L’équipement des classes en Tableaux Blancs Interactifs a constitué un investissement onéreux : a-t-il été rentable sur le plan pédagogique ? A voir combien les TBI sont souvent utilisés comme simple écrans de projection, il est permis d’en douter. Pourtant, selon une récente enquête de Thierry Karsenti, 99,2% des élèves préfèrent le TBI au tableau noir. Ses intérêts sont indéniables si on exploite vraiment sa capacité à générer de l’interactivité : du dynamisme, de la motivation, une construction plus claire et plus collaborative des savoirs. En témoigne ici Philippe Godiveau, professeur de français au collège Jean Moulin à Nogent-le-Roi. Adaptation théâtrale d’une fable de La Fontaine, correction de devoirs, cartes mentales … : le TBI facilite une démarche exploratoire et aide à construire une communauté d’apprentissage. Cela suppose que la pédagogie l’emporte sur la technologie : un rappel utile au moment où le salon Educatice expose les nouveautés en la matière et alors que s’annonce un équipement massif en tablettes numériques …
Vous avez mené avec vos élèves de 6ème un travail de réécriture théâtrale d’une fable de La Fontaine : dans quel cadre et avec quels objectifs ?
Cette démarche d’écriture a pris corps en classe de 6ème au sein d’une séquence sur le théâtre. Il s’agissait de tirer profit des acquis sur la poésie, et plus particulièrement la fable, pour amener les élèves à mieux maîtriser la forme et les spécificités du texte théâtral. Les étapes de ce travail de réécritures successives avaient, en outre, le dessein de compenser certaines carences sur le texte dramatique afin de mieux identifier ce genre et ses enjeux. Enfin, ce scénario pédagogique mettait en œuvre des écrits intermédiaires modifiant profondément les conceptions des élèves – persuadés que l’écriture littéraire est l’œuvre d’un seul jet – et les plaçant dans une posture d’auteur.
La particularité de ce travail, c’est que la réécriture est menée collectivement en classe avec un TBI : quelles ont été précisément les étapes et les modalités de ce travail ?
Le TBI est avant tout utilisé en tant que support de visionnage collectif favorisant l’interactivité avec le texte au bénéfice des interactions orales et écrites entre les élèves. Pour ce faire, la démarche propose quatre étapes.
Le texte de la fable est tout d’abord vidéoprojeté et les élèves doivent identifier les éléments à conserver ou à supprimer dans le but d’en faire un texte de théâtre. Dans une démarche d’auto-socio-constructivisme, chacun doit justifier son point de vue après un travail d’investigation au brouillon.
La deuxième étape permet de distinguer parmi les éléments conservés ceux maintenus en l’état et ceux à amender. Par la suite, cela amène à réfléchir sur la présentation du discours direct de la fable sous une forme théâtrale. Enfin, un travail de rédaction des didascalies, des apartés puis d’insertion donnent un aspect achevé à l’ensemble.
Le processus ainsi mis en œuvre se compose de phases orales et de phases d’écriture où l’élève cherche, émet des hypothèses, corrige… Ce scénario met davantage l’accent sur un processus de création, de modélisation que sur un produit fini.
Quelle vous semble dans ce dispositif la plus-value pédagogique du TBI ?
La première plus-value réside dans le fait qu’en dépit des multiples réécritures, des nombreux essais-erreurs, le document reste toujours lisible facilitant la gestion de l’activité pour l’enseignant et le suivi par l’élève. Le TBI propose également un espace collectif de visionnage qui focalise l’attention de tous les élèves (aucun élément distracteur) sur un objet, le texte, qui donne à voir les modifications qu’il subit. Ces dernières prennent un caractère concret pour les élèves.
J’ai parlé précédemment d’essais-erreurs et, de ce point de vue, le TBI, comme bon nombre d’outils numériques, autorise un droit à l’erreur, favorise une démarche exploratoire avec la possibilité de revenir en un clic à un état antérieur du document. Cet outil favorise donc les échanges entre pairs et met son interactivité au service des interactions. C’est là que se constitue la dimension collective de cette écriture.
D’autres usages du TBI sont possibles pour favoriser en cours de français l’interactivité dans la classe : pouvez-vous les éclairer à la lumière de vos diverses expériences de classe ?
Pour mettre en lumière l’interactivité, je me cantonnerai au domaine de l’écriture. Le TBI peut favoriser la programmation d’une production d’écrit. Ainsi, par le recours à la carte heuristique créée et agencée au fil des propositions des élèves, il les aide à mieux comprendre la dynamique de création d’un brouillon et les étapes clés de sa constitution. Encore une fois, le tableau blanc interactif donne à voir en temps réel la création d’un document qui relevait jusque-là uniquement des conseils de l’enseignant. Le TBI rend cette création collective possible et favorise le transfert des compétences sur le plan individuel.
Cet outil a également un fort impact sur la correction. En effet, l’enseignant peut y proposer une copie annotée qui sera corrigée par toute la classe. L’enjeu est double: définir une méthode de correction et favoriser les échanges sur la langue. Quinze minutes suffiront à cette étape avant de passer à une démarche individuelle où chacun reprendra sa copie. Enfin, les outils propres au TBI permettent de créer aisément un corpus qui, analysé, verra une règle se dégager et soumise à mémorisation en vue d’un prochain écrit.
Vous avez mené diverses expériences d’écriture collaborative, avec des outils autres que le TBI : lesquelles ? avec quels profits pour les élèves ?
Le TBI n’est certes pas le seul outil envisageable dans le cadre de l’écriture collaborative. Les blogues ou les wikis présents sur les Espaces Numériques de Travail rendent possible l’écriture à plusieurs mains. Cette forme d’écrit permet de créer une forte émulation chez les élèves, une communauté d’écriture qui évalue ses textes (évaluation par les pairs) et stimule des interrogations littéraires comme, par exemple, sur la notion d’auteur.
Si l’on préfère le travail d’une écriture synchrone, on optera alors pour un pad (par exemple Mopad). Sur une page commune, plusieurs élèves écrivent en même temps pour raconter, prendre des notes, préparer un exposé… Cela leur demande un large déploiement de compétences collaboratives et, pour l’enseignant, la time line conserve les traces de toutes les sauvegardes du document. Il peut ainsi dérouler le fil du raisonnement des élèves, évaluer le processus rédactionnel.
De manière générale, en quoi l’écriture collaborative, si contraire à nos habitudes et si facilitée par le numérique, vous parait-elle une chance pour l’enseignement du français ?
Je ne pense pas qu’il faille envisager ces pratiques comme des révolutions qui en rendraient obsolètes d’autres plus traditionnelles. Il y a là complémentarité et surtout évolution des pratiques scolaires en lien avec celle de la société. Que ce soit dans le cadre des réseaux sociaux ou dans le monde professionnel, s’insérer dans une équipe, travailler à plusieurs sur un même projet constitue la première compétence attendue.
En outre, ces pratiques d’écriture permettent de nourrir des questionnements profonds sur la littérature du collège au lycée : comment définir la notion d’auteur ? Quels sont les éléments déterminant une situation d’énonciation ? Sur quoi repose la littérarité d’un texte ?… On ouvre ainsi la porte à des pratiques renouvelées de création en redonnant le goût de l’écriture. Je pense ainsi à Evernote qui permet l’écriture à partir de différents médias grâce aux BYOD (Bring Your Own Device).
La littérature a toujours été un art renouvelé, cherchant constamment les limites de chaque genre. Le numérique ne fait que conforter cette dynamique et enrichir nos pratiques scolaires.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La chute de la maison TBI : D’après l’enquête de T. Karsenti
Activité TBI théâtre
Activité TBI rédaction
Activité écriture collaborative
Outil d’écriture collaborative Mopad