« Ils ne font plus attention ! Génération zapping ! Pas de concentration ! » voici quelques une des expressions qui peuplent les conversations des salles des enseignants dans les établissements scolaires. A ce discours s’ajoute celui sur la télévision, la zapette (cf. les propos de Philippe Meirieu), et plus récemment les tablettes et les écrans. Difficile d’ignorer ces questions au-delà des discours convenus et très anciens sur la jeunesse, traduction simpliste du traditionnel conflit des générations (les anciennes ne comprenant plus les nouvelles). Le développement des objets numériques dans l’environnement quotidien, pourtant voulu par les adultes et les parents qui les achètent à leur progéniture, est une cause souvent évoquée mais peu analysée sur le fond. Au-delà de la cause, il y a le contexte de développement des jeunes (environnement et psychologique) et la nécessité d’éduquer. Et dans ce contexte, le monde scolaire, dont les activités requièrent justement l’attention et la concentration des jeunes, est directement questionné.
Que sait-on de l’attention ?
Les travaux de recherche sur l’attention ne sont pas nouveaux. Il se trouve pourtant que plusieurs publications récentes confirment ce que disait Marc Crommelynck (prof émérite en psychologie à Louvain la Neuve) en aout dernier lors d’un échange libre : la question de l’attention est en train de devenir un thème de réflexion essentielle compte tenu de l’évolution de notre société qui se numérise. Confirmations d’abord de l’ouvrage de Yves Citton (¨Pour une écologie de l’attention », La couleur des idées, le Seuil 2014), et aussi de celui de François Maquestiaux (« Psychologie de l’attention », De Boeck, 2013). D’un coté l’étude des mécanismes attentionnels de l’individu, d’un autre l’étude d’une vie en société dans laquelle l’attention de l’individu est sollicitée de toutes parts, plus encore avec les sources numériques. Deux pôles, celui du sujet et celui de son environnement, portent cette question, comme une sorte d’image de conflit, de confrontation.
En disant des élèves qu’ils ne sont plus attentifs, les adultes réitèrent une rengaine connue depuis longtemps de défiance vis à vis de la jeunesse. Le contexte de développement des médias, de flux d’abord dans les années 1960-1980 puis interactifs 1995 – 2015 a largement réactivé cette remarque. En écho à cela on peut se questionner, autour de la notion d’attention sélective, sur l’importance prise par les sollicitations de l’attention dans le quotidien. Il suffit d’aller dans des lieux publics pour observer la place prise par les écrans personnels des téléphones portables et smartphones pour en mesurer la place. Si l’on va dans les salles de classe, en particulier avec les élèves de fin de collège ou de lycée, on a pu remarquer un développement de plus en plus important des usages « clandestins » et « non autorisés » de ces appareils.
Concurrence attentionnelle
Dans la vie quotidienne, en particulier dans l’espace public, les sollicitations attentionnelles sont de plus en plus nombreuses, comme les panneaux publicitaires et toutes autres formes de sollicitation de l’attention. Au domicile, d’autres sollicitations, parfois aussi contradictoires, amènent chacun à devoir « choisir » ses objets d’attentions. La concurrence attentionnelle aussi bien dans les classes que dans la vie courante est de plus en plus importante. Dans la classe cette concurrence amène, depuis longtemps déjà, des enseignants à construire des stratégies différentes du traditionnel magistro centré. Ils ont bien compris que cette forme d’enseignement atteignait rapidement ses limites en terme attentionnel, d’une part, mais aussi en termes de performance, d’autre part. Si l’on analyse l’image du « bon élève », on s’aperçoit qu’elle est signifiée comme celle d’un élève attentif, motivé et autonome. Mais c’est surtout celle d’un élève qui répond, comme il le souhaite, aux demandes de l’enseignant. Comme le montre Héloïse Durler, dans son livre « l’autonomie obligatoire, Sociologie du gouvernement de soi à l’école » (Paiedia PUR 2015), l’élève idéal est donc celui qui répond aux injonctions paradoxales du système éducatif : montrer son autonomie à la docilité, à la soumission à l’attente scolaire.
Les enseignants disent souvent qu’ils remarquent la baisse d’attention de la part des élèves. Ils attribuent souvent cela aux écrans qui se sont multipliés et aussi à des questions éducatives : les sollicitations envers les enfants ne mettraient plus la scolarité au centre de leurs préoccupations, de leur attention. L’utilisation courante du terme attention et de ses déclinaisons, indique bien l’importance qu’on accord à la maîtrise par l’enfant de son attention. Derrière cette question, nous pensons qu’il faut aussi voir des questions d’intention. Si l’attention est la surface visible de l’interaction, l’intention en est la partie cachée. Dans les contextes éducatifs, quelle est l’intention de l’élève, celle de l’enseignant, celle aussi de l’ordinateur pédagogique ?
Les logiciels éducatifs mais aussi l’ensemble des logiciels sont fondés sur des algorithmes qui donnent plus ou moins de « liberté » à l’utilisateur. Ils embarquent l’intention du concepteur pour l’imposer, selon ses choix, à l’utilisateur. L’intention de l’enseignant, dans la classe tente aussi de s’imposer à l’élève. Lorsqu’il n’y parvient pas il déplore l’absence d’attention de l’élève. C’est alors qu’il nous faut interroger l’intention de l’élève. Quelle est l’intention de l’élève que l’on considère comme ne faisant pas preuve d’attention, voire de concentration ?
C’est l’attention ou l’intention qui pêche ?
Le travail mené par Yves Citton nous éclaire sur ce point. Là où nous croyons souvent à des forces intrinsèques, intérieures à l’élève, il nous faut aussi envisager les forces extrinsèques, celles liées aux sollicitations attentionnelles de l’environnement. Dans la classe, le travail de réconciliation est indispensable. Cela n’est pas lié au numérique, il y a longtemps que ce problème se pose, mais le numérique augmente les demandes attentionnelles. Or il s’avère qu’elles sont suffisamment puissantes pour contester l’attention scolaire. C’est donc dans la façon dont nous proposons la scolarisation aux élèves que l’on peut leur permettre d’orienter leur intention vers nos propositions. On le ressent clairement dans les tentatives autour de la classe inversée, des expérimentations menées avec le numérique en particulier qui y voient une possibilité de renouvellement de l’intérêt. Mais attention à la démagogie. Il ne suffit pas d’utiliser les outils courants de la vie des jeunes pour susciter l’intérêt et permettre d’apprendre. Il faut aussi y associer l’intention de progresser, de découvrir qui permet aux élèves de trouver dans leur scolarité des raisons d’espérer. Malheureusement certains raidissements actuels, passés, mais aussi futurs, ne vont pas dans ce sens. Aussi il est utile de se rappeler que les jeunes n’ont pas une attention qui diminue, mais que l’intention envers la scolarité est en train de se modifier.
Danger Mooc…
On voit actuellement apparaître, dans la suite des Moocs universitaires, des Moocs grand public. Il ne serait pas étonnant qu’ils ouvrent une nouvelle brèche dans le paysage des apprentissages et donc dans la proposition scolaire. Si le monde scolaire n’y prend garde, si nos « penseurs politiques de l’éducation » n’en prennent pas conscience on peut penser qu’une nouvelle offre, incontrôlée, va émerger et peut-être concurrencer nos institutions vieillissantes. Souhaitons que l’inventivité éducative ne soit pas stoppée dans les temps à venir et qu’elle permettre de proposer pour tous les jeunes de faire en sorte que leur intention d’apprendre ne se réduise pas à l’intérêt économique de la réussite (ou de l’échec) scolaire.
Bruno Devauchelle