Comment aborder le concept d’espèce au lycée ? Quelles ressources originales sont disponibles pour étudier la fabrication d’outils par les primates ? Frédérique Théry, enseignante de SVT au lycée Marcelin Berthelot de Pantin (93) réalise un dossier complet sur les bonobos directement exploitable en classe. Les 8 fiches pédagogiques en ligne sur le site de l’académie de Créteil ont été conçues en lien avec le Muséum national d’Histoire naturelle. Rencontre avec cette enseignante également impliquée sur le terrain en République Démocratique du Congo.
Que trouve-t-on dans ce dossier Bonobo publié sur le site de l’académie de Créteil ?
Bien moins connu du grand public que son plus proche parent le chimpanzé, le bonobo est également moins représenté dans les ressources pédagogiques mises à disposition des enseignants. Le dossier sur le bonobo que j’ai élaboré vise à pallier cette lacune, en fournissant au corps enseignant un ensemble de huit « fiches », chacune examinant un aspect précis du programme de SVT du lycée à travers le prisme du bonobo. Les thématiques abordées sont variées, couvrant de façon exhaustive l’ensemble des niveaux concernés du lycée (2nde, 1ère ES-L, 1ère S, terminale S) : impact des activités humaines sur la biodiversité, relations de parenté au sein des Primates, comportement sexuel et système de récompense, concept d’espèce et spéciation, dispersion des graines, fabrication et utilisation d’outils par les Primates, comparaison du genre Pan (auquel appartiennent le chimpanzé et le bonobo) et du genre Homo. Les enseignants y trouveront un ensemble de ressources directement exploitables en classe, leur permettant de renouveler et de diversifier leur arsenal pédagogique.
Au-delà de l’aspect purement pédagogique, la création de ce dossier a été sous-tendue par la volonté d’informer et de sensibiliser un grand nombre d’élèves aux menaces pesant actuellement sur le bonobo : la population de cette espèce, vivant exclusivement en République Démocratique du Congo, dans une région du bassin du Congo, a vu sa population diminuée par dix depuis les années 1980, surtout en raison de la destruction de son habitat et du braconnage. Préserver le bonobo implique d’abord d’être sensibilisé à son sujet ; les enseignants peuvent être des pivots majeurs de cette sensibilisation, mais il faut les accompagner dans cette tâche, en mettant à leur disposition les ressources pédagogiques nécessaires.
Quelles sont les utilisations possibles de ces fiches en classe ? Quels retours avez-vous eu de vos articles ?
Chacune des huit fiches constituant le dossier est composée de documents prenant des formes variées (textes, photographies, cartes géographiques, graphiques, tableaux, vidéos). Des activités réalisables en classe avec le logiciel Phylogène, permettant d’établir des relations de parenté entre espèces, y sont également proposées. Les documents peuvent être utilisés indépendamment les uns des autres, en fonction des besoins de l’enseignant qui pourra les intégrer au sein d’activités. Ils peuvent également être exploités en ensembles thématiques (tels qu’ils sont présentés dans le dossier), par exemple dans le cadre de tâches complexes visant à construire une notion précise du programme en séance de travaux pratiques.
Une autre utilisation possible de ces fiches réside dans la conception de devoirs : les enseignants disposent ainsi d’un réservoir de documents supplémentaire dans lequel puiser pour les évaluations. Flexibilité est donc le maître mot pour l’utilisation de ce dossier sur le bonobo !
Il est encore un peu tôt pour avoir des retours concernant ce dossier. Récemment mis en ligne sur le site SVT de l’académie de Créteil, il l’est également sur la plateforme pédagogique du Muséum national d’Histoire naturelle, dans le cadre de la très belle exposition « Sur la piste des grands singes » qui y est actuellement proposée. Le dossier a également été diffusé dans le milieu associatif.
Comment avez-vous construit ces fiches ? En quoi votre mission d’enseignement au Museum d’Histoire Naturelle a-t-elle été utile ?
La conception des fiches du dossier est le fruit d’une recherche bibliographique synthétisant des informations issues de sources variées : articles de recherche sur les bonobos, ressources pédagogiques déjà existantes, livres du célèbre primatologue Frans de Waal. Mon bref séjour au sanctuaire de bonobos Lola ya Bonobo, près de Kinshasa, a également joué un rôle clé dans l’élaboration de ces fiches : la plupart des photographies illustrant le dossier ont été prises lors de ce séjour.
Au cours du monitorat que j’ai effectué au Muséum national d’Histoire naturelle, j’avais eu l’occasion de rédiger des articles synthétiques sur des thèmes recouvrant les SVT et l’histoire et la philosophie des sciences : histoires des classifications, histoire de la pensée évolutionniste, concept d’espèce. La démarche suivie dans la conception du dossier autour du bonobo vient naturellement prolonger ce type de travail, tout en mettant davantage l’accent sur l’aspect pédagogique.
Vous êtes également impliquée dans l’association « Les amis des bonobos ». Quels sont les objectifs de cette association ? Quelles actions sont menées ?
Lola ya Bonobo est le sanctuaire de l’ONG « Les amis des Bonobos du Congo ». Situé en RDC, près de Kinshasa, il prend en charge les bonobos orphelins, victimes du trafic de viande de brousse et du commerce illégal d’animaux sauvages. Les orphelins recueillis, souvent dans un état physique critique, reçoivent à Lola les soins vétérinaires appropriés. Egalement en détresse psychologique, ils sont confiés à une mère de substitution (humaine), qui va leur donner l’amour et le réconfort dont ils ont crucialement besoin pour survivre. Lorsqu’ils sont prêts, ils sont ensuite introduits dans des groupes de jeunes puis d’adultes au sein du sanctuaire. Parallèlement, plusieurs actions de réintroduction des bonobos dans leur milieu naturel, au sein d’une réserve appelée Ekolo ya Bonobo, ont également été menées. Mais les missions du sanctuaire ne se limitent pas à cet effort de réhabilitation et de réintroduction.
Un formidable travail d’éducation des populations locales est par ailleurs fourni, sous-tendu par la conviction que la préservation du bonobo passe avant tout par l’éducation. C’est ainsi que des milliers d’enfants d’écoles congolaises viennent chaque année visiter le sanctuaire. Des programmes d’éducation des populations vivant le long de la voie principale empruntée par les trafiquants de viande de brousse ont également été mis en place. Enfin, l’association contribue à améliorer les conditions de vie de la population ‘gardienne’ des bonobos au sein de la réserve Ekolo ya Bonobo. En France, l’association des Amis des bonobos en Europe (ABE) soutient l’ensemble de ce projet, tout en promouvant la diffusion d’informations sur les bonobos auprès du grand public et des autorités.
Quelques mots sur votre voyage de 2 semaines en République Démocratique du Congo au sanctuaire de l’association… Est-ce que cet engagement associatif change votre démarche pédagogique ?
Outre qu’il a été l’occasion d’observer le comportement des bonobos et de participer à la vie du sanctuaire, ce voyage m’a permis d’échanger autour des pratiques pédagogiques mises en œuvre à destination des écoliers congolais. Cela m’a confortée dans la conviction qu’il est essentiel de développer une pédagogie dans laquelle les liens avec les milieux associatifs sont renforcés. La collaboration avec des associations peut servir un rôle double : sensibiliser efficacement les élèves aux enjeux de société actuels (notamment ceux qui sous-tendent l’éducation au développement durable), et ancrer les apprentissages dans des situations concrètes, plus stimulantes pour les élèves.
Je crois savoir qu’un prochain dossier est en préparation. Quel sujet sera abordé ?
Il s’agira de concevoir, selon le même principe que le dossier sur le bonobo, un dossier de ressources pédagogiques sur le thème des Cétacés, en collaboration avec l’association Réseau Cétacés. Un projet similaire autour des plantes est également en discussion avec l’association Plante et Planète. Les associations sont une source d’informations et d’expériences d’une richesse inestimable, venant utilement compléter les compétences des enseignants.
Propos recueillis par Julien Cabioch
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