L’école française est-elle islamophobe ? Le livre de François Durpaire et Béatrice Mabillon-Bonfils invite à poser la question. En s’appuyant sur des études nouvelles et des sondages qu’ils ont réalisés, les auteurs montrent que les stéréotypes contre les musulmans n’épargnent pas l’Ecole. Si les professeurs ne sont pas racistes, l’institution scolaire fonctionne comme un machine à éliminer les musulmans. « Il ya une islamophobie dans l’école qui est aussi de et par l’école », écrivent les auteurs. Une situation qu’ils invitent à regarder en face pour que l’école puisse jouer tout son rôle pour une société inclusive. Ils invitent à revoir les contenus d’enseignement et à travailler en faveur d’une réelle mixité sociale et ethnique dans les établissements.
Pour ceux qui douteraient que l’Ecole joue au détriment des élèves musulmans, de nombreuses études viennent en apporter la démonstration. Le jour même où parait » Fatima moins bien notée que Marianne », l’Insee et l’Ined publient les résultats d’une enquête qui montre que l’Ecole joue un rôle dans la discrimination sociale des jeunes issus de l’immigration. Bien avant, PISA avait montré que traite moins bien les jeunes issus de l’immigration. L’écart entre immigré de 1ère génération et autochtone est particulièrement fort en France : près de 100 points en lecture, soit près de deux années d’étude. La France est dans les pays aux plus basses performances, la moyenne de l’OCDE se situant à environ 50 points. Autre caractéristique : l’écart entre immigré de 2de génération et autochtone est lui aussi important, comme si le stigmate collait littéralement à la peau.
G Felouzis avait montré une ségrégation ethnique dans l’Ecole à partir de l’étude des prénoms de collégiens. Les auteurs peuvent montre que cette ségrégation est à l’ouvre dès la maternelle et qu’elle se prolonge jusqu’aux filière sdu bac.7% de prénoms musulmans en série S, 13% en STMG.
Ces données sont confortées par les travaux réalisés par les auteurs ou répertoriés par eux. Ainsi une enquête auprès des lycéens montre que 46% des jeunes originaires d’Afrique noire se sentent discriminés et 39% des jeunes d’afrique du nord. Une étude s’appuyant sur des copies tests affublées d’un prénom musulman ou chrétien montre que les jeunes musulmans sont moins bien notés que les autres. Le poids des stéréotypes joue à leur détriment. Un sondage porté auprès des enseignants montre que l’Islam est perçu comme beaucoup moins compatible avec la République que les autres religions. Quand on demande quelle religion peut poser de sproblèmes au quotidien des établissements, les professeurs désignent à 76% l’Islam. Enfin une étude des manuels scolaires montre qu’ils véhiculent des stéréotypes islamophobes.
Ce constat dressé, les auteurs invitent à réformer l’Ecole pour qu’elle puisse jouer tout son role dans une société plus inclusive. Ils proposent en premier lieu de revoir les contenus d’enseignement, et d’abord l’histoire, en construisant un récit qui soit un creuset commun à tous les enfants. Le rapport invite aussi à introduire la culture du débat dans l’école. Cela suppose une autre formation des enseignants. Enfin il demande de renforcer la mixité sociale dans l’école et élargissant notablement les circonscriptions scolaires pour pouvoir rebrasser les élèves.
Après un livre des eux auteurs sur « la fin de l’école » et celui de Béatrice Mabilon-Bonfils, et Geneviève Zoïa sur la laïcité, ce nouveau livre arrive pile pour alimenter la réflexion sur la laïcité et la place de l’islam dans l’école. Les auteurs plaident pour une « laïcité bienveillante » et une école au service d’une société inclusive. Pour eux « c’est en apprenant ensemble que l’on apprendra à vivre ensemble ».
Durpaire, F, Béatrice Mabilon-Bonfils, Fatima moins bien notée que Marianne, Paris 2016, 978-2-8159-1361-4
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François Durpaire : L’urgence d’enseigner la culture du débat
Co-auteur avec B Mabilon-Bonfils de » Fatima moins bien notée que Marianne, François Durpaire défend l’idée d’une Ecole au service de l’inclusion. Pour cela il faut revoir les contenus d’enseignement et développer une culture du débat.
Vous dites qu’il y a « de l’islamophobie dans l’école qui est aussi de et par l’école ». Que voulez vous dire ? Que les enseignants sont racistes ?
Ce serait une erreur de croire que l’école pourrait être préservée de cette relation à l’islam. En fait nos travaux sur l’évaluation, l’orientation, les punitions ou les manuels scolaires par exemple, nous conduisent à dire que les enseignants ne sont pas responsables de cette islamophobie. L’objectif du livre n’est pas de pointer du doigt les enseignants mais de dire comment on fait pour que dans les écoles il y ait une réalité plus saine.
Par exemple quand on étudie les manuels et leurs stéréotypes islamophobes, on n’interpelle pas les enseignants mais les éditeurs. Ou quand on relève que dans deux maternelles, à quelques kilomètres de distance, une regroupe 95% d’élèves musulmans et l’autre aucun élève musulman, il est clair que les enseignants n’y sont pour rien. On cherche à interroger un système.
On est face à une réalité systémique ?
Oui. On ne voit pas pourquoi l’école échapperait à la discrimination. L’école n’est pas un sanctuaire. Elle doit pouvoir être interrogée si on veut l’améliorer. L’Ecole l’a fait pour le genre. Elle a montré qu’elle peut s’améliorer. Il faut le faire par rapport à l’islam même si c’est beaucoup plus sensible et particulièrement dans le contexte actuel. Si on ne se pose pas ces questions, on s’interdit toute amélioration. Il ne s’agit pas d’un procès contre l’Ecole mais de dire qu’il faut travailler sur cette question et se donner la possibilité de créer une école plus inclusive. On est dans une démarche constructive.
Vous proposez de revoir les contenus d’enseignement. Cela concerne surtout l’histoire ?
C’est plus général. Ce qu’il faut d’abord c’est affirmer les finalités, les missions de l’école. Avant l’histoire ou l’éducation civique il faut dire si l’école sert vraiment une citoyenneté d’adhésion. C’est une question de politique éducative. Il y a aujourd’hui une distorsion entre les discours et ce qui se passe sur terrain.
Sur le terrain l’enseignant pense au programme à transmettre et pas qu’il a pour mission première l’intégration nationale. On pense qu’il faut un vrai récit d’inclusion et ça passe par l’histoire mais aussi par des rituels et le débat. Sur le terrain aujourd’hui ce n’est pas intégré dabs les formations.
On est piégé entre ceux qui sont partisans du roman national qui ne fait pas sens et de l’autre coté des enseignants qui ont été formés dans une culture de la citoyenneté critique avec une histoire qui est là pour développer l’esprit critique et qui ne fonctionne d’ailleurs pas. La 3ème voie c’est le récit inclusif et dire que l’histoire enseignée doit s’ouvrir à l’ensemble des héritages.
Vous voulez introduire une culture du débat . Pourquoi ?
La culture du débat c’est la possibilité de tout dire, par exemple des propos antisémites, sans que ce soit signalé à la police. Si on veut déraciner les thèses complotistes il faut qu’elles soient dites. Ca ne veut pas dire que tout se vaut. Pour cela il faut une formation .
Le risque le plus grand ce serait de laisser els élèves avec ces thèses complotistes hors des établissements. Si on veut les déconstruire il faut prendre le risque de les entendre en classe. Même si l’élève reste au bout de la séquence avec ces thèses il lui restera au moins quelque chose de son échange avec son professeur. Personnellement j’irais plus loin : je pense qu’il faudrait dans les programmes d’éducation civique un temps de présence sur les réseaux sociaux. On s’et que c’est là que se fait la radicalisation. Que produirait un million d’enseignants sur les réseaux ?
Votre dernière proposition concerne la mixité sociale. Vous propose deux solutions. Laquelle vous séduit le plus ?
Le modèle anglais avec ses quotas d’élèves pourrait fonctionner en France. Mais je préfère les super établissements de 5000 élèves regroupant plusieurs établissements où on répartirait les élèves ne tiers égaux dans tous les établissements. Ce serait l’alternative à la carte scolaire. On créerait une solidarité territoriale. Mais la grande difficulté de ce sujet est politique. Comment faire accepter politiquement l’idée d’éduquer ensemble tous nos enfants ? C’est pourtant la mesure l a plus urgente.
Propos recueillis par François Jarraud