En quels termes parler du racisme dans l’institution scolaire ? En parlant en janvier 2015 « d’apartheid territorial, social, ethnique », Manuel Valls avait récolté des critiques d’un côté, des soutiens de l’autre. Mais qu’en est-il en fait dans l’École française ? Peut-on indiquer des pistes pour lutter contre la ségrégation et soutenir le vivre ensemble ?
Juin 2015. Les mères du quartier du petit Bard, à Montpellier, montent à Paris sur l’invitation du Cnesco qui organise une conférence sur la discrimination à l’École. « Nous voulons que nos enfants aient leur place dans la République », disent-elles. Elles viennent demander un collège ethniquement mixte pour leurs enfants. « Le sentiment d’appartenance à la République ne peut se construire dans un ghetto », dit l’une d’elles.
Prénom le plus répandu au bac STMG : Ahmed…
L’École française est-elle vraiment ethniquement ségrégative ? Il faut être aveugle pour poser la question. Une simple visite de lycée professionnel apporte la réponse. Rencontré à la 1ère Journée de la Fraternité à l’École, organisée par le Café pédagogique en mars 2015, Eric Dogo, proviseur adjoint du lycée professionnel Charles Baudelaire d’Évry, ose témoigner : « Dans mon lycée, j’ai des classes que de Noirs. Et on ne fait rien, on accepte… ». Dans son lycée, la coiffure est « noire », l’esthétique « blanche ». En Île-de-France les filières sont en train de s’ethniciser et la couleur de peau devient un critère réel d’orientation, indépendamment des résultats scolaires…
En l’absence de statistiques ethniques officielles, on peut approcher les réalités ethniques par les prénoms. Or on sait qu’il vaut mieux vaut s’appeler Augustin, Marin et Henri pour avoir le bac S. Ou Sixtine, Anouk et Capucine pour le bac ES. Alors que pour le Bac STMG Ahmed, Amel, Nadia ou Youssef suffisent…
Des études pionnières
La question de la ségrégation ethnique à l’École a fait l’objet d’études pionnières. Un an avant les émeutes de 2005, Georges Felouzis levait le premier le voile dans une étude sur les collèges de Gironde. Il s’en expliquait au Café pédagogique. « On observe en effet de la ségrégation au collège et certaines origines en sont plus victimes que d’autres : c’est plus net pour les personnes originaires du Maghreb, d’Afrique noire ou de Turquie ». Dix ans plus tard, il commente l’énorme écart de score en France entre les jeunes issus de l’immigration et les enfants autochtones dans Pisa. « Le fait que le handicap scolaire des élèves migrants reste aussi fort lorsqu’on prend en compte leur origine sociale montre le poids du déterminisme social lié à l’origine migratoire. Ce déterminisme est d’autant plus marqué que la ségrégation scolaire se construit en grande partie sur des critères ethniques. … La ségrégation en fonction de l’origine ethnique des élèves est bien plus marquée qu’en fonction de leur origine sociale ou économique ».
Un système raciste ?
Cet apartheid ne signifie pas que les enseignants soient racistes. Ils sont probablement la catégorie sociale la moins atteinte par cette gangrène. Ce que montre très bien G Felouzis c’est que l’apartheid est systémique. Il n’est pas lié au racisme. Il ne découle pas non plus de l’écart culturel entre l’école et les familles. « Le modèle de la discontinuité culturelle reste valide », nous disait G Felouzis il y a quelques mois. « Mais il ne permet pas d’expliquer la hausse des inégalités depuis 20 ans. La discontinuité culturelle entre l’École et les familles n’a pas augmenté en 20 ans. Ce sont les discriminations systémiques qui peuvent expliquer la hausse des inégalités. Par discriminations systémiques on entend les inégalités d’opportunités d’apprentissage. On dit que l’École française est indifférente aux différences et que c’est un facteur d’inégalités. Mais on observe que l’École est loin d’être indifférente. On s’aperçoit que la ségrégation scolaire est très forte y compris dans l’enseignement obligatoire et même qu’elle s’accentue. La séparation sociale dans les établissements augmente et cela a des conséquences sur les apprentissages. Dans les établissements ségrégués les conditions d’apprentissage sont moins bonnes. On ne donne pas les mêmes chances à tous les élèves ».
Changer d’approche
Alors que faire ? Changer d’approche. Les discours universalistes qui renvoient dos à dos tous les élèves et qui ne pointent pas les perdants du système éducatif n’ont aucune chance de changer les choses. Écoutons Fabrice Dhume. » On a tendance à confondre la question de la discrimination dans une question de racisme et à l’aborder du point de vue des questions de mentalités, d’idéologie. L’approche antiraciste entre, si on peut dire, par en haut, par les côtés « idéels ». La question discriminatoire entre plutôt par en bas, par la question des pratiques : est-ce qu’on traite tout le monde de la même manière ? La réponse est non ».
Étudier le système
Il faut donc observer le fonctionnement du système pour le corriger. Car ce n’est pas seulement parce que leur famille est pauvre ou étrangère qu’un partie importante des élèves échoue scolairement. C’est parce que le système éducatif leur offre moins de moyens qu’aux plus favorisés et qu’il les parque dans des filières et des établissements spécifiques Et là on retrouve G Félouzis. » Ce sont les discriminations systémiques qui peuvent expliquer la hausse des inégalités. Par discriminations systémiques on entend les inégalités d’opportunités d’apprentissage. On dit que l’École française est indifférente aux différences et que c’est un facteur d’inégalités. Mais on observe que l’École est loin d’être indifférente. On s’aperçoit que la ségrégation scolaire est très forte y compris dans l’enseignement obligatoire et même qu’elle s’accentue… Dans les établissements ségrégués les conditions d’apprentissage sont moins bonnes. On ne donne pas les mêmes chances à tous les élèves. C’est un facteur d’inégalités très fort ».
Sur ce terrain, le ministère de l’éducation nationale a entrepris une politique en faveur de la mixité sociale. Elle a réformé l’éducation prioritaire pour lui donner un petit peu plus de moyens. Mais elle reste toujours incapable d’y entretenir des groupes d’enseignants stables, nombreux et expérimentés. Elle tient compte de la composition sociale pour calculer les créations de postes dans les académies. Mais on reste loin du compte. Avoir une éducation prioritaire qui soit vraiment prioritaire, une affectation des moyens privilégiant le social et qui soit fléchée jusque dans les établissements (au lieu de rester des statistiques académiques), accompagner l’École d’une politique de déségrégation territoriale, c’est un axe que devrait prendre l’École.
Connaître l’ampleur du problème
Reste tout le volet culturel. L’École est peu ouvertes aux approches multiculturelles. Elle confond égalité et choix d’une normalité culturelle. Encore faudrait-il déjà qu’elle se dote des indicateurs permettant d’évaluer la situation. Or la France refuse les statistiques ethniques. Elle est même allée dans Pisa 2012 jusqu’à refuser l’enregistrement des prénoms des élèves… En Angleterre comme aux États-Unis ces statistiques sont la base de politiques de déségrégation efficaces. C’est aussi à ce prix que la promesse d’égalité de l’École républicaine peut être tenue.
François Jarraud
Journée de la fraternité : DOSSIER
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/MixitesocialeSegregationscolaire.aspx
Cnesco : Mixité sociale DOSSIER
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2015/2015_MixitesocialeCnesco.aspx
Felouzis
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/09/09092014Article635458448561325721.aspx
Dhume
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/educationcivique/Pages/2014/149_3.aspx
M. Valls
http://cafepedagogique.net/lexpresso/pages/2015/01/21012015article635574208291820650.aspx
Pourquoi les familles juives désertent l’école publique
« À la rentrée, nous avons accueilli 51 élèves venant d’établissements publics, un phénomène en nette augmentation depuis deux ans », indique par exemple la directrice d’une grande école juive sous contrat d’association avec l’État, en région parisienne. » C’est un des témoignages recueillis par Denis Peiron dans La Croix du 11 mars. Les exemples sont contrastés mais la question des insultes et des violences subies par les enfants juifs est clairement posée. C’est bien la question de la sécurité des enfants qui pousse en premier à la desertion de l’école publique.
Dans La Croix
http://www.la-croix.com/France/Pourquoi-les-familles-jui[…]
Sur le site du Café
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