant la conférence de consensus 2016, c’est que les difficultés se sont déplacées vers la compréhension du texte. Et améliorer les performances en ce domaine relève autant du collège et de l’apprentissage continu de la lecture que de l’école et de l’apprentissage initial. On verra que c’est surtout au collège que les recommandations ont un impact fort.
« On a mis uniquement des choses que l’on comprenait », précise JE Gombert, président du jury de la conférence composé d’enseignants et de parents. Les 47 recommandations sont accessibles mais leur application concrète sur le terrain n’est pas aussi simple que cela…
Un moteur : développer le plaisir de lire
La conférence met d’abord l’accent sur des recommandations générales. Connaissant bien les travers du système éducatif , elle précise d’abord de continuer à appliquer les recommandations de la conférence de 2003 et de continuer à travailler le déchiffrage. Par conséquent il faut « parallèlement enseigner les mécanismes et les stratégies de lecture ». Elle valide aussi l’idée de répétition des exercices de lecture en précisant que cela suppose de développer le plaisir de lire. Sans plaisir de lire , pas d’entrainement possible et surtout pas d’autonomie dans l’apprentissage , une dimension fondamentale. Dernière recommandation générale, comme les inégalités d’accès à la lecture sont sociales, l’école doit s’efforcer d’impliquer les parents dans l’apprentissage de la lecture. Cela renvoie concrètement aux pratiques qui consistent dès la maternelle à amener les parents, mêmes non allophones ou illettrés, à continuer les gestes de lecture appris à l’école à la maison. Pas besoin de savoir lire pour raconter une histoire à son enfant à partir d’un album.
Lire pour s’exprimer
La première série de recommandations ciblées traite de l’identification des mots. L’apport le plus nouveau c’est peut-être que l’analyse phonologique et l’étude des correspondances phonèmes graphèmes ne doit pas s’arrêter au CP mais doit se poursuivre tant que nécessaire tout au long du cycle 3. La conférence met aussi l’accent sur la lecture à voix haute (attention à préserver la dignité des enfants), sur la nécessité de travaux d’écriture avec la lecture, et sur la rapidité avec laquelle doit se faire la découverte de la correspondance phonème graphème en début de CP. C’est un des acquis de l’étude de R Goigoux : il faut aller rapidement en début de CP sur ce point même avec des élèves faibles.
Travailler le vocabulaire et la compréhension
Un second volet de recommandations touche à l’apprentissage de la compréhension, le point noir des élèves français. La conférence demande un enseignement explicite de la compréhension. Cela passe d’abord par le développement du vocabulaire des enfants. C’était déjà un point des programmes de 2008 très mal acquis par les enseignants, si l’on en croit un rapport de l’Inspection de 2013. Mais il faut dire que les programme de 2008 ne proposaient pas une stratégie pédagogique pertinente. Ce que recommande la conférence c’est de travailler le plaisir de lire et de passer par la mise e scène par les enfants (théâtre, motricité). Dans le vocabulaire la maitrise du vocabulaire des états mentaux (savoir,croire, vouloir etc.) est déterminante pour les apprentissages. Il y aura ensuite l’apprentissage du vocabulaire scolaire de chaque discipline. On sait qu’on a là un gros facteur d’échec scolaire (par ex étude Cedre sur les maths ou encore Bonnery et les « malentendus »).
Mais travailler la compréhension c’est aussi sensibiliser à la nature des textes et à l’univers culturel du texte. « Un enseignement structuré, systématique et explicite de la compréhension est nécessaire », écrit le jury en s’appuyant notamment sur les travaux de R Goigoux. Cela veut dire par exemple expliquer el vocabulaire, faire le lien entre le texte et les connaissances des élèves mais aussi mettre la compréhension du texte en débat , expliciter la compréhension quitte à faire une relecture.
Partager la littérature
Ce réflexions touchent aussi les recommandations sur l’entrée en littérature. « La littérature ne s’enseigne pas , elle se partage », dit JE Gombert. La classe de littérature doit être un espace de partage. La lecture doit s’accompagner de la parole et de l’écriture. Plus révolutionnaire encore, peut-être, elle doit prendre en compte les lectures non scolaires des élèves et agir sur ses pratiques pour les amener à les réfléchir. Il faut intégrer les BD, les mangas, les romans graphiques par exemple et aider l’élève à comprendre ce que ces lectures lui apporte pour l’amener à apprécier la lecture et à faire d’autres découvertes de lecture.
Apprendre à lire les manuels dans toutes les disciplines
Dix recommandations concernent « la lecture pour apprendre ». Il s’agit d’aider les élèves à apprendre à partir des manuels scolaires. On a là une compétence majeure pour la réussite scolaire. Il faut oser la lecture de textes documentaires longs pour faire un travail sur leur organisation, apprendre à distinguer les informations pertinentes et non pertinentes , faire travailler collaborativement ces textes. Mais la recommandation la plus forte est peut-être celle qui demande un apprentissage spécifique de la lecture des textes dans chaque discipline car elle implique que l’apprentissage de la compréhension n’est pas l’apanage du professeur de français. C’est l’affaire de tous les enseignants.
La lecture à l’heure du numérique
Arrive la place du numérique. C’est une dimension particulièrement attendue car le numérique a changé les habitudes de lecture et la maitrise de l’écrit numérique est particulièrement difficile. Le rôle de l’école c’est de former les élèves à ce genre de lecture multimodale c’est à dire développer les habiletés complexes de ce type de lecture. Au primaire le jury recommande d’assister les élèves dans ce genre de lecture . Au collège, il recommande une forte collaboration entre documentaliste et professeurs de disciplines.
Convaincre les professeurs de collège
En concluant la présentation des travaux du jury, Michel Lussault, directeur de l’Ifé, a mis l’accent sur le collège. « Il faut convaincre les professeurs de collège que lire écrire est de leur ressort. Que le cours de français ne traite pas que de littérature mais que c’est u cours où on continue à travailler les habiletés de lecture et l’apprentissage par l’échange de la compréhension »
Selon lui, la ministre devrait prochainement faire de l’apprentissage de la lecture sous l’angle de la compréhension « un axe pour les prochains mois ». Les préconisations de la conférence devraient aussi impacter la formation des enseignants.
La lecture est aussi une pratique sociale
En effet, les apports de la conférence sont précieux et vastes. Les 47 recommandations impactent fortement le système éducatif. Les appliquer touche déjà la pédagogie courante, par exemple sur l’apprentissage du vocabulaire qui est une zone d’ombre à l’école. Mais cela va plus loin et impacte l’identité professionnelle des enseignants , celle des professeurs de français mais aussi tous les enseignants amenés à enseigner la compréhension du vocabulaire et des textes de leur discipline. La conférence amène aussi à réfléchir à la relation entre l’école et les parents.
Devant un tel programme on peut regretter que la conférence n’ait pas réfléchi à une stratégie d’application des recommandations en hiérarchisant les priorités.
Enfin la conférence a pour nous mal traité une dimension essentielle dans l’apprentissage de la lecture qui est la variable sociale. Pour l’école française, la difficulté n’est pas tant d’apprendre à lire que d’apprendre à lire aux classes populaires et aux minorités. Là dessus la conférence a trois recommandations seulement. Encore traitent-elles surtout du handicap et de dys. On a là la limite d’une approche d’une pratique sociale (la lecture) sous le seul angle des méthodes pédagogiques. Pourtant l’école ne progressera pas tant que cette fenêtre là ne sera pas ouverte. L’apprentissage de la lecture demande aussi une politique sociale inclusive.
François Jarraud
Les recommandations du jury sont publiées
Découvrir la conférence Cnesco sur la lecture : DOSSIER sur ses temps forts
Rapport sur l’application des programmes de 2008
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