« L’institution scolaire est-elle encore à la hauteur de sa mission fondatrice, former le citoyen ? », se demande l’AFAE en éditorial du dernier numéro de sa revue Administration & Education (n°4 2015). Ce qui fait douter cette revue destinée aux cadres de l’Education nationale, c’est la question de la laïcité. La laïcité « à la française » est-elle l’exception ou la norme des pays démocratiques ? Est-elle compatible avec les religions ? Comment la transmettre dans la France d’aujourd’hui ? Autant de questions auxquelles ce numéro, apporte des réponses variées et complexes. Les rapports entre laïcité , école et religions nourrissent des interrogations et des inquiétudes nécessaires pour l’avenir de l’école.
Il est rare que l’AFAE, longtemps association des administrateurs de l’Education nationale, exprime ainsi des doutes. Rédigé dans les semaines qui ont suivi les attentats de janvier 2015, avant ceux de novembre, ce numéro porte les interrogations des dirigeants d’une institution qui est interrogée dans ses fondements mêmes. Aussi ce numéro cherche à définir la « laïcité à la française en interrogeant ses fondements mais aussi en questionnant des experts et même en tentant une approche comparative.
Profs et élèves face à la laïcité..
De façon inattendue, on entre tout de suite dans la complexité avec deux tables rondes, une réunissant des élèves (surtout des lycéens) et l’autre des professeurs. Et le moindre qu’on puisse dire c’est que les visions sont clairement différentes. Les élèves mettent les pieds dans le plat. La charte de la laïcité ? « J’ai lu cela mais je me suis demandé si quelque chose existait vraiment » dit une lycéenne. Si tous sont d’accord sur le respect nécessaire au vivre ensemble, la loi sur le voile est critiquée, la vision française définie comme au moins frileuse. Les élèves montrent les réticences au débat dans l’école : pour eux l’EMC ce sont des cours magistraux. Ils récusent aussi l’enseignement du fait religieux : « on n’apprend pas les valeurs que portent les religions ».
Du coté des enseignants, on témoigne plutôt des difficultés à transmettre les valeurs de la République. Pas seulement parce que certains élèves portent des convictions religieuses puissantes. Mais aussi parce que les enseignants sont mal préparés : « il « être » aussi » dit une enseignante en LP. Et certains enseignants « ne sont pas forcément en accord » avec ces valeurs. Jean-Paul Delahaye aborde lui la question sous l’angle social : « c’est la pauvreté économqiue, sociale, culturelle de bon nombre d’élèves qui rend très difficile aux enseignants leur transmission de savoirs fondés sur la raison », note-il. « Quelle citoyenneté en partage pour les 5 millions de chômeurs et leurs enfants, pour les 1.2 million d’élèves.. qui vivent dans la grande pauvreté ? »
Qu’en est-il ailleurs en Europe ?
Alors la revue va interroger les référents traditionnels :M. Ozouf, Y Gaudemet, par exemple. Elle interroge même les religions catholique, juive, musulmane, pour savoir si elles sont compatibles avec la laïcité. Elle questionne les programmes et leur histoire. Parmi ces référents, Claude Thélot propose un recadrage de l’enseignement du fait religieux et appelle à une prise en compte de la spiritualité dans cet enseignement.
Mais peut-être que la partie la plus intéressante est l’approche comparatiste qu’ose ce numéro. Plusieurs articles montrent la singularité de la laïcité française. Non pas que la séparation de l’Etat et de l’Eglise ne soit pas la norme dans les pays développés. Etienne François , par exemple, montre très bien que l’Allemagne non seulement poursuit la même vision de la société avec un Etat qui garantit à tous l’exercice du culte et l’égalité mais aussi est parcourue des mêmes interrogations que la société française avec le recul des religions traditionnelles et la montée de l’islam. Mais tout ceci se produit dans un pays où le seul enseignement garanti par la constitution est l’enseignement de la religion. C. Leleux montre comment une décision européenne remet en question un enseignement de la religion qui était resté obligatoire dans la partie francophone et comment il va être remplacé par in cours de citoyenneté. JP Willaime montre à quel point l’enseignement du fait religieux est présent dans les pays européens sous une forme confessionnelle ou non confessionnelle, selon les états.
Les coordonnateurs (C Bisson Vaivre, A Boissinot, G Chaix et P Claus) se gardent bien de conclure. Mais ils ont ouvert assez de portes pour inviter à un élargissement de l’horizon laïc français. Le numéro montre la nécessité de passer enfin à un enseignement du fait religieux qui ne soit pas que historique, à un enseignement qui soit ouvert au débat, à repenser la laïcité comme une base éducatrice.
F Jarraud
Laïcité, école et religions, Revue Administration & Education, 2015 n°4.