L’école maternelle est-elle en train de perdre ses spécificités ? Avec « Sociologie de l’école maternelle » (PUF), Pascale Garnier, professeure à Paris 13, publie l’ouvrage de référence sur l’école maternelle qui restitue à la fois l’évolution de cette école pas comme les autres et les tensions qu’elle connait en interne. Une analyse précieuse au moment où, avec de nouveaux programmes rédigés par une commission présidée par P. Garnier, l’école maternelle tente un nouveau compromis.
« L’école maternelle n’a jamais cessé d’être une école. Mais les transformations de ces 40 dernières années ont à la fois amplifié et redéfini cette justification scolaire au point d’en faire une évidence ». La première partie de l’ouvrage de P. Garnier restitue l’évolution du concept d’école maternelle tout au long du 20ème siècle.
L’histoire d’une scolarisation
C’est aussi l’histoire d’une profession, celle des maitresses d’école maternelle, dotées u début du 20ème siècle d’un corps spécifique, d’une inspection à part et d’une forte association (qui allait devenir l’Ageem). A la tête de fortes personnalités, comme Pauline Kergomard, qui défendent la spécificité de l’école maternelle. Cette particularité résulte d’un compromis particulier entre l’école, la garderie et la volonté d’épanouir chaque enfant.
Mais depuis les années 1970, l’ouvrage montre comment l’école maternelle s’est petit à petit scolarisée. L’école maternelle a perdu son autonomie au point avec son corps d’inspecteurs et d’institutrices spécifiques. Cette évolution touche tout le monde. « L’idée de métier d’enfant chère à P Kergomard a laissé place à celle de métier d’élève », relève P Garnier. Elle consacre tout un chapitre à l’évolution de l’évaluation à l’école maternelle.
Une école déjà à plusieurs vitesses
La deuxième partie de l’ouvrage est totalement consacrée à la sociologie de la maternelle aujourd’hui. Tout un chapitre fait le point sur les Atsem, l’évolution de leur fonction, leur rôle dans différentes écoles. Ce que montre surtout P Garnier c’est les inégalités entre els écoles résultat des inégalités entre les communes.
On en arrive au portrait d’une école maternelle à plusieurs vitesses qui écorne fortement l’image d’une école que l’on croyait préservée des maux de la « vraie » école. « Le renforcement des ségrégations urbaines est tel qu’il présente la caricature d ‘une école maternelle à plusieurs vitesses où se conjuguent ségrégations sociales et ethniques », écrit P Garnier. « Une bipolarisation sociale et ethnique est d’ores et déjà entrée dans les faits ». L’auteure consacre tout un chapitre à l’émergence d’un marché de produits éducatifs pour la petite enfance qui participe de ce double mouvement de ségrégation et de scolarisation.
En conclusion, Pascale Garnier plaide pour un nouveau compromis et pour une autre école maternelle, démocratique c’est à dire excluant la forme scolaire. D’une certaine façon les nouveaux programmes auxquels elle a fortement participé vont ne ce sens. Mais l’objectif est encore loin.
François Jarraud
Pascale Garnier, Sociologie de l’école maternelle, PUF, ISBN 978-2-13-063265-8, 28€.
Pascale Garnier : » L’école maternelle vit sur son passé »
» Des enfants sont mis en échec très tôt » à l’école maternelle, nous explique Pascal Garnier. C’est la rançon de la « scolarisation » de cette école. Pourquoi l’école maternelle se scolarise-t-elle ? Avec quelles conséquences ? Pascale Garnier va plus loin que son livre…
L’école maternelle a une particularité : c’est le seul endroit du système éducatif où il y a généralement deux adultes dans la classe : l’ATSEM et le professeur. Qu’est ce que cela nous apprend de l’école maternelle ?
Le livre montre que ce n’est pas le cas partout, cela dépend de la richesse des communes et c’est une source d’inégalité. C’est aussi un quotidien récent. Quand on regarde historiquement l’école maternelle il n’y avait pas au départ une ATSEM par classe mais une femme de service par école dès le début du 19ème siècle. Ce principe a prévalu jusqu’aux années 70. Cela a changé à partir de la demande des parents et des enseignants dans els années 1980.
C’est révélateur du compromis autour de la maternelle autour des 3 poles que vous évoquez : la garderie, l’épanouissement et l’école ?
Effectivement au fur et à mesure qu’il y a scolarisation de l’école maternelle les maitresses de maternelle se sont senties plus professeures des écoles en perdant de leur spécificité initiale. De leur coté les ATSEM ont vu leur rôle se déplacer du ménage (dans certaines classes on les sonnait !) vers de nouvelles qualifications. Les deux rôles se déplacent : en 1989 pour les professeurs des écoles , en 1991 pour les ATSEM, moment où elles deviennent personnel territorial.
Vous parlez dans le livre de scolarisation et de « schoolification » de l’école maternelle. C’est la même chose ?
La schoolification vient de la littérature internationale . C’est un mouvement de pression plus forte du système scolaire obligatoire sur le préscolaire. Ce mouvement s’applique pas à la situation française. Il y a une scolarisation à la française.
Elle se définit comment ?
Par trois dynamiques. Il y a une dynamique interne : la transformation du programme et des modèles psychologiques de représentation du développement de l’enfant. Globalement on passe de Piaget : l’accompagnement de l’enfant centré sur une pédagogie du milieu à Vygotsky c’est à dire un rôle plus fort de l’enseignant qui construit des situations vers un résultat où il pousse l’enfant à la limite de ce qu’il peut faire. L’adulte propose des situations qui sollicitent davantage l’enfant et donc cela insiste sur le rôle de l’enseignant.
La deuxième dynamique est externe : c’est la place de l’école maternelle dans les institutions petite enfance et par rapport à l’école élémentaire. A partir des années 1970 on va effacer l’autonomie relative de la maternelle par rapport à l’élémentaire. Par exemple, le corps des inspectrices de maternelle disparait. Elles avaient une forte opinion de l’autonomie relative de la maternelle à l’image de Pauline Kergomard qui disait que « la maternelle doit pousser les portes de l’école élémentaire ». L’école maternelle a pris de la distance par rapport au institutions de la petite enfance et s’est rapprochée de l’élémentaire. On peut citer d’autres faits : 1977 on recrute des hommes à l’école maternelle, en 1989 on inaugure un cycle où la grande section dans le même cycle que le début de l’élémentaire.
La troisième dynamique analysée dans le livre c’est sur l’évaluation : d’une part on évalue l’école maternelle eu regard de la réussite scolaire et d’autre part on créé des évaluations pour évaluer scolairement les élèves de l’école maternelle comme le livret scolaire de maternelle.
Ca renvoie à des débats actuels sur l’école maternelle. Pourquoi cette pression à la scolarisation en France ?
Parce qu’il y a un surinvestissement de l’école. Relisez Dubet et Duru Bellat qui parlent de la vocation de salut de l’école. On pense qu’il n’y a pas d’éducation hors école et par suite elle doit sauver les trajectoires des familles et les trajectoires des collectives par exemple sur la citoyenneté ou le genre. Il y a une demande énorme sur l’Ecole. L’école maternelle est de plus en plus prise dans cette injonction.
Des enfants sont mis en échec très tôt. Mon laboratoire vient de publier sur cette question (« A deux ans vivre dans un collectif d’enfant », ERES édition) et on a montré que cette pression scolaire écrase les tout petits. C’est très négatif. L’accueil des moins de 3 ans en maternelle devrait faire partie d’une politique de réussite éducative. Or ce qu’on observe c’est que cette identité scolaire des enseignants avec le injonctions du programme et les injonctions que se mettent les enseignants pour faire classe aux tout petits conduisent à des situations d’échec dès la toute petite section.
On applique à des enfants des normes scolaires qui ne sont pas à leur portée. Si on veut faire une politique prioritaire il faut revoir cette politique. Il faut savoir qu’il n’y a que 4% des classes où il n’y a que des 2-3 ans. Dans 95% des cas les tout petits sont avec des plus grands et on leur applique un régime de petite section. On a pris l’exemple d’une classe passerelle là on est vraiment dans une politique prioritaire. Elles fournissent un environnement positif pour les enfants car il y a un mélange de cultures professionnelles avec une ATSEM et aussi une éducatrice de la petite enfance . Il faut aussi limiter les effectifs : en classe passerelle on a 3 adultes par classe. Et puis il y a l’accueil des parents qui est fondamental : en très petite section il y a des réticences à les accueillir. Donc avec la pression scolaire les enfants sont mis en difficulté et en particulier pour les tout petits. Le cadre scolaire ne leur est pas adapté.
On dit souvent qu’on est par contre le pays où il y a la plus forte scolarisation en maternelle..
En fait on est à la traine. L’école maternelle vit sur son passé sur le plan qualitatif. Le rapport Starting strong de l’OCDE est très critique. Il dit qu’on développe trop les compétences cognitives au lieu de développer les interactions entre les enfants , les stratégies naturelles d’éducation des enfants. Si on compare la France et les Etats Unis c’est vrai que nous scolarisons tous les enfants à trois ans et pas les Etats-Unis. Mais le ration adulte / enfant est extrêmement élevé en France : c’est même le plus élevé de tout le système éducatif. C’est incroyable alors qu’il faudrait donner une attention individuelle à l’enfant. Je cite dans le livre plusieurs enquêtes qui montrent qu’il ya dans le monde d’autres dynamiques possibles.
Les inégalités sont déjà très fortes à l’école maternelle ?
Oui . Il y a les inégalités territoriales mais aussi sociales et ethniques. Mais elles sont redoublées par les inégalités entre les communes. Dans le Val de Marne, comme le montre le livre, l’écart d’investissement par enfant peut aller de un à dix selon les communes. Ca se retrouve par exemple dans le nombre d’ATSEM dans les classes. Il ya donc besoin de travailler ces inégalités.
On voit des stratégies parentales qui renforcent ces inégalités ?
On voit des parents qui évitent certaines écoles. C’est ce que montrent les travaux d’Isabelle Danic. Et des directions d’école vont aussi parfois dans ce sens en sélectionnant des enfants hors secteur sous des prétextes variés. Les stratégies de ces directions renforcent les inégalités.
Le modèle éducatif français est en difficulté. Faut-il mettre le paquet sur l’école maternelle ?
Pour moi, c’est évident. Il y a la priorité d’un vrai accueil des enfants de moins de 3 ans. Il est prioritaire de diminuer le ration du nombre d’enfants par adulte pour au moins équilibrer par rapport à l’élémentaire. Il faut aussi revoir la formation des enseignants : il n’y a pratiquement plus de formation des enseignants pour la maternelle. Il faut aussi une péréquation entre les budgets communaux pour ces écoles. Tous ces fronts sont à mener pour donner à l’école maternelle toute sa place. Certes l’école maternelle n’est pas obligatoire. Mais la priorité au primaire qui a été posée par la loi d’orientation commence par la priorité à la maternelle.
Propos recueillis par François Jarraud