« On est loin du compte de l’école inclusive ». Au lendemain de la publication des préconisations de la conférence du Cnesco sur l’école inclusive, Sophie Cluzel, qui dirige la Fnaseph, une fédération d’associations de parents d’enfants handicapés, partage ses déceptions. Certains handicaps restent à la porte de l’école alors que certaines difficultés pédagogiques alimentent le flot des handicaps. Les préconisations du Cnesco semblent trop floues. La Fnaseph s’interroge aussi sur la volonté réelle de l’Education nationale d’accompagner la montée scolaire des jeunes handicapés.
Le Cnesco a publié des statistiques surprenantes sur la scolarisation des enfants handicapés qui montrent qu’il y a une forte croissance de leur nombre et en même temps un maintien de celui des enfants dans des institutions spécialisées. Tous ceux qui sont scolarisés de puis 2005 sont des néo handicapés ? Comment voyez vous les choses ?
Il y a en effet toute une nouvelle population d’enfants qui ‘étaient pas diagnostiqués avant, notamment beaucoup de troubles dys, de troubles d’apprentissage qui n’étaient pas inscrits dans le handicap auparavant.
L’intégration scolaire est un peu fictive ?
Non mais elle privilégie les handicaps les plus « faciles ». On est loin d’une école inclusive qui s’occuperait de handicaps plus complexes, comme les troubles cognitifs et la déficience intellectuel qui sont très peu scolarisés au delà de la maternelle. Pour les parents c’est une vraie bagarre pour le scolariser même au primaire. Pour les handicaps moteurs il y a aussi une tendance d’aller vers des EREA qui sont accessibles car il y a un retard dans l’accessibilité des établissements scolaires. On est loin du compte de l’école inclusive. Et il y a toujours enfants sans solution, peut-être 20 000.
Une autre révélation du Cnesco ce sont les inégalités sociales face au handicap. Les enfants issu de milieu modeste ont beaucoup plus de chances d’être déclarés handicapés. Qu’en pensez-vous ?
Il y a une dérive vers le handicap social. On va attribuer un Sessad à une famille qui n’aura pas la possibilité de bien accompagner son enfant. On intègre le handicap social dans les besoins éducatifs de l’enfant. On donne une sorte de compensation pour des raisons sociales. On voit dans des établissements des enfants qui ne relèveraient peut-être pas d’un taux aussi élevé mais qui l’ont pour des raisons sociales.
A t on déclaré « handicap » des difficultés pédagogiques ?
C’est pour cela que le PAP va être intéressant. Il peut faciliter des adaptations pédagogiques sans aller vers le handicap. De ce fait il fera peut etre baisser les statistiques du handicap. Que les adaptations suivent l’enfant sans qu’il soit déclaré handicapé. On espère que les enseignants feront leur part et s’en empareront. Ils ont maintenant des outils pour cela. Le parent peut l’imposer d’une classe à l’autre. Des préconisations ont été données en ce sens. Le cadre existe , les outils aussi. Il faut la volonté d’aller les chercher.
Le Cnesco a rendu les préconisations de la conférence internationale sur l’école inclusive à laquelle vous avez participé. Qu’en pensez-vous ?
Le Cnesco a rendu des préconisations à l’eau tiède. J’attendais beaucoup plus. Par exemple sur la table ronde sur la formation professionnelle il n’y a pas de remontée précise. Un point n’apparait pas et pourtant cela a été dit en plénière, c’est la place de l’expertise parentale. Le mot même n’apparait pas. Alors que de l’avis de tous c’était un levier pour gagner du temps et avancer dans les compensations et adaptations. Dans beaucoup de pays, on en a discuté. , c’est important. La richesse des ateliers ne se retrouve pas dans les préconisations.
Je trouve que les préconisations au final sont assez insipides. On parle de « veiller à » , « encourager », « prendre en compte » , des mots bien peu incisifs , sans pistes de travail alors que les échanges étaient si riches.
Sur la table ronde insertion professionnelle, un sujet très prenant dans les débats, le besoin d’accompagnant ne ressort pas alors qu’on a souligné le besoin et la question budgétaire. Ce sujet n’est pas posé alors qu’on avait demandé que ce soit l’éducation nationale qui soit responsable. L’opacité ambiante avec l’école n’apparait pas c’est dommage.
Le Journal Officiel a publié récemment le décret sur la formation des AESH. Vous en pensez quoi ?
On pense que c’est un diplôme de niveau 5 ce qui est une qualification très insuffisante alors que notre question c’est maintenant la progression scolaire des enfants handicapés. Comment voulez vous faire monter des jeunes handicapés en qualification avec des accompagnateurs de niveau infra bac ?
Il y a aussi une incohérence entre ce diplôme, qui repose sur un socle de 3 composantes dont une sur l’éducation inclusive alors que le décret n’est même pas signé par l’Education nationale. Or ces accompagnants vont être dans les écoles et vont travailler avec les enseignants.
Ce décret n’est même pas passé au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) pour avis alors que trois associations ont travaillé sur ce projet. Je trouve cela un peu léger.
Enfin, maintenant que le diplôme est créé, il va falloir créer des postes. Or on n’a aucune perspective sur ce point. Pour le moment les accompagnants sont sous contrats précaires. Ils sont recrutés sous le régime de contrats aidés c’est à dire que le principal critère c’est l’éloignement de l’emploi. On n’a pas besoin d’affichage mais d’accompagnants formés.
Normalement le premier diplomé devrait être opérationnel en septembre 2017. Il faudra donc voir si ces postes seront inscrits au budget 2017. Pour le moment on est perplexe sur l’implication de l’éducation nationale.
Propos recueillis par François Jarraud