Avec la démocratisation, les murs de l’École sont-ils tombés ? Longtemps l’École s’est vue comme un espace clos à l’abri de la société, voire réservé à l’entre soi. Aujourd’hui les frontières de l’École ont perdu leur évidence. Comment l’École , les élèves, les enseignants , les familles vivent-ils cette perméabilité de l’École ? Patrick Rayou propose des approches multiples dans un ouvrage très original publié aux Presses universitaires de Vincennes. Une véritable réflexion sur les nouvelles frontières de l’École, autrement plus complexes que les anciennes, qui font que la démocratisation n’est toujours pas assurée.
Dans cet ouvrage qu’il dirige, Patrick Rayou s’est entouré de très bons auteurs qui rendent compte de travaux originaux sur le rapport à l’école. Patrick Rayou lui-même livre une étude des internats d’excellence qui démonte les a-priori d’un dispositif aujourd’hui disparu mais qui, sous N Sarkozy, devait préfigurer la nouvelle éducation prioritaire. Ce que montre notamment P Rayou c’est que ce nouvel enfermement scolaire a échoué à une véritable démocratisation de l’école.
Mais on lira aussi avec beaucoup d’intérêt l’article de F Robin qui étudie le débordement de l’école sur la table de la cuisine avec les fameux devoirs à la maison. Une invasion qui profite à certains plus qu’à d’autres.
C’est un article très original que propose S Robi. Elle analyse l’entrée en 6ème à travers les témoignages et les dessins des néo collégiens. Si l’entrée au CP est bien identifiée à l’apprentissage de la lecture écriture, l’arrivée au collège laisse le nouveau collégien seul face à la découverte de ce nouvel espace. S Robi montre que la maitrise du collège se passe très différemment selon l’origine sociale de l’élève. B Moiganrd et M Ouafki analysent un autre espace , celui de la prise en charge des élèves mis à la porte. Le développement de ces nouveaux dispositifs éloigne encore un peu plus des élèves de l’entrée dans l’école. D’autres articles portent sur le coaching scolaire, les micro lycées, la littérature jeunesse ou les études du soir.
L’ouvrage analyse finement les frontières invisibles de l’École. Car, si elle est poreuse et même ouverte à tous, l’École n’est réellement profitable qu’à certains. P Rayou met en garde contre l’idée de « faire l’école autrement ». « Selon les cas, l’école se transforme , pour ceux qui n’y réussissent pas, en zones de relégation où ils sont interdits de savoirs légitimes, ou en zone de pacification dans lesquels les objectifs d’émancipation sont perdus de vue ».
Patrick Rayou (dir.), Aux frontières de l’école , Institutions, acteurs et objets, Presses universitaires de Vincennes, 978-2842924508
Patrick Rayou: Régler les questions pédagogiques là où elles se trouvent plutôt que déplacer la frontière
Vous évoquez à propos des frontières de l’école, des frontières « invisibles ». De quoi s’agit-il ?
Elles sont invisibles pour plusieurs raisons. Une raison claire c’est que la scolarisation a envahi l’ensemble de la société. Il y a donc une sorte de dilution de la scolarisation tout comme il y a une sorte de pedagogisation de la vie de famille. D’un coté le périscolaire tente de nouer des liens avec l’école. De l’autre, il y ales devoirs de vacances par exemple. Il y a donc un brouillage important de la frontière de l’école avec aussi une externalisation du travail scolaire. En même temps, les modes scolaires ne prennent plus une forme scolaire classique. Par exemple, on évalue par compétences.
Un autre exemple est analysé par S Bonnery dans l’ouvrage : la littérature jeunesse est utilisée en classe Il y a donc un brouillage de la frontière. On pourrait penser que c’est harmonieux. Mais ces nouveaux usages doivent être rescolarisés par les élèves. Il faut qu’ils comprennent qu’avec ces supports il s’agit de faire de l’école et d’acquérir des savoirs disciplinaires.
Vous publiez un article sur les internats d’excellence très éclairant. On pourrait penser que dans cet univers clos la frontière est affirmée. Or vous montrez que la frontière est poreuse et que tous les élèves ne s’y retrouvent pas forcément.
L’idée que parce qu’on va mettre des jeunes dans des lieux préservés ils oublient leurs racines culturelles relève vraiment de la croyance. On le voit bien dans les activités culturelles que l’on propose aux jeunes des filières spéciales type Sciences po ou Essec. Au début, le spropositions sont nombreuses. Et puis le volume diminue. Il ne suffit pas de mettre les gens devant la culture. Il faut aussi qu’ils aient acquis la manière de s’incorporer cette culture.
Ces internats proposaient aussi des études pour faire les devoirs sur place avec un accompagnement. Mais là aussi vous montrez que ce n’est pas aussi simple…
Dans la plupart des internats d’excellence (tous sauf deux), les élèves sont inscrits dans un établissement scolaire différent. Le fait de les mettre en internat avec une aide aux devoirs les met dans une situation proche de ce qu’on a pu voir ailleurs : il y a peu de concertation entre ce qui se fait en classe et les activités extérieures. D’ailleurs dans un des internats le directeur avait même imposé un livret scolaire bis sans aucune concertation avec el livret fait dans le collège de rattachement des internes..
Déplacer les enfants sur le territoire ne règle pas la question éducative. Quand on n’est pas capable de régler la question là où elle se pose et qu’on tente de la résoudre en déplaçant les personnes, on fait bouger les frontières mais on ne les supprime pas. Dans le livre, de beaux articles montrent cela à propos des devoirs ou de l’entrée en 6ème. Les frontières bougent mais ne disparaissent pas.
Propos recueillis par François Jarraud