Comment inculquer les valeurs républicaines ? Retour au CFA de Nangis, en Seine-et-Marne, où l’on était allé rencontrer les élèves en décembre 2014 après une visite à Auschwtiz (1). Puis en janvier 2015, on avait interrogé leur professeur sur les réactions aux attentats (2).
Nicolas Boivin est formateur – un prof dans les Centres de Formation des Apprentis (CFA) – en français et histoire-géo. Dans le professionnel, les enseignants dispensent ainsi plusieurs matières. Dans ce CFA des métiers du bâtiment, il a des classes d’apprentis maçons préparant un brevet professionnel et d’apprentis menuisiers en bac pro.
Unanimité après les attentats de novembre
D’emblée, Nicolas Boivin souligne que la réaction a été foncièrement différente après les attentats du 13 novembre qu’après les 7 et 9 janvier 2015. Cette fois, la condamnation a été unanime et l’effroi général.
En janvier, certains estimaient que les dessinateurs de Charlie Hebdo l’avaient cherché avec leurs caricatures insultant le prophète. Ou qu’il y avait deux poids deux mesures avec ceux de Charlie qui pouvaient tout dire et Dieudonné que l’on traînait en justice. D’autres encore reprenaient les thèses complotistes.
« Ce qui a frappé les élèves en novembre, c’est que les terroristes ont tiré sur tout le monde, résume le formateur, alors qu’en janvier, ils visaient certaines catégories de personnes. »
Expliquer, expliquer encore …
Il a fallu rassurer et beaucoup expliquer, revenir sur ce qu’est Daech, un climat de guerre… « Ils s’informent sur les réseaux sociaux mais ils ne lisent pas et ils regardent surtout les vidéos. Ils ont beaucoup questionné, ils voulaient comprendre. »
Il a fallu revenir sur le fil des événements eux-mêmes. « A force de regarder les images qui passent en boucle sur les chaînes en continu, ils n’en sortent plus. Il a fallu expliquer que c’était fini, que c’étaient toujours les mêmes images qui repassaient »…
Concours de caricatures au CFA
Depuis janvier 2015, les choses ont évolué, se félicite Nicolas Boivin. Après les attentats, lui et ses 3 collègues de français-histoire-géo ont lancé un concours de caricatures dans l’établissement. En fixant un thème: caricaturer les profs. L’occasion d’illustrer la liberté d’expression et jusqu’où l’on peut aller dans la caricature.
« Ca a été un succès, souligne Nicolas Boivin. On a eu 150 dessins et on a en gardé 60. On les a exposés lors de notre Journée Portes ouvertes. Les gens ont voté pour désigner les 3 meilleurs. »
Un travail sur les discriminations en raison de la religion
Puis à la rentrée 2015, dans le cadre du « contrat qualité » signé pour deux ans avec la Région Ile-de-France, le CFA de Nangis s’est fixé deux priorités: l’amélioration des liens avec l’entreprise et la lutte contre les discriminations.
Avec 5 profs, un formateur en menuiserie, la responsable du CDI – le Centre de ressources pour l’aide à la formation (CRAF) dans les CFA – ainsi qu’avec le directeur, une charte du vivre ensemble a été rédigée. Après en avoir discuté, les apprentis ont apporté leur touche et l’ont amendée.
Dans la classe de première Bac pro de Nicolas Boivin, les élèves ont constitué 4 groupes: sur la discrimination pour handicap, sur la discrimination sexuelle, sur celle touchant les femmes et enfin sur la discrimination en raison de la religion.
La peur et les raccourcis
« Après le 13 novembre, le groupe sur les religions a pris peur, raconte le formateur, ils m’ont demandé: « est-ce qu’on ne peut pas laisser tomber ? Ca peut être dangereux ». J’ai dit non. L’un d’eux a voulu plaisanter: « Et bien au moins on mourra en héros »… Encore aujourd’hui, je les sens un peu stressés. »
Dans la classe, il n’y a pas eu d’amalgame. « Les élèves ont fait la différence entre les terroristes islamistes et la religion musulmane, et ils l’ont dit à leurs camarades musulmans. » Mais la peur s’est installée, nourrie par les raccourcis. « Les musulmans pieux avec la barbe et la djellabah font peur. »
La tentation du Front national
Un certain nombre d’apprentis n’ont pas caché qu’il avaient voté Front National aux régionales de décembre 2015. Pour eux, Marine Le Pen est la seule en mesure de défendre la France contre « le péril musulman ». Alors que François Hollande se contente de bombarder la Syrie.
Pour le formateur, il reste encore bien trop de méconnaissance et d’ignorance. « Je regrette qu’il n’y ait pas plus de géopolique dans les programmes. Quand on leur dit que le premier pays musulman du monde est l’Indonésie, ils ont du mal à le croire. Ou quand un camarade malien leur dit, comme l’autre jour, qu’il est fier d’être musulman, ils n’en reviennent pas. Un noir musulman, ça n’est pas évident. »
Revenir encore sur les caricatures
Quand ils ont vu la dernière Une de Charlie, marquant le premier anniversaire des attentats, certains apprentis ont annoncé vouloir acheter le journal. Mais d’autres ont prévenu: « ils vont encore se faire attaquer ! ».
Nicolas Boivin sait que le travail sera long. Il a d’ores et déjà décidé de consacrer la prochaine semaine de la presse… à la caricature.
Véronique Soulé