Laisser les parents libres de décider de l’orientation de leur enfant à la fin de la troisième est-il une bonne chose ? Après un premier rapport d’étape déjà fort critique en décembre 2014, le rapport de suivi de l’Inspection générale, dirigé par Aziz Jellab, publié le 10 janvier tranche négativement. « Le libre choix sans accompagnement et sans évolution dans les pratiques, notamment pour ce qui est de la liaison collège – lycée, risque de porter préjudice aux élèves moyens ou fragiles scolairement et de créer de la déception chez les parents ». Un bilan sans appel qui va peser sur la survie de l’expérimentation. Et qui interroge globalement les réformes…
A l’origine de l’expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » pour l’orientation en fin de 3ème, une décision d’un Comité interministériel de la Jeunesse en février 2013. Lors du débat sur la loi d’orientation, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée propose que le dernier mot soit laissé aux parents pour l’orientation. Mais cette proposition fait les frais des négociations entre groupes. Finalement la loi d’orientation prévoira une simple expérimentation du « dernier mot laissé aux parents » en fin de 3ème. C’est elle qui fait l’objet du rapport de l’Inspection générale.
L’expérimentation
Normalement, « en cas de désaccord, un entretien est proposé à la famille par le chef d’établissement. Le chef d’établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d’orientation de l’élève de la condition que celui-ci s’engage à suivre un dispositif de remise à niveau.. Si le désaccord persiste, le chef d’établissement doit motiver sa décision et la famille dispose de trois jours pour faire connaître son choix de recourir à une commission d’appel. La décision de celle-ci est définitive ». Les taux de désaccord tournent autour de 2% des élèves de troisième, si l’on en croit les chiffres officiels du ministère.
L’expérimentation supprime la commission d’appel pour les établissements expérimentateurs. Elle prévoit un entretien entre la famille et le principal. Le choix de la voie d’orientation est laissé en dernier ressort à la famille.
Une occasion de faire des économies ?
Inscrite dans la loi d’orientation, l’expérimentation n’a fait l’objet d’un décret qu’en janvier 2014. Mais elle a été lancée dès juillet 2013. Le ministère a annoncé en septembre 2013 la participation de 117 collèges, un nombre ensuite ramené à 101 collèges.
Le choix de ces collèges s’est souvent fait sur des critères purement bureaucratiques et non pédagogiques, relève le rapport. « Dans certains cas, l’académie a pu voir dans l’expérimentation un moyen de réguler la relation entre l’offre et la demande, de réduire par exemple le taux de passage vers la voie professionnelle lorsque l’offre de celle‐ci s’avère être trop importante ou, à l’inverse, d’y affecter davantage d’élèves quand le passage massif en seconde GT risque de générer de nouveaux coûts financiers ».
Peu d’impact sur les flux d’orientation
Aussi le premier bilan du rapport montre que l’expérimentation a eu peu d’effets sur les flux d’orientation. » Alors que l’une des craintes affichées par les équipes éducatives lors de la mise en oeuvre de l’expérimentation était de voir un accroissement du nombre de voeux d’orientation vers la seconde générale et technologique, cela ne s’est pas véritablement confirmé », note A Jellab. Cette stabilisation peut cacher des évolutions divergentes. En effet l’expérimentation peut renforcer les préjugés des familles. Ainsi dans des établissements à population scolaire aisée, on peut observer une hausse des orientations vers la seconde générale et technologie (2de GT) et dans les établissements populaires une hausse des demandes de seconde professionnelle.
Une prise en compte très variable par les directions
Au niveau des collèges, » l’expérimentation n’a pas provoqué de changements importants, ni dans les pratiques ni dans les réflexions pédagogiques. Les établissements concernés ayant été choisis dans le but d’éviter des problèmes de flux difficiles à gérer, il n’y a pas lieu de s’étonner que les effets concrets soient restés faibles », note A Jellab. Tous les chefs d’établissement n’ont pas renforcé le dialogue avec les parents. Les conseils de classe sont restés souvent formels, sans aide au choix. Il sont laissé peu de place aux parents.
Pour les professeurs principaux une charge de travail accrue
Pour les enseignants, l’expérimentation suppose un role de conseiller des parents pour le professeur principal. Or cela a posé de sérieux problèmes car cette évolution n’a pas été anticipée. » L’implication des professeurs principaux supposait qu’ils soient accompagnés, par exemple en travaillant la différence entre orientation et affectation, entre informer et conseiller, mais aussi de repenser la relation d’entretien avec les parents. La décision d’orientation revenant aux parents a généré une plus forte demande d’accompagnement de la part des professeurs principaux qui ont vu leur activité de conseil s’amplifier jusqu’à engendrer une surcharge de travail. Cela a d’ailleurs conduit certains enseignants à renoncer, à l’issue d’une année d’expérimentation, à leur fonction de professeurs principaux », explique A Jellab. Il aurait aussi fallu renforcer la liaison collège lycée qui est jugée très insuffisante.
Des résultats décevants pour les élèves
» Dans toutes les académies expérimentatrices, le bilan de l’année scolaire en seconde GT pour les élèves auxquels le conseil de classe avait proposé une orientation vers la voie professionnelle ou un redoublement est décevant », note le rapport. « Certes, le profil scolaire de ces élèves n’est pas différent de nombre de leurs camarades provenant de collèges non expérimentateurs, mais les effets interrogent sur le bénéfice d’une expérimentation censée donner le choix aux parents tout en les informant réellement sur les conséquences de leur décision. Ils interrogent aussi sur la capacité des lycées à proposer aux élèves un accompagnement les amenant à progresser scolairement mais aussi à construire des projets alternatifs dans le cadre d’un parcours scolaire cohérent ».
Ainsi dans l’académie de Créteil, » en juin 2014, 23 élèves se sont orientés en seconde GT contre l’avis du conseil de classe. En mars 2015, le conseil de classe du second trimestre a recommandé à 9 élèves une réorientation vers la seconde professionnelle ou un redoublement ». Selon les académies, le taux de redoublement ou réorientation varie du tiers à la moitié. A Jellab parle de résultats « peu encourageants ». Il ne suffit pas de libérer le passage pour que l’élève ait le niveau.
Des risques de déception chez les parents
» Si les parents ont accueilli l’expérimentation de manière positive, c’est en effet parce que certains d’entre eux semblent considérer que leurs enfants seront affectés dans la filière de leur choix », note A Jellab. Or il y a confusion entre orientation et affectation.
Le rapport note aussi que « la reconnaissance de la place des parents dans la préparation à l’orientation peine à être effective ». » Les parents les plus éloignés des codes scolaires restent souvent injoignables par les équipes éducatives, sans doute parce qu’il persiste dans les collèges une certaine méfiance à leur égard d’autant plus qu’ils ne sont sollicités que lorsque leur enfant rencontre des difficultés scolaires ou de choix d’orientation », explique le rapport. « Les « espaces parents » restent inexistants alors qu’ils pourraient contribuer à favoriser un rapprochement entre équipes éducatives et familles grâce à un dialogue pacifié et à de la médiation assurée par les délégués de parents. La méfiance des équipes éducatives n’est pas systématique mais la mission a pu la repérer chez certains principaux ».
Arrêt ou recadrage de l’expérimentation ?
Le rapport ne demande pas l’arrêt de l’expérimentation. Mais il demande un net recadrage. Il demande un « vrai travail d’explicitation et médiation sur l’information donnée aux parents. Il recommande aussi de revoir les pratiques d’évaluation en tenant compte d’autres compétences que scolaires. Le rapport invite à faire des conseils de classe de vrais lieux de concertation et d’aide aux élèves et aux parents. Enfin il demande que la liaison collège lycée soit inscrite dans les missions des professeurs principaux.
Le rapport pointe une vérité assez générale en éducation et qui interroge d’autres réformes. Il ne suffit pas d’avancer de bonnes idées pour faire évoluer positivement le système éducatif. La réforme est un art d’exécution. Et dans le cas de la réforme de l’orientation, l’accompagnement institutionnel et pédagogique restent insuffisants. Dans ces conditions, la réforme se retourne contre ses objectifs de départ. Peut-être une expérience à méditer rue de Grenelle au moment où on lance d’autres réformes ?
François Jarraud