Comment passionner 28 collégiens à travers une enquête scientifique et historique ? Au collège Laennec de Pont L’Abbé, Lomig Le Pape, enseignant en Lettres Modernes et Jean-Marie Robin en SVT travaillent ensemble sur un projet ayant pour origine un squelette. Cette découverte réelle emmène les élèves-enquêteurs sur le terrain et les invitent à interroger de nombreux témoins au cours de leurs expertises. Une production d’article scientifique et de nouvelles littéraires est attendue en fin d’année. Comment s’articule cette investigation interdisciplinaire menée par des adolescents ? Rencontre au pays bigouden avec ces professeurs ayant répondus à l’appel à projet Horizon-mer lancé par l’académie de Rennes.
Quelle est cette vaste enquête menée avec vos 28 élèves de 5ème ?
L’idée était de faire naître une recherche commune en SVT et français à partir d’un questionnement identique, mais d’y apporter des réponses différentes, par la science et par le récit. Durant les premiers cours de SVT de l’année, nous avons essayé de comprendre les particularités géographiques de notre région : comment expliquer par exemple l’existence de la baie d’Audierne cernée par les pointes de Penmarc’h au sud et du Raz au nord. Parmi les premiers documents étudiés, entre carte géologique, clichés aériens et photographies d’affleurements se trouvait une photographie de falaise sur laquelle quelques yeux experts ont cru reconnaître des ossements… Et je dois avouer que les questions ont ensuite rapidement fusé, elles concernaient principalement les ossements, « ma » géologie était un peu mise de côté.
C’est ainsi qu’est né le projet de classe, que faisait « un squelette dans la falaise » ? Nous avons consacré la séance suivante à poser sur papier les questionnements nés de la photographie, à les organiser (carte mentale et schéma heuristique) : est-ce un squelette humain ? A qui appartient-il ? Qu’est-il arrivé à son propriétaire ? Comment est-il arrivé là ? A quelle époque ça s’est passé ? Comment est-il apparu dans la falaise ? La seule information que nous avons pu leur apporter était que la photographie datait du 09 février 2005, et que nous n’avions aucune réponse précise à donner à leurs questions. Il faudrait donc mener nous-mêmes l’enquête.
Que font concrètement les collégiens pendant les séances ? Quelle production est attendue en fin d’étude ?
Très vite toute l’équipe s’est rendue à l’évidence que pour répondre aux problèmes posés, il était nécessaire d’acquérir des connaissances sur notre environnement et patrimoine littoral, notre histoire.
Les modes d’acquisition de connaissances ont rapidement été listés et sélectionnés : réaliser des recherches documentaires au CDI avec l’aide des professeurs documentalistes Cécile Drezen et Charlène Saffray ou en salle multimédias, rencontrer des personnes ressources capables de nous aiguiller, aller directement sur le terrain collecter les informations. Nous avons cherché à développer l’autonomie et la prise de notes en ne fournissant pas systématiquement de questionnaire détaillé lors des sorties mais en invitant les élèves à suivre la règle des 5 W utilisée par les journalistes : Who? What? When? Where? And Why?
Nous avons fixé avec les élèves deux objectifs de travail différents : produire une nouvelle littéraire en liaison directe avec la personne dont le squelette avait été retrouvé, en tenant compte de la cohérence temporelle (certains groupes ont situé leur action au paléolithique, d’autres à l’âge de bronze, certains à la révolution française ou encore durant la seconde guerre mondiale) et rédiger un article scientifique en liaison avec le squelette ou sa découverte (thèmes aussi variés et complémentaires que la conservation des ossements, les informations apportées par l’étude d’un squelette, l’érosion des côtes, les protocoles d’enquête des équipes scientifiques de la gendarmerie, les variations du niveau marin et leurs origines, les aménagements côtiers…). Les informations recueillies sur le terrain ont aussi permis d’alimenter le questionnement en SVT (érosion comparée du granite et des schistes et propriétés de ces roches, arène granitique et sa remobilisation par l’océan, dépôts sédimentaires étagés, rides de courant sur les sables de plage et ripple-marks dans les schistes, ressources exploitées par l’homme).
Pour atteindre ces objectifs, les compétences principalement développées sont liées à l’autonomie et l’initiative ( coopération et collaboration, recherche, sélection et organisation des informations, répartition des tâches et planification du travail dans le temps…), au développement d’une culture scientifique liée à la démarche d’investigation et à la vulgarisation des connaissances scientifiques (rédaction de textes adaptés à un public de même âge et non expert) ainsi qu’au renforcement de la maîtrise de la langue tant à l’oral ( débats, échanges, argumentations) qu’à l’écrit (écriture d’une nouvelle dans un contexte historique).
Vous avez organisé deux sorties terrain dans la baie d’Audierne. L’occasion pour les collégiens d’approfondir leur enquête. Qu’avez-vous fait pendant ces 2 jours ?
Ces deux sorties de terrain sont intervenues assez rapidement après le lancement du projet. La première sortie a été l’occasion d’acquérir des informations permettant de faire avancer les recherches sur la géologie et la géomorphologie de la baie d’Audierne, de découvrir que notre territoire est colonisé par l’Homme depuis très longtemps et que, d’Audierne à Penmarc’h en passant par Tréogat, il reste des vestiges des différentes périodes de la Préhistoire et de l’Histoire. La pointe du Souc’h et le site de Menez Dregan (Plouhinec – 29) qu’elle abrite sont à ce propos remarquables : l’homme a investi les lieux depuis environ 450000 ans, on y trouve entre autres dans une ancienne grotte marine les traces de feux entretenus par l’Homme parmi les plus anciennes d’Europe. Le site, sans doute fréquenté par Homo heidelbergensis au Paléolithique inférieur puis connu de Homo neandertalensis au paléolithique moyen, a abrité Homo sapiens depuis le Mésolithique (il y a 8000-10000 ans) et était encore très fréquenté au Néolithique comme en témoigne la nécropole mégalithique présente en haut de falaise ou l’allée couverte de Pors Poulhan située à moins de deux kilomètres. L’usage de ce dernier site s’est même semble-t-il poursuivi jusqu’à l’époque Gallo-romaine. Pour revenir à la pointe du Souc’h, on y trouve aussi un corps de garde datant de 1747, construit en granite des murs au toit et qui permettait aux garde-côtes de surveiller la présence éventuelle de bateaux pirates ou anglais.
La seconde journée de travail sur le terrain a été consacrée à des recherches dans la partie sud de la Baie, journée ponctuée par une étude du trait de côte sur la pointe de la Torche, et une rencontre avec des bénévoles qui se mobilisent pour la conservation de la Tour Carrée de Saint-Guénolé, port de la commune de Penmar’ch qui fut dévastée par le brigand ligueur La Fontenelle en 1595, ce qui fournit une autre piste à la présence du squelette. Près de la Tour fortifiée de l’église qui servait autrefois de défense des fouilles parcellaires récentes ont mis à jour de vestiges moyenâgeux susceptibles d’être reconnus de valeur internationale par l’UNESCO. Nous avons aussi visité le Musée de la Préhistoire de Penmarc’h afin de récolter des informations sur le mode de vie des hommes au Paléolithique et au Néolithique, le monument aux fusillés de Poulgwen sur la même commune qui rend hommage aux victimes des nazis fusillés en 1944 et enterrés dans les dunes, encore une piste à explorer !
Lors d’une troisième sortie, la gendarmerie nationale nous a également ouvert ses portes et nous avons pu rencontrer et interroger des scientifiques intervenant ou sur des scènes de crime ou sur des zones de pollution : quels sont les protocoles à suivre, comment ne pas polluer une scène…
Un vrai travail historique est mené de -450 000 au Moyen-âge, puis la seconde guerre mondiale. Comment jonglez-vous avec toute cette chronologie ? Quelques mots sur les interventions de témoins devant les élèves.
Ce n’est en effet pas si évident que cela, un travail préparatoire de notre part a été nécessaire et nous avons en amont suivi la même démarche que les élèves lors du projet : recherche documentaires, visites de terrain, échange de connaissances, recherche de personnes-ressource. Nous pouvons aussi compter sur la bienveillance de nos collègues historiens, et en effet, sur la connaissance de passionnés de préhistoire et histoire locale qui donnent gentiment de leur temps. Les rencontres ont commencé sur le terrain avec Mme Catherine Maillard qui nous a parlé de Penmarc’h depuis le moyen-âge à travers l’histoire de la Tour Carrée. Ce travail a trouvé un prolongement en classe où Mme Nicole Pochic est intervenue pour chanter aux élèves la « Gwerz Penmarc’h », complainte historique en breton retraçant le naufrage devant la pointe de Penmarc ‘h d’une flotte capiste rejoignant Audierne depuis Bordeaux et datant probablement du XIVème siècle. Les feux allumés par les penmarchais dans les églises seraient responsables (volontaires ou non, les avis divergent) de la perte des navires de commerce dont les marchandises ont ensuite été pillées (là on en est certain!). Ces « gwerziou » qui relatent toujours des évènements tragiques sont assez typiques de la région et constituent avec les contes un mode de transmission orale redoutablement efficace. Celle-ci, au-delà de l’aspect purement factuel, témoigne de l’importance des ports locaux au Moyen-Âge et des rivalités entre eux.
Lors de la seconde sortie de terrain, Mme Valérie Dufour du Musée de la Préhistoire nous a permis de remettre un peu d’ordre dans la chronologie de périodes préhistoriques, d’associer à chacune d’elles des éléments culturels liés aux coutumes, croyances et rites funéraires, techniques, artisanat… Ce travail se poursuit en classe aux côtés de M. Pierre Gouletquer qui après avoir présenté son parcours d’étudiant, de chargé de recherche en Préhistoire au CNRS (laboratoires de l’Université de Rennes puis de l’Université de Bretagne Occidentale), s’est mis au service des groupes d’élèves pour répondre à leurs interrogations scientifiques, pour les aider à apporter de la cohérence « préhistorique » à leurs récits.
Concernant l ‘histoire maritime de la région, M. Gustave Jourdren, le grand-père d’une élève de la classe, nous a également fait partager tout son savoir de juriste et de membre d’une société d’histoire locale sur les naufrages survenus dans la région, les coutumes d’inhumation des naufragés et les lois régissant les biens retrouvés, les contes locaux relatant des événements tragiques…
Le projet « un squelette dans la falaise » a aussi été l’occasion pour les élèves de découvrir le métier de journaliste puisqu’ils ont eu l’occasion d’être interviewés par M. Stéphane Guiheneuf et M. Antoine Roger journalistes du quotidien Le Télégramme, mais aussi d’interviewer le premier nommé à propos de son métier d’abord, puis concernant sa connaissance de l’affaire du squelette. Fait intéressant lié au journalisme, les articles publiés dans la presse concernant notre projet ont attiré l’attention d’au moins un passionné d’histoire locale qui n’a pas hésité à nous contacter pour partager ses hypothèses.
Ces rencontres enrichissantes ont non seulement permis aux élèves d’avancer dans leurs investigations, mais elles ont aussi éveillé les consciences sur le rôle de la communication orale intergénérationnelle qui , bien avant la démocratisation de l’information par internet, a permis aux générations successives de transmettre des morceaux d’histoire depuis le XVème siècle.
Vous disposez des ressources et les productions d’élèves sur Padlet. Comment s’organisent ces travaux ? Quels avantages voyez-vous à utiliser cet outil ? Pour quels usages ?
Chaque élève dispose sur le serveur de l’établissement d’un espace de stockage personnel et d’un autre commun à la classe sur lesquels ils peuvent retrouver des documents proposés par l’équipe enseignante et déposer leurs propres documents. La seule difficulté était de pouvoir retrouver tous ces documents depuis la maison, de pouvoir présenter un travail à tout moment.
La présence dans l’établissement de collègues qui maîtrisent bien cet outil Padlet nous a permis d’en comprendre assez rapidement le fonctionnement, les élèves se sont plus rapidement encore approprié l’outil. Les règles fixées sont simples et respectées : si lors de recherches documentaires un groupe d’élèves découvre un site internet intéressant par exemple, il l’ajoute au Padlet en tant que « ressource » et en précisant le thème ; si un groupe veut présenter l’avancée de son travail d’écriture (nouvelle ou article scientifique), il le publie sur Padlet. Les enseignants sont administrateurs des deux Padlets, les élèves disposent du même code d’accès et peuvent être modérateurs, ce qui leur permet de modifier leurs travaux.
Padlet permet ainsi de communiquer d’un groupe à l’autre ou au sein d’un groupe, avec les enseignants. Le Padlet est aussi, comme la communication par les médias, un moyen intéressant de faire sortir le projet de la classe ou de l’école : les parents peuvent avoir accès au travail de leur enfant, aux ressources également et ainsi faire partager leurs connaissances du patrimoine local, des légendes locales… La discussion autour du projet scolaire peut donc se poursuivre à l’extérieur du collège.
Parallèlement aux « Padlet », nous avons créé un outil « Pearltrees » propre à l’équipe enseignante et qui s’enrichit au fil de nos découvertes. Pour conclure le projet, notre objectif partagé est de produire un e-book où le lecteur découvrirait tour à tour nouvelles à arrière-plan historique et articles scientifiques de vulgarisation.
Ce projet est réalisé dans le cadre Horizon Mer de l’académie de Rennes. Quel soutien bénéficiez-vous à ce titre ?
Chaque année des classes du collège Laennec sont impliquées dans des projets tels que ceux portés par Océanopolis Brest, « Jeunes Reporters des Arts des Sciences et de l’Environnement ». Dans sa présentation de l’appel à projets, l’équipe d’Océanopolis nous interroge : « N’est-il pas intéressant de considérer les arts et les sciences comme la culture d’une période où les démarches artistiques et scientifiques sont enchevêtrées ? N’est-ce pas une attitude créative, de curiosité qui animent l’artiste et le scientifique? Des disponibilités sensorielle et intellectuelle partagées ? ». Il nous a semblé que vivre le projet « un squelette dans la falaise » nous permettrait l’expérimentation utile pour tenter de répondre à ces questions et c’est assez naturellement que le projet est venu s’ajouter en juin 2015 à la liste des propositions de l’équipe pédagogique du collège.
Nous avons aussi pris connaissance de l’appel à projets pluridisciplinaires inscrit dans la dynamique académique « Horizon Mer », des projets pédagogiques interdisciplinaires « pour aider les élèves à mieux prendre conscience de l’identité maritime de leur territoire ». Parmi les quatre thèmes maritimes proposés, notre projet peut assez légitimement être relié à ceux concernant « … climat et environnement », « … art et imaginaire », « … métiers et patrimoine » et aussi « … recherche et innovation », le compte y est. C’est donc assez logiquement que nous avons aussi répondu à cet appel à projet. Nous avons aussi bénéficié du soutien de notre direction qui nous a alloué une heure pour le projet, formant un bloc de trois heures français projet SVT le lundi matin, et nous a financé toutes les sorties demandées.
Ce projet doit motiver vos collégiens. Avez-vous des retours d’élèves et des parents à nous partager ?
Les élèves semblent en effet motivés, ils participent activement, questionnent, explorent, certains n’hésitent pas à poursuivre les investigations en dehors du collège, que ce soit sur internet ou sur les plages. Les travaux d’écriture avancent aussi et les délais sont pour le moment respectés.
A en croire ce que rapportent les journalistes du Télégramme venus les rencontrer, les élèves sont très enthousiastes et apprécient les modes de fonctionnement proposés, les multiples rencontres participent à ce plaisir apparent dans le travail. Une maman interrogée sur le sujet met en avant la motivation créée par le sujet et le travail collaboratif ou en groupes, la diversité des connaissances découvertes qui enrichissent au-delà des disciplines impliquées ; c’est parfois en allant sur les sentiers côtiers qu’on sort des sentiers battus.
Personnellement nous avons tout de même ressenti chez eux une pointe de déception le jour de la première sortie sur le terrain : dans le secteur-même où le squelette avait été découvert, les élèves ont fouillé, cherché, investi, exploré… les dernières tempêtes n’avaient pas mis à jour de nouveaux ossements !
Propos recueillis par Julien Cabioch