Le système éducatif peut-il être évalué par une institution interne ? Peut-on concilier les avantages de faire partie de l’Education nationale et ceux d’une indépendance véritable pour avoir un regard plus profond sur les évolutions de l’école ? C’est le pari fait par la loi d’orientation qui a créé le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO). Installé par V. Peillon le 28 janvier 2014, le Cnesco publie le 7 décembre son premier rapport annuel. C’est l’occasion d’un bilan. Avant que le Cnesco lance de nouvelles enquêtes sur l’attractivité du métier enseignant ou l’apprentissage de la citoyenneté à l’école.
Le Cnesco « est chargé d’évaluer en toute indépendance l’organisation et les résultats de l’enseignement scolaire », affirme la loi d’orientation. Elle prévoit qu’il réalise des évaluations » à la demande du ministre chargé de l’éducation nationale, du ministre chargé de l’enseignement agricole, d’autres ministres disposant de compétences en matière d’éducation, du ministre chargé de la ville ou des commissions permanentes compétentes en matière d’éducation de l’Assemblée nationale et du Sénat »; qu’il se prononce sur la qualité des évaluations internes du ministère et « qu’il formule toute recommandation utile » sur l’évaluation de l’Ecole. Il publie chaque année un rapport qui est obligatoirement rendu public.
Une structure indépendante ?
Le 7 décembre, le Cnesco a remis son premier rapport annuel. Il revient sur les études effectuées par le Cnesco. Il tente aussi de saisir cette institution originale qui se situe dans l’Education nationale mais prétend lui être indépendante.
Pour N Vallaud Belkacem, venue recevoir le rapport, le Cnesco est un « évaluateur alliant indépendance, transparence démocratique et ouverture à l’internationale, capable de dialoguer avec tous les acteurs du terrain ». Mais la ministre situe l’action du Cnesco comme un outil su service de sa politique, par exemple quand elle explique que le travail du Cnesco sur la mixité sociale à l’école permet « d’appuyer les acteurs locaux et de diffuser les bonnes pratiques issues des 17 territoires retenus » pour expérimenter les secteurs multi collèges.
Nathalie Mons, présidente du Cnesco, répond d’une certaine façon en définissant le Cnesco comme « un lanceur d’alerte, un brasseur d’idées, un producteur de ressources au service de la communauté éducatives ». « C’est modestement qu’on avance », dit-elle, « en refusant un discours culpabilisateur ». N. Mons évoque « l’indépendance intellectuelle » du Cnesco, le principe d’une évaluation participative « en lien avec les acteurs de terrain ». Un positionnement rappelé aussi par des invités, comme Michel Fayol, responsable de la conférence sur la numération, qui parle « d’une occasion unique de mettre autour d’un même projet parents, professeurs praticiens et chercheurs ».
Indépendant, le Cnesco compte 14 membres, 6 parlementaires et 8 membres nommés par V Peillon pour 6 ans (N. Mons; professeur de sociologie à Cergy-Pontoise, Pascal Bressoux, Université Pierre Mendes France en sciences de l’éducation, Marc Gurgand, CNRS, Claude Lessard, sociologue québécois, Dominique Goux, sociologue au CREST, Patrice Caro, géographe, Marie Christine Toczek-Capelle, professeur en sciences de l’éducation à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand et Anne West, professeur à la London School of Economics). Dans le rapport annuel, N Mons précise aussi que le Cnesco a su doubler son budget par des ressources propres , ce qui le rend moins dépendant de l’Education nationale.
Son indépendance se lit aussi dans les critiques qui lui sont adressées. Ainsi le 18 mars 2015, l’opposition mais aussi Y Durand, rapporteur PS de la loi d’orientation estime que » le Cnesco doit voir ses missions redéfinies et précisées ». Vis à vis du ministère, le Cnesco n’a pas hésité à s’emparer de sujets portés par la ministre au risque de contredire les positions ministérielles. C’est le cas par exemple de l’évaluation, du redoublement et maintenant de la mixité sociale.
Faire évoluer l’école avec ses acteurs
Dans le rapport remis le 7 décembre, le Cnesco se fixe comme objectif, sous la plume de N Mons, de « contribuer, modestement mais avec volonté, à faire évoluer les pratiques des acteurs du monde éducatif en produisant une évaluation indépendante et pertinente du système scolaire ».
« En s’attaquant dès sa création aux thématiques qui font difficulté dans l’école française – le redoublement et l’échec scolaire ordinaire, les ségrégations sociales et scolaire dans nos établissements, la persistance des inégalités scolaires entre les filles et les garçons, la faiblesse de certaines pratiques pédagogiques en mathématiques au primaire, etc. – le Cnesco a fait le pari d’une réflexion et d’une intelligence collective pour évaluer l’école française et trouver des solutions étayées scientifiquement pour améliorer les apprentissages des élèves. » L’idée que défend le Cnesco c’est une évaluation « scientifique, indépendante et ouverte sur l’international qui aide et soutienne intellectuellement les acteurs de l’école ».
» Changer les pratiques des acteurs de terrain ne serait pas possible sans une stratégie volontariste de diffusion des résultats des évaluations et de la recherche jusque dans les établissements, dans les classes mais aussi en direction des familles, dont les représentations sociales autour de l’école sont souvent erronées », explique N Mons. Là le Cnesco peut s’appuyer sur plusieurs partenariats (Ifé, Esen, Canopé par exemple, mais aussi le Café pédagogique, partenaire de plusieurs conférences de consensus du Cnesco.
Une évaluation scientifique
Scientifique car le Cnesco s’appuie sur un réseau de chercheurs indépendants et fait travailler une bonne soixantaine de chercheurs. Internationale car des chercheurs étrangers participent à son conseil et aussi parce que ses travaux peuvent être réalisés en partenariat avec des institutions étrangères comme le Conseil supérieur de l’éducation du Québec par exemple. Les rapports avec les acteurs de terrain sont nombreux. Le Cnesco dispose d’un comité consultatif qui réunit parents, enseignants, cadres. Il revendique un réseau de 200 établissements qui alimentent la réflexion des chercheurs en posant des questions. Il organise des « conférences de consensus » qui prennent en compte l’avis des différents acteurs.
Depuis sa création, le Cnesco a réalisé pas moins de 8 rapports. Il a notamment travaillé sur l’évaluation des élèves dans la classe en décembre 2014. Il a ensuite réalisé une enquête très pointue sur le redoublement en janvier 2015 suivie d’une conférence de consensus. En septembre 2015, il a remis une série de travaux sur la mixité sociale et scolaire à l’école qui a mis en évidence, par exemple, l’importance des classes de niveaux dans les établissements. En novembre 2015, le Cnesco a organisé une nouvelle conférence de consensus sur la numération à l’école primaire.
Le métier enseignant au programme de 2016
En 2016, le Cnesco annonce de nouveaux thèmes de recherche. Début 2016 il remettra un rapport sur l’éducation à la citoyenneté à l’école. Le sujet n’a pas été évalué depuis 2005 et l’actualité le ramène au premier plan. Une autre étude traitera de l’inclusion des enfants handicapés dans le système éducatif. Début 2016 toujours, le Cnesco publiera un rapport scientifique sur la mixité sociale à l’école. La lecture experte, plutôt au collège, fera l’objet d’une conférence de consensus en mars. Au 2d trimestre 2016 le Cnesco publiera un rapport sur l’attractivité des métiers de l’enseignement, piloté par M Gurgand et P Perier, un autre problème clé de l’Ecole. En avril, le Cnesco travaillera sur les évaluations Pisa et Timms. En septembre 2016, le Cnesco devrait aussi remettre un rapport sur les inégalités scolaires territoriales , piloté par Patrice Caro. Pour 2017, le Cnesco a déjà lancé une étude sur la qualité de vie à l’école, confiée à Agnès Florin et Philippe Guimard. Une conférence de consensus sur la différenciation pédagogique est prévue pour janvier 2017. Enfin un rapport sur l’enseignement professionnel paraitra en mai 2017.
» Un programme riche attend donc le Cnesco qui interrogera les acteurs et les partenaires de l’école, sans concession, toujours dans le souci de faire progresser l’École française, garant essentiel en France de la cohésion nationale et sociale », annonce N Mons.
François Jarraud