Ce matin-là, les élèves étudient la lettre O. Denise, la maîtresse, a écrit au tableau: « Orange, Oreille, Oiseau »… Les douze enfants assis autour des petits bureaux assemblés en rectangle, sont emmitouflés dans des anoraks. Certains ont gardé leurs bonnets, d’autres leurs mitaines. Des crayons et des feutres de toutes les couleurs posés devant eux, ils dessinent sur des feuilles. Ils jacassent aussi beaucoup. Mais la maîtresse laisse faire. Le 6 février, alors que des anti-migrants manifestaient dans le centre de Calais, on inaugurait, en fanfare, une école dans le camp. Un projet porté à bout de bras par des bénévoles, soutenu par des organisations comme Solidarité Laïque (1), mais où l’Etat est notoirement absent. Reportage.
Aujourd’hui est une journée particulière. C’est l’inauguration officielle de l’Ecole laïque du Chemin des Dunes, du nom de la rue en terre qui longe le camp de migrants. Ouverte en novembre 2015, toutes les installations ont été achevées maintenant.
Des journalistes et des associations ont été invités à la visiter. Les élèves – pour l’essentiel des Kurdes d’Irak -, âgés de 5 à 11 ans, sont mitraillés par les photographes. La fanfare des Clowns sans Frontières (2) fera ensuite le tour du camp, avec distribution de flyers pour faire connaître l’école.
Tour de force
Nous sommes dans la partie qui a poussé à côté du « camp officiel » avec ses containers pour loger les migrants. C’est un vaste bidonville de tentes en bâches et de cabanes en aggloméré, au sol perpétuellement boueux, jonché de détritus par endroits.
Officiellement, les migrants ne seraient plus aujourd’hui que 4 000 au total dans le camp. Mais les humanitaires en doutent avec les arrivées constantes, et parlent plutôt de 7000.
Dans ce cadre, c’est un tour de force d’avoir réussi à monter cette école. Située en lisière du camp, à la limite de la partie qui vient d’être rasée pour dégager un no man’s land le long de l’autoroute, elle compte 4 « bâtiments » disposés en U: une salle de classe pour enfants, une autre pour adultes et adolescents, une infirmerie et une salle de réunion. Au centre, une cour en terre avec un toboggan et des agrès en bois.
Cagettes, isolant, lino…
Les bâtiments ont été construits à partir de cagettes – le bois étant très prisé pour se chauffer, il a fallu les surveiller le temps de la construction. Les murs sont en bâches, la toiture protégée par un matériau isolant argenté. Le sol est recouvert de lino. Pour chauffer les locaux, l’école possède un générateur, fourni par les Anglais, majoritaires parmi les bénévoles du camp.
Les classes sont bien équipées. Dans celle des enfants, il y a des bureaux et des petites chaises en bois, une bibliothèque, des réserves de cahiers et des crayons, un coin dînette et même un coin pour les tout-petits… Dans celle des adultes et des ados – souvent des mineurs isolés -, on trouve des ordinateurs fournis par Solidarité Laïque.
L’école fonctionne tous les jours. Elle propose des cours de français, d’anglais – très demandé -, des ateliers d’arts plastiques, de slam, de tai chi chuan (3), des lectures de contes, etc.
« Il s’agit d’offrir à des frères d’infortune un espace où on apprend, où on vit, où on trouve du réconfort, explique Zimako Jones, le réfugié nigérian à l’origine du projet et qui habite dans une cabane sur place, faisant fonction de gardien, un espace où on retrouve sa confiance en soi et la dignité. »
Chaîne de bénévoles
Tout cela n’aurait pas existé sans la chaîne de bénévoles qui font vivre l’école. Une trentaine de personnes, habitant Calais et la région, ou venant de plus loin pour donner des cours le week-end par exemple, ainsi que des étrangers, anglo-saxons surtout.
A l’origine du projet avec Zimako, Virginie, orthophoniste, en assure la coordination et est aussi prof d’arts plastiques. Autre pilier de l’école, Nathalie, éducatrice de jeunes enfants, est responsable de la partie pédagogique.
Il y a aussi Denise, professeure brésilienne qui enseigne aux petits, Christophe, vétérinaire, qui donne des cours de français et parfois d’anglais aux adultes – « je fais des conférences dans mon métier, je suis un peu habitué » – , Christel, urbaniste, qui enseigne les arts plastiques, apporte la terre pour faire de la poterie, puis fait sécher chez elle les réalisations.
Solidarité Laïque avait lancé une campagne de dons parmi ses membres (4). Cela a notamment permis d’acheter des palettes, des bâches et des équipements pour la classe, et de faire faire le raccordement électrique.
Et l’Etat dans tout ça ?
Pour les bénévoles comme pour les organisations solidaires, l’absence de l’Etat est choquante. Selon la loi (5), il a en effet obligation de scolariser tous les enfants de 6 à 16 ans vivant sur le territoire, français ou non, migrants compris.
Le 21 septembre 2015, peu après la découverte du corps du petit syrien Aylan sur une plage turque, la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem avait vanté le dispositif prêt à accueillir les enfants migrants. Elle avait visité le CASNAV (Centre Académique pour la Scolarisation des enfants Allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs) de Paris (6).
Samedi, jour de l’inauguration, l’Inspection académique a fait savoir qu’elle mettait trois postes enseignants à disposition et qu’elle attendait qu’on vienne les lui demander. Mais la propositions tombant soudainement, personne ne savait exactement qu’en penser.
« Il fallait faire quelque chose »
Delphine, 30 ans, est prof documentaliste dans un collège d’Audrucq, entre Calais et Dunkerque. Elle vient à titre personnel à l’école. Tous les mercredis, de 10 heures 30 à 12 heures, elle y donne des cours de français.
Elle a commencé en juillet 2015 dans l’ancienne école, une cabane qui se trouvait au bord du Chemin des Dunes. Trop petite, on n’y accueillait que des adultes. Puis elle a suivi sur le nouveau site.
« J’étais très peinée par la situation, explique-t-elle, il y a un an, on avait fait des évacuations forcées de migrants dans Calais où j’habite. J’avais honte, je ne pouvais plus croiser leur regard.
« En vacances, je me suis dit: je ne peux pas laisser ça, il faut faire quelque chose. Je suis allée voir une association qui faisait de la distribution dans le camp – « Calais ouverture humanité ». On a commencé par visiter l’école. J’ai rencontré Zimako. Il m’a tout de suite recrutée. »
« J’apporte de l’humanité »
« J’enseigne à des adultes ou à des ados, poursuit Delphine. Au début, c’étaient plutôt des Soudanais qui voulaient rester en France. Aujourd’hui, c’est plus disparate, il y a surtout des Kurdes. Pour enseigner, on passe par l’anglais si besoin. Ou on mime, on dessine. On a aussi des dictionnaires arabe-français et je dis le mot arabe en phonétique.
« Je viens chaque semaine. Une fois, je n’étais vraiment pas en forme, j’ai préféré renoncer. Mais quand je ne viens pas, ça m’embête. J’ai eu les deux premiers mois difficiles. Autour de moi, les gens me demandent: comment tu fais pour supporter ça ? C’est vrai, ça nous travaille. J’ai réussi à me détacher un peu, je donne ce que je peux.
« Je fais quelque chose, j’apporte de l’humanité, un regard, de la chaleur. Ca donne une autre dimension à la vie. J’apprends beaucoup de choses d’eux. Après tout ce qu’ils ont vécu, ils ont le sourire, ils ont une volonté d’apprendre, ils ne désespèrent jamais. »
Véronique Soulé
(1) http://www.solidarite-laique.org/
(2) http://www.clowns-sans-frontieres-france.org/
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Tai-chi-chuan
(4) Dont notamment les Eclaireurs et éclaireuses de France, la Ligue de l’enseignement 62, la MGEN, l’association Revivre, les syndicats SE-Unsa et SNUIpp.
(5) http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=61536
(6) http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2015/09/21/les-casnav-de-leducation-nationale-mobilises-pour-laccueil-des-enfants-refugies/ et sur le Café http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2015/09/22092015Article635785010268336502.aspx