L’expression artistique, la sensibilité sont des chemins qui peuvent amener à la géographie. Sophie Gaujal porte cette conviction avec une sureté qui a déjà entrainé près de 140 enseignants et peut-être bientôt vous ! C’est que son projet original de « cartes postales sensibles » nous ramène bien aux fondamentaux de la géographie : aller sur le terrain, se représenter l’espace et être conscient de ce qu’est une représentation, encourager une approche citoyenne de la géographie. Une démarche à connaitre.
De décembre 2014 à mars 2015, trois classes de seconde du lycée J Prévert de Boulogne Billancourt, ont été invitées à représenter leur espace vécu. Le Café pédagogique s’en est fait l’écho. Le principe de l’exercice était d’obtenir une cartographie de l’affectif projeté sur le territoire, ici plus ou moins bien connu. Ainsi, les sensations auditives, olfactives ou visuelles, les sentiments d’attachement ou de rejet, les habitudes et les incertitudes ont été transformés en figurés cartographiques. « La géographie c’est une science de terrain et on peut parfois faire pratiquer du terrain aux élèves en leur faisant construire leur savoir », nous disait Ariane Jourdan, une des enseignantes de ce projet.
Sophie Gaujal est derrière ce concept de carte sensible. Professeure d’histoire géographie au lycée J Prévert de Boulogne Billancourt, elle est aussi prof relais à la Cité de l’architecture. Après un master de didactique à Paris Diderot elle prépare une thèse en didactique de la géographie. Elle lance un concours de cartes sensibles destiné aux écoliers, collégiens et lycéens qui invite à une pratique interdisciplinaire, artistique, expressive de la géographie. Vous avez jusqu’au 10 février pour y participer.
Derrière cette idée de « carte sensible », quelle conception de la géographie défendez-vous ?
C’est une approche culturelle d’une géographie de l’habiter. Ca s’inscrit dans les programmes actuels qui ont introduit l’étude de l’espace proche.
Qu’est ce que cela apprend aux élèves sur leur espace ?
L’idée c’est de leur permettre d’articuler une approche spontanée de la géographie avec les concepts que l’on apprend en classe. Habituellement les programmes privilégient une géographie mondiale. Là c’est l’occasion de leur montrer que la géographie est en prise avec leur quotidien. C’est une approche spontanée articulée avec une approche raisonnée en classe.
La carte sensible est le début d’une réflexion des élèves sur l’espace ?
C’est plutôt un premier aboutissement. Le vrai début de la réflexion c’est la sortie sur le terrain qu’on espère sensible. Elle sert à répertorier des données sensibles qui seront ensuite représentées sur la carte sensibles. La carte sensible concrétise cette approche et permet aux élèves de communiquer leur savoir.
Quand on fait travailler comme cela les élèves sur leur espace citoyen n’est on pas aussi dans une démarche citoyenne ?
La géographie de toute façon s’inscrit dans une démarche citoyenne. Là ça leur permet de travailler sur les aménagements. L’idée c’est bien que les élèves puissent se penser comme acteur de leur territoire. Que c’est un territoire construit et qu’il peut être construit par eux. Par exemple quand on va sur les terrains Renault à Boulogne Billancourt, tout près du lycée, on a un terrain privilégié pour réfléchir aux acteurs de l’aménagement.
La carte sensible n’interroge -t-elle pas aussi la place de la cartographie dans l’enseignement de la géographie. Au final celle ci se réduit à quelques cartes à apprendre par coeur pour l’épreuve du bac… Vous allez contre cela ?
C’est bien l’idée. C’est un travail que l’on fait en première pour que les élèves comprennent que une carte c’est une production en l’occurrence la leur. C’est aussi par le dessin que des élèves qui ne sont pas à l’aise dans le conceptuel , en passant par leur capacité d’abstraction dans le dessin, arrivent aux concepts de géographie. Ca leur permet de voir qu’il n’y a pas que des conventions dans la cartographie . Ca libère leur créativité.
C’est aussi rappeler que toute carte n’est qu’une représentation et jamais la réalité ?
Exactement. Ca se rattache à une approche épistémologique du programme de terminale , l’idée que les cartes sont construites.
Vous lancez cette année un concours. Il s’adresse à qui ?
Il s’adresse à tous ! Au primaire, aux collégiens aux lycéens et pas seulement aux professeurs d’histoire-géo. Un tiers des participants ont d’ailleurs été inscrits par des professeurs d’arts plastiques. On est très curieux de leur avis car c’est un concours vraiment interdisciplinaires. Beaucoup de classes se sont inscrites avec des professeurs de plusieurs disciplines. On compte bien sur beaucoup de professeurs d’histoire-géo et d’arts plastiques mais aussi beaucoup de professeurs de langues qui y ont vu une opportunité pour faire travailler els élèves sur leur quartier et envoyer une carte postale à leurs correspondants. On a aussi des professeurs de lettres. J’attends maintenant les professeurs d’éducation musicale.
On a aussi beaucoup d’élèves de classes de quartiers sensibles et de classes de décrocheurs. Ils sont sur le même projet que des classes européennes. La carte sensible intéresse un large panel !
Actuellement nous avons 140 classes inscrites pour cette première année, soit 35 du primaire, une soixantaine de collège et 30 du lycée. Des enseignants partagent avec nous leur mise en oeuvre. C’est important de diffuser la façon dont les professeurs s’y prennent pour faire réaliser collectivement une carte sur un format A5. Sur le carnet de bord du concours on a déjà 11 professeurs qui partagent leur secrets de fabrique avec du primaire, du collège et du lycée. Ca donne une idée de la diversité de ce qu’il est possible de faire. D’ailleurs en primaire ils auraient des leçons à nous donner !
Propos recueillis par François Jarraud