La parution, en ce début 2016 de l’ouvrage de Marcel Lebrun et Julie Lecoq « Classes inversées, enseigner et apprendre à l’endroit ! » (CANOPE Editions 2015) consacre officiellement, par une parole « universitaire », cette approche présentée comme innovante de l’enseigner et de l’apprendre. La sortie de cet ouvrage est opportune, en effet la semaine prochaine (du 25 au 29 janvier 2016) est organisée la « semaine de la classe inversée » (CLISE 2016). On ne pourra donc rendre compte de cette parution sans la mettre en perspective avec les évènements qui seront organisés à cette occasion, mais aussi avec les publications voisines dont on proposera quelques références en fin d’article.
Un ouvrage synthétique
La valeur du document publié par CANOPE est davantage dans sa dimension synthétique et universitaire que dans son opérationnalité immédiate. Si l’on y trouve quelques témoignages d’enseignants, on y trouve surtout un cadre pour penser de manière large et approfondie la question des changements pédagogiques possibles en lien avec le développement des moyens numériques. Marcel Lebrun est bien connu dans les milieux universitaires pour son travail sur le lien entre TIC et enseignement. Il a publié plusieurs ouvrages qui font autorité et ses interventions sont toujours bien perçues. On peut regretter d’ailleurs que cet ouvrage soit davantage destiné à un public averti des TIC, de la pédagogie et de l’université, qu’à des enseignants au prise avec leur quotidien disciplinaire et organisationnel. Cependant l’équilibre entre les différentes parties de l’ouvrage et les précautions prises par les auteurs font de ce document un élément de base pour réfléchir la question de la pédagogie inversée en lien avec le numérique et surtout les évolutions en matière d’apprendre.
Tenter de définir « les » classes inversées au pluriel (dans le titre aussi) c’est déjà un parti pris qui s’oppose à une sorte de « modèle » qui s’imposerait dans le domaine. Proposer en sous-titre « enseigner et apprendre à l’endroit » c’est d’une part tenter une ouverture vers un renouvellement pédagogique, mais d’autre part c’est aussi interroger un propos de S.Bissonnette et C. Gauthier (cf. bibliographie) qui posent la question dans une opposition entre endroit et envers. En commençant pas une tentative de définition les auteurs ouvrent des possibles formes variées dans ce premier chapitre. Logiquement, la suite est l’interrogation pédagogique sur les fondements de ces pratiques dont le pragmatisme l’emporte souvent sur l’expérimentation rigoureuse. On s’étonne qu’après cette première grande partie un chapitre de transition renvoie à des notions plus périphériques : hybride, distance, présence. En fait les auteurs nous invitent simplement à réfléchir à ces trois dimensions portées par les classes inversées et souvent négligées dans la réflexion : d’abord le fait que l’on associe plusieurs modalités de travail au sein d’un même dispositif, ensuite l’interrogation sur ce qui se passe à distance dans l’enseignement c’est à dire ce que l’apprenant fait à la maison, enfin l’interrogation porte alors sur ce qui se fait dans la classe elle-même. Arrivé à la moitié de l’ouvrage on comprend bien que ces classes inversées posent probablement beaucoup plus de questions qu’on ne le pense.
Ou théorique ?
La deuxième partie de l’ouvrage va alors porter sur les changements plus fondamentaux qui peuvent découler d’une telle approche. On y trouvera des questions comme la gestion des espaces dans l’établissement, la contextualisation des apprentissages (prise en compte de la vie sociale), la décontextualisation (prise de distance, théorie), ou encore l’évaluation ainsi que la formation des enseignants. Pour terminer les auteurs abordent les freins et moteurs de ces dispositifs. Ce chapitre qui semble donner quitus aux auteurs de leur honnêteté intellectuelle est pourtant bien en deçà des questionnements que posent souvent les enseignants du secondaire et du primaire et pas non plus ceux qui concernent le défi cognitif sous-jacent. En effet comment ne pas ignorer les difficultés cognitives des élèves, dans leur diversité et leur complexité ? On sent que les auteurs s’adressent à un public d’enseignants qui ont des « étudiants » et pas des « élèves ». Ce détail n’est pas sans importance car les contextes d’apprentissage, les parcours individuels, les motivations, le cadre sont bien différents.
Les auteurs sont convaincus du bienfondé de leur propos et tentent de le faire partager, c’est une bonne chose. Cependant la forme du document, mais aussi certains choix les amènent soit à rester très théoriques, soit à ne pas suffisamment contextualiser leur propos. Ce qui est certain c’est que contrairement à d’autres publications, l’ouvrage impose au lecteur un travail de « traduction » évité par d’autres ouvrages (en particulier ceux de Sams et Bergmann, voir bibliographie) ayant une cible moins universitaire. C’est la qualité qui est ici aussi un défaut. Et pourtant, ceux qui ont déjà entendu les propos de Marcel Lebrun (et ils sont nombreux en ligne, en vidéo) ou qui ont lu son article dans le revue « Projet » verront dans cet ouvrage une sorte de synthèse et un assemblage de nombreux travaux antérieurs, en moins opérationnel.
Réfléchir à ses pratiques
On peut questionner la revue de littérature et plus largement la bibliographie proposées qui ignore l’ouvrage de Salman Kahn, qui même s’il ne se targue pas de scientificité, est pourtant un élément du paysage de la classe inversée non négligeable (hormis une ou deux allusions dans le texte). On peut aussi s’interroger sur la forme du document et sur son édition. Ouvrage plutôt adressé à des enseignants du supérieur (malgré les encarts consacrés à des enseignants du primaire et du secondaire), il est aussi difficilement accessible dans sa forme à un public qui cherche à trouver des repères pour expérimenter, ou encore des éléments plus factuels, mieux mis en avant.
La force de cet ouvrage c’est d’abord la qualité du travail en soi. La faiblesse de l’ouvrage c’est qu’il nécessite une sorte de mode d’emploi ou de mode de mise en oeuvre qui permettrait à l’enseignant de se lancer dans « l’hybridation de son enseignement ». La maquette éditoriale met trop à plat les contenus en les rendant tous semblables, en apparence. On trouve aussi, ici et là des passages qui peuvent surprendre : ainsi la transposition de la recherche Hysup (hybridation dans les dispositifs d’e-learning) sur la classe inversée semble un peu rapide et pas vraiment justifiée dans le contexte.
Cet ouvrage vient à point nommé pour amener tous ceux et celles qui ont entamé de manière pragmatique de s’essayer à la classe inversée à réfléchir leur pratique. En effet, même si parfois le propos est dense, il a le mérite d’être suffisamment large et ouvert pour donner à travailler et à réfléchir. Un petit outil méthodologique aurait sûrement été le bienvenu qui aurait permis aux enseignants, de manière inversée de s’approprier l’ouvrage. Finalement cet ouvrage est presque un cours magistral et c’est dommage…
Bruno Devauchelle
Lebrun Marcel, Lecoq Julie, Classes inversées, enseigner et apprendre à l’endroit ! CANOPE Editions 2015, ISBN
978-2-8142-0328-0/2416-6448
Sur le Café :
Premier congrès de la classe inversée : le DOSSIER
Que faire après la classe inversée ?
La classe inversée fait sa semaine
Autres ouvrages consultables sur les classes inversées :
Alain Taurisson, Claire Herviou, Pédagogie de l’activité : pour une nouvelle classe inversée. ESF 2015
Salman Khan, L’éducation réinventée, JC Lattés, 2013
A.Sams, J.F. Bergmann, La classe inversée, Reynald Goulet éditions, © 2014
A.Sams, J.F. Bergmann, M.A.Girard, Apprentissage inversé, Reynald Goulet éditions, © 2015
Articles que l’on peut aussi consulter :
Bissonnette, S. et Gauthier, C. (2012). Faire la classe à l’endroit ou à l’envers ? Formation et profession, 20(1), 23-28. http://dx.doi.org/10.18162/fp.2012.173
FAILLET V., La pédagogie inversée : recherche sur la pratique de la classe inversée au lycée, Rubrique de la revue STICEF, Volume 21, 2014, ISSN : 1764-7223, mis en ligne le 04/05/2015, http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2014/23r-faillet/sticef_2014_faillet_23r.htm
Nizet I., Meyer F., La classe inversée : que peut-elle apporter aux enseignants ?, en ligne sur le site de CANOPE 2015, http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/la-classe-inversee-que-peut-elle-apporter-aux-enseignants-79.htm
Gardiès C., Fabre I., « Médiation des savoirs : de la diffusion d’informations numériques à la construction de connaissances, le cas d’une « classe inversée » », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 12 | 2015, mis en ligne le 18 décembre 2015, consulté le 18 janvier 2016. URL : http://dms.revues.org/1240