En l’an 1200, à l’abbaye de Tournus, les reliques de Saint-Philibert ont été volées et le moine qui en était responsable a été tué ! Tel est le point de départ (imaginaire) d’un scénario pédagogique qui a amené des 5èmes à s’engager dans un projet interdisciplinaire de simulation globale, jusqu’à le jouer sur les lieux-mêmes de l’histoire. En français, on développe la capacité à construire des personnages, à décrire, à composer lettres et dialogues. En histoire-géographie, on ancre la fiction dans un cadre réaliste. En musique, on aborde les chants grégoriens et profanes du Moyen-âge. En documentation, on développe les compétences informationnelles. Cerise sur le gâteau de cette immersion créative : « une certaine bienveillance réciproque s’instaure entre les élèves et les enseignants impliqués dans le projet. » Bernard Corvaisier, professeur au collège de Sennecey-le-Grand en Saône-et-Loire, en éclaire ici le déroulement.
Le projet « Meurtre à l’Abbaye de Tournus en 1200 » relève de la « simulation globale » : pouvez-vous expliquer ce que recouvre cette notion de « simulation globale » ?
Son concepteur est Francis Debyser, du BELC (Bureau d’Etudes des Langues et des Cultures), qui initia le principe en 1986 avec l’Immeuble : « Une simulation globale est un protocole ou un scénario cadre qui permet à un groupe d’apprenants (…) de créer un univers de référence, un immeuble, un village, une île, un cirque, de l’animer de personnages en interaction et d’y simuler toutes les fonctions du langage que ce cadre, qui est à la fois un lieu thème de référence et un univers de discours, est susceptible de requérir. »
La démarche relève d’une « histoire alternative » : comment se joue cet équilibre entre réalité et fiction ? quels vous en semblent les intérêts ?
Pour répondre de manière schématique, les élèves doivent porter un regard critique sur leurs productions afin qu’elles soient réalistes. Ils doivent s’appuyer sur les ressources historiques utilisées dans les cours d’Histoire. La fiction historique permet de mêler les compétences d’histoire et de français.
Dans le projet s’articulent 4 disciplines : comment chacune y trouve-t-elle sa place ?
Très concrètement, les élèves ont un porte-vue dans lequel ils regroupent tous les documents et les productions réalisées. Ce porte-vue est utilisé dans les quatre disciplines. .
Chaque discipline trouve sa place autour des productions des élèves. Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple de la construction des portraits des personnages. Les élèves utilisent les chapitres d’histoire relatifs au Moyen-âge pour saisir le cadre matériel et mental ainsi que le contexte historique.
Ils doivent aussi mobiliser les compétences de Français suite à la séquence sur la description (au programme de 5ème). Ils s’engagent dans des travaux de recherche spécifiques au CDI pour donner plus de réalisme à leur personnage. Enfin, les élèves appréhendent l’univers musical du monde médiéval autour des deux traductions : les chants grégoriens et les chansons profanes. Ils se doivent de pouvoir en interpréter.
L’histoire est amenée à se déployer dans des « lieux-thèmes » : pouvez-vous éclairer cette notion ?
Trois lieux-thèmes sont envisagés et permettent de jouer en situation les trois grands moments de cette histoire. Ces lieux-thèmes sont importants car les élèves vont jouer (prendre la parole), donc incarner leur personnage.
Les lieux sont visités de manière classique puis sont investis ensuite par les personnages. Le premier lieu-thème est la crypte de l’abbaye de Tournus où chaque binôme a 1 minute trente pour se présenter. C’est le lieu aussi où un moine (incarné par le professeur) dévoile l’intrigue. Enfin dans le chœur de l’abbaye, les élèves interprètent un chant grégorien.
Le deuxième lieu-thème est la ville de Provins où les élèves incarnent leurs personnages lors des Foires de Champagne. Ils interagissent devant la « Ferme aux Granges ». Ils doivent jouer une scène autour d’une transaction entre le marchand de Provins, les moines de Cluny et le seigneur de Brancion. Les élèves finissent ensuite sur la place centrale afin d’interpréter quelques chants profanes.
Le troisième lieu-thème est la basilique de Vézelay. C’est le dénouement de l’intrigue. Les élèves jouent le procès du meurtrier qui finit devant le tympan.
Les élèves sont invités à créer et faire vivre dans ces lieux différents personnages : comment s’opère cette construction narrative ?
La construction narrative se réalise en deux temps. Le travail de construction se fait en amont. Les élèves élaborent leur production écrite autour de la thématique annoncée. Puis le jour même, les élèves sont réunis pour assister à la scène. Nous, enseignants, annonçons un nouvel élément déstabilisateur.
Le temps de la présentation : les élèves ont 20 minutes pour élaborer leur nouveau positionnement et ensuite celui-ci est joué. L’enseignant régule la scène.
Les nouveaux rebondissements sont pris en compte et vont servir ensuite au dénouement final.
Une intrigue permet de mettre ces personnages en action et en interaction : quel scénario avez-vous imaginé ? pouvez-vous donner des exemples de situations amenant dans ce cadre les personnages à entrer en relation ? quelles formes ces relations prennent-elles ?
Le scénario n’est pas très original mais fonctionne bien. Les reliques de Saint-Philibert de Tournus ont été volées. Le voleur a assassiné le moine qui était responsable des reliques. Il faut retrouver le meurtrier. L’un des personnages du groupe est le meurtrier. A partir de là, l’enquête commence.
Voici quelques exemples de personnages : l’abbé de Cluny, un paysan de Briançon, un moine musicien, un marchand de Provins, Thibault IV Comte de Champagne, un moine de Vézelay, Blanche de Navarre, Marguerite de Salins…
Dans ce cadre de notre simulation, les enseignants suscitent les interactions importantes entre les personnages au moyen de messages distribués aux élèves. Par exemple : « « Tu as vu une ombre, vêtue de noir, fuir la basilique Saint-Philibert ! », est le message adressé au paysan, qui doit alors écrire une lettre au moine de Vézélay. Les interactions prennent la forme d’échanges de courriers, mais provoquent aussi des scènes orales qui se jouent dans la classe ou en situation sur les lieux-thèmes.
Il y a enfin toutes celles qui nous échappent et qui sont très nombreuses en dehors de nos cours. Par expérience, les élèves poursuivent entre eux les recherches au-delà des heures de français, d’histoire, de musique ou de documentation.
Vous avez pu vous rendre sur les lieux mêmes de l’intrigue pour des mises en situation : comment se sont déroulées ces restitutions in situ ?
Elles se déroulent dans les lieux bien précis : la crypte de l’abbaye de Tournus, au pied du tympan de la basilique de Vézelay, devant la « ferme aux granges » à Provins. Les élèves jouent les scènes préparées chacun à leur tour. Ils utilisent des notes qu’ils ont rédigées. L’écoute est active, car ils doivent intégrer les remarques des uns et des autres dans la recherche du meurtrier. Les élèves peuvent alors réagir plus spontanément. Les scènes jouées sont autant de rebondissements vers le dénouement.
Au final, quels vous semblent pour les élèves les intérêts de telles démarches ?
La place de l’imagination est une source de motivation. L’incarnation dans un personnage amène les élèves à utiliser les compétences travaillées en classe autour de leur projet personnel. Cela permet de se décentrer et de se projeter dans un autre univers, une autre histoire, se positionner différemment par rapport au groupe et à soi-même.
La variété des compétences mobilisées permet à tous les élèves de trouver leur place dans le projet. Un sens nouveau est donné aux visites. Les élèves découvrent des lieux qu’ils investissent ensuite collectivement pour jouer la simulation. C’est d’une grande motivation, et complètement inédit.
Enfin, le climat de la classe s’en ressent. C’est un projet fédérateur. Certes, cette dimension est difficilement quantifiable mais me semble bénéfique au cours de l’année. Une certaine bienveillance réciproque s’instaure entre les élèves et les enseignants impliqués dans le projet.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par de semblables aventures ?
Je ne suis jamais très à l’aise pour donner des conseils. Après expérience, deux points me semblent importants : ne pas négliger le projet de déplacement dans les lieux-thèmes. C’est un puissant ressort de motivation pour les élèves. L’autre est de fournir aux élèves une grille d’évaluation pluridisciplinaire aux élèves afin qu’ils puissent guider leur travail
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Pour en voir plus et écouter les élèves
Pour en savoir plus, analyse de séquence dans un dossier de l’AFEF