Alors que se sont multipliés les référentiels de compétences pour définir le métier d’enseignant et sa relation aux TIC et autres numériques au cours des quinze dernières années, on s’est assez peu penché sur la notion de posture de l’enseignant en tant que telle dans un contexte de plus en plus envahi par les moyens numériques. Par posture nous désignons outre des manières d’être face au monde, des modes d’engagement personnel ou plutôt d’implication dans les activités personnelles et professionnelles (voir infra en note le texte d’Alain Viala). Sans vouloir sortir des compétences les fameux « savoir être » ou « attitude » qui y sont associés, il est nécessaire, au regard des pratiques du numérique par les enseignants, de questionner la dimension posturale, ce qu’elle est, ce qu’elle implique, et comment on peut la travailler, individuellement, collectivement, institutionnellement.
Première question, y a-t-il une posture spécifique de l’enseignant qui utilise les moyens numériques dans son enseignement qui soit différente de sa posture habituelle ? Il faut considérer qu’une posture est très liée au contexte de l’activité. Car la posture est la traduction contextualisée de ce qui constitue, de manière stable, une personne. C’est pourquoi il faudra prendre en compte non pas uniquement la situation globale mais des éléments spécifiques qui peuvent même évoluer au cours d’une séance d’enseignement. L’exemple courant est celui du dysfonctionnement. Qu’il soit technique ou pédagogique, il est une source de modification posturale. On peut même observer des changements posturaux dans le temps autour des mêmes contextes qui évoluent sur plusieurs mois, voire plusieurs années.
Dans le cadre de l’utilisation du numérique dans l’enseignement au cours des observations de séances d’enseignement on peut observer des continuités et des ruptures dans la posture. Une enseignante de primaire qui a une grande habitude de faire travailler les élèves de manière individualisée par niveau ou par activité, ne changera pas de posture avec ou sans équipement individuel mobile (tablette, ordinateur portable). Par contre elle devra ajuster sa posture si elle doit intervenir sur des questions de maintenance ou d’ajustement individuel du travail. A l’opposé nous avons pu observer que des enseignants qui adoptaient une posture traditionnelle dans un contexte d’utilisation individuelle de tablette ont été mis en difficulté par les élèves. Ceux-ci percevant la posture inadaptée à la situation (l’enseignant débordé par les activités spontanées des élèves) ont inconsciemment renforcé cette inadaptation empêchant ainsi les apprentissages de se réaliser. En d’autres termes une posture en décalage avec le contexte doit être modifiée au risque d’une sorte de confrontation, d’affrontement…
La posture est constituée d’un ensemble d’indicateurs pour mesurer l’adaptation de l’enseignant aux situations qu’il vit, qu’il rencontre. A partir d’un noyau constant, il va donc exercer des modifications posturales qui vont lui permettre de prendre en compte les évolutions plus ou moins prévues. Dès l’arrivée de l’informatique dans l’enseignement on a pu voir la nécessité posturale selon les types d’implantations matérielles et logicielles retenues et les choix pédagogiques. De la salle informatique dédiée (on la réserve longtemps à l’avance, on se déplace avec ses élèves, on est dans un nouveau cadre), à l’ordinateur en fond de classe (ils sont à proximité) ou encore à l’ordinateur dans le cartable (tablette, portable à portée de la main), l’enseignant doit prendre en compte ces moyens mais aussi leur mise en oeuvre en tenant compte du degré d’acculturation des élèves. On peut décrire ainsi certains indicateurs posturaux de l’enseignant :
– La maîtrise de la visée plus que des objectifs : se fixer un cap sans s’enfermer dans un but à atteindre
– Prendre en compte les pré-connaissances et représentations : permettre à l’élève de partir de là où il est réellement
– L’acceptation de la variété des chemins : Accepter que chaque élève suive un chemin différent des autres, tout en respectant le cap choisi
– Une scénarisation adaptative et non contractuelle : faire en sorte que la préparation de séance ou séquence comporte des espaces temps souples et adaptables et que les variations soient acceptées
– Cheminement avec celui qui apprend : accompagner c’est faire le chemin avec. Une fois le cap choisi, l’accompagnement repose sur l’autorégulation et la co-évaluation afin de permettre que le chemin parcouru permette réellement d’apprendre
– Opportunisme cognitif (profiter des évènements): savoir s’emparer du moment, de l’incident, s’il est pertinent et fait écho chez les élèves, pour réorienter le chemin de l’apprendre
– Acceptation de la dissymétrie : Considérer la différence entre l’enseignant et l’élève non pas comme une contrainte hiérarchique mais comme une ressource qui s’alimente de la différence et du débat basé sur ces différences (connaissances, compétences etc…)
– Curiosité, inventivité, sérendipité : aller voir au-delà des habitudes, découvrir, chercher, investiguer pour améliorer le chemin de l’apprentissage
– Souci de la structuration réflexive a posteriori : s’obliger à garantir aux élèves un temps de réflexivité sur la séance et la séquence et que ce temps soit employé à structurer les compétences et connaissances travaillées
La posture de transmission (anthropologique) est ici, en conclusion, une synthèse de ces indicateurs. Un transmetteur est un passeur et pas un diffuseur. En d’autres termes les situations pédagogiques que l’on construit doivent permettre le passage au sein d’un collectif apprenant.
Et le numérique là-dedans ?
En fait le numérique n’est qu’un paramètre supplémentaire d’une situation d’apprentissage. Les indicateurs ci-dessus incluent ce numérique sans en faire en soi un objet spécifique. On peut considérer que le numérique ne fait que prolonger ou amplifier certains indicateurs/caractéristiques de la posture évoquée. Ainsi dans la capacité à prendre en compte les pré-connaissances ou encore l’opportunisme cognitif, par exemple, les moyens numériques vont offrir un contexte plus complexe ou plus varié que le contexte traditionnel. L’analyse des pratiques enseignantes perçues comme pertinentes ou innovantes montre que le numérique, au-delà des problèmes techniques lourds qui peuvent troubler toute séance, n’est pas un facteur de changement de posture aussi radical qu’on le pense. Toutefois on observe que certaines situations contraintes empêchent d’exprimer telle ou telle dimension de la posture : ainsi la salle informatique ou le chariot mobile peuvent être contraignants en induisant un ratio machines/élèves peu cohérent avec le chemin choisi. De même des limitations d’accès ou de fonctionnalités de certains logiciels ou certains sites internet peuvent interdire la curiosité ou même la structuration réflexive.
Le numérique ne transforme pas radicalement la posture de l’enseignant, il interroge la posture habituelle par une sorte de jeu de miroir dans lequel les moyens numériques renvoient à l’enseignant ses incohérences posturales, comme nous avons pu l’observer dans certaines classes.
Bruno Devauchelle