Mieux vaut tard que jamais ? L’Education nationale est-elle enfin décidée à développer la scolarisation des moins de trois ans ? Pour la ministre la faible augmentation du nombre d’enfants de moins de trois ans scolarisés est du aux réticences des familles. Mais bien d’autres facteurs semblent jouer.
On progresse à un rythme trop lent
« On a créé 1100 classes pour 25 000 élèves », annonce N. Vallaud Belkacem le 4 avril. En compagnie de Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, elle présente une nouvelle « grande mobilisation » cette fois ci pour la scolarisation des moins de trois ans.
Il y a des raisons objectives à scolariser des enfants aussi jeunes. Il y a bien un rapport attesté par l’OCDE entre la préscolarisation (ou en France la scolarisation préélémentaire) et le développement de l’enfant. Les effets sont particulièrement positifs pour les enfants des milieux défavorisés. Pour la ministre, cette scolarisation précoce facilite l’intégration et la laïcité.
Or, selon la ministre, « on progresse mais à un rythme trop lent.. Nous avons choisi de développer la scolarisation des moins de 3 ans dans les quartiers les plus en difficulté. Or on constate que beaucoup de familles sont réticentes. Il y a un travail culturel à faire pour convaincre ces familles de recourir à cette offre ».
Le plan de mobilisation
Les deux ministres sont venues annoncer une mobilisation de leurs services pour faire ce travail de promotion. Le schéma ministériel est le suivant. Les Dasen feront connaitre aux caisses d’allocations familiales (Caf) les zones où il sera possible d’offrir des places en très petite section (TPS). La Caf contactera les parents par mail pour leur proposer ces places. Elle utilisera des documents de communication conçus par le ministère et traduits en plusieurs langues.
L’objectif c’est de scolariser 30% des enfants de moins de trois ans en REP et 50% en Rep+. On est aujourd’hui à 19%. Pour y aider la ministre annonce « des moyens pour aider les communes des quartiers défavorisés et des zones rurales à déployer les classes des moins de 3 ans ».
La ministre promet des ajustements spécifiques : un accueil des enfants différé en fonction de l’anniversaire de l’enfant, une adaptation des locaux et des matériels en accord avec la collectivité locale, l’assouplissement des heures d’entrée et sortie des enfants en accord avec les parents.
Que sait on de la scolarisation des moins de 3 ans ?
Le document type annonce que « à l’école, les enfants de deux ans sont accueillis dans des classes adaptées où les enseignants et les assistants sont formés pour s’occuper des jeunes enfants. Ils apportent à chaque enfant ce dont il a besoin pour son développement ». L’image représente un groupe de 4 enfants encadrés par 2 adultes. Devant le tableau noir, une table à langer. Une situation assez éloignée de l’ordinaire actuel des classes de maternelle…
Que sait-on de la scolarisation actuelle des moins de trois ans ? Ce que montrent les chiffres c’est que la droite a largement coupé dans la scolarisation avant trois ans. De 2001 à 2012 le taux de scolarisation a été divisé par trois , passant de 35 à 11%. Au primaire les restrictions de postes se sont d’abord sur ces enfants. Mais depuis 2012, on ne peut pas dire que l’effort ministériel ait été surhumain. Il y avait 91 000 enfants de moins de trois scolarisés en 2012. Il y en a 93 600 à la rentrée 2015. Si le ministère a créé 25 000 places il est clair qu’elles ont servi à scolariser d’autres enfants plus âgés.
Est ce la faute des parents ?
Est-ce la faute des parents ? Les chiffres du ministère en disent long sur les conditions réelles de scolarisation des enfants de moins de trois ans. Neuf enfants sur dix sont scolarisés dans des classes multi niveaux. Dans la moitié des cas c’est une classe bi niveau (TPS et PS) et pour 40% des enfants des classes à trois niveaux ou plus. C’est que la scolarisation de ces enfants reste une variable d’ajustement de l’offre scolaire.
Concrètement le vécu de ces enfants c’est qu’ils sont 4 ou 5 tout petits, mélangés avec 20 à 25 enfants plus grands. Pour tous ces enfants, une seule adulte, la professeure des écoles, assistée, une partie de la journée, par une Atsem (aide d’école maternelle possédant le CAP petite enfance). Pour Pascale Garnier, professeure à Paris 13, « on applique à des enfants des normes scolaires qui ne sont pas à leur portée… Les tout petits sont avec des plus grands et on leur applique un régime de petite section ». On est évidemment très loin du standard d’encadrement des crèches… ou de celui présenté sur la communication officielle.
Interrogée par le Café pédagogique sur ces conditions, la ministre nous répond que « ce qui se passe c’est que dans ces quartiers défavorisés on a parfois un manque de classes. On a donc décidé que l’Etat va financer de nouveaux équipements pour les classes des TPS. Mais si des enfants de moins de 3 ans se trouvent avec des enfants de 3 ans ça ne pose pas de problèmes particuliers car pour accompagner notre politique on forme nos enseignants de maternelle ».
Les collectivités locales en soutien conditionnel
Invitées au ministère les associations ont soulevé les difficultés. Elisabeth Laithier, pour l’Association des maires de France, insiste sur le fait que la maternelle ne peut pas prendre la place des autres modes d’accueil. Pour elle les réticences à la scolarisation sont aussi financières. Elle demande une adaptation des rythmes scolaires , une formation des personnels à la toute petite enfance, une aide financière de l’Etat. La représentante de France urbaine, l’association des métropoles françaises, soulève la question de la restauration et des transports scolaires (les transports en commun ne prennent pas d’enfants en dessous de trois ans). V. Marty, pour la Peep, demande que l’école accueille les parents dès avant la rentrée. L Moyano, pour la Fcpe, revient sur les difficulté financières des familles.
Seuls représentants des enseignants, l’Ageem, association des enseignants de maternelle, souligne l’insuffisance de la formation des enseignants (16 heures en espe au maximum) et pose la question de la scolarisation de ces tout petits dans des classes à 25 ou 30 enfants la plupart plus âgés. La représentante de l’Ageem revient sur le dessin de la communication ministérielle : « une table à langer ? C’est nouveau. Qui va l’utiliser ? » Bonne question…
François Jarraud