La refondation a-t-elle touché le métier enseignant ? A en croire le sondage Harris publié à l’occasion du colloque national du Snuipp le 19 janvier, la réponse est négative. Il montre une large insatisfaction des professeurs des écoles, en ce qui concerne le salaire bien sur, mais aussi sur leur rapport au métier. Fiers d’être enseignants, les professeurs des écoles se sentent aussi impuissants, entravés par l’administration. Des critiques très lourdes mais qui s’accompagnent aussi, paradoxalement, d’un regain d’opinion positive envers le ministère et l’inspection. Comme s’ils n’étaient plus jugés responsables de la situation ?
Un métier dégradé
« On veut porter dans le débat public l’urgence d’une refondation concrète de notre métier ». En publiant le 19 janvier les résultats d’un sondage Harris sur la perception du métier de professeur des écoles (5 555 contributions), Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, réduit les enseignements tirés de ce sondage. Certes le métier est bien jugés en panne par les enseignants et sa refondation reste à faire. Mais le sondage montre aussi une atténuation des tensions qui ne laisse de surprendre alors même que le sentiment de déclin du métier est bien là.
En effet c’est le sentiment de dégradation du métier qui domine chez les professeurs des écoles, partagé par 88 d’entre eux. Une majorité (58% ) se déclare insatisfaite de ce métier. Ce qui l’emporte c’est le sentiment d’impuissance (71%), la déception (63%). Les motifs d’insatisfaction sont d’abord le salaire (83% de enseignants), la charge de travail et surtout les taches administratives (88%). Les APC sont perçus très négativement : 81% des enseignants ne sont pas satisfaits. On les juge chronophage et incapables d’aider les élèves.
Atténuation des tensions avec l’institution
Mais , en positif, les enseignants se déclarent fiers de leur métier (80%), motivés (75%) et particulièrement pour la réussite de leurs élèves (54%). Car c’est tout ce qui est proche qui motive. Les professeurs des écoles sont satisfaits des relations avec leurs collègues (91%) et leurs élèves (91%). Même les parents sont perçus positivement pour 74% des enseignants.
La surprise de ce sondage c’est l’amélioration de la perception de l’institution. 53% des enseignants jugent l’inspection constructive, 54% ont un avis positif sur leur relation avec l’inspecteur. Certes seulement 21% ont la même opinion du ministère. Mais c’est 11% de plus qu’en 2014.
Car incontestablement on enregistre une amélioration de la perception du métier. Les satisfaits du métiers sont toujours minoritaires mais ils sont 5% de plus qu’en 2014. La fierté et la motivation progressent de 7 et 8%. Le sentiment d’impuissance recule de 6%.
Comment expliquer ces évolutions ? D’une part il semble qu’il y ait une amélioration réelle en maternelle où les nouveaux programmes ont été perçus très positivement comme une reconnaissance du savoir faire des enseignants. Au delà les enseignants semblent piégés dans les contradictions d’un métier où ils ont le sentiment d’être entravés et la certitude qu’il est important. Ce qui reste certain ce sont les attentes : 69% demandent une revalorisation salariale, 36% de la formation.
Une revalorisation attendue
Sébastien Sihr souligne « les grandes marges de progrès pour améliorer les évolutions du métier ». Il demande la parité entre Isae et isoe, deux primes représentant 400 € au primaire mais 1200 € au secondaire. Il demande aussi une évolution du cadre de travail jugé « inadapté et sclérosé ».
C’est bien sur ces évolutions du métier que des experts et des enseignants ont travaillé lors du colloque. Une équipe d’enseignants des Bouches du Rhône a montré comment en collectif ils reprennent la main sur leur métier. Accompagnés d’un chercheur, un collectif d’enseignants se réunit régulièrement pour décrire les gestes du métier dans la classe ou hors la classe. Ils se réapproprient ainsi une identité professionnelle dans une construction commune.
C’est sur cette dimension impersonnelle qu’Yves Clot, détenteur de la chaire de psychologie du travail aux Arts et métiers, est intervenu. Il montre le paradoxe de la fierté du métier alors qu’on se déclare impuissant dans son exercice, un peu « comme une fierté ravalée ». Il souligne l’importance de la dimension impersonnelle du métier. « L’organisation du travail fait partie du métier et doit appartenir aux professionnels ». Or c’est bien dans l’impersonnel que se construit la subordination et le sentiment d’impuissance des enseignants. Il invite à « voir comment se construit la position subalterne des enseignants dans l’inspection ». Beau sujet…
François Jarraud