Que faire lundi quand on est professeur en collège ou au lycée ? Psychologue, psychanalyste et psychiatre de métier, Serge Tisseron est bien connu des enseignants, notamment pour ses travaux sur les écrans et les jeunes. Il présente les points sur lesquels les enseignants doivent mettre l’accent suite aux fusillades.
Lundi matin les enseignants seront en classe avec leurs élèves. Quel conseil leur donnez-vous ?
L’apprentissage de la démocratie est la seule réponse au terrorisme. Pas le bourrage de crâne. Il faut donc parler des événements avec les élèves. D’abord pour leur demander comment ils ont compris ce qui s’est passé. Il ne s’agit pas pour l’enseignant de prendre parti mais de laisser les jeunes dire ce qu’ils ont ressenti et compris. Dans beaucoup de familles on n’échange pas avec les enfants ou on ne donne qu’un seul point de vue. Il est très important que les jeunes soient confrontés à la diversité des points de vue.
A partir de 9 à 12 ans, les enfants ont la capacité de se mettre émotionnellement à la place des autres. Ils sont capables d’écouter vraiment les autres. Ils peuvent développer de l’empathie pour les autres.
Là où l’enseignant peut intervenir c’est pour mettre l’accent sur la solidarité. Il peut parler des secours, de l’entraide, de la mobilisation de tout le monde.
Ce que peut faire aussi l’enseignant c’est donner des repères. Pratiquement tous les collégiens regardent des vidéos sur Internet. Ces vidéos donnent un point de vue partiel. Elles encouragent un point de vue unilatéral. Les chaines de télévision ont souvent diffusé elles aussi des extraits non repérés. Il est important que les jeunes sachent que c’était à tel endroit, à tel moment. Dans la contextualisation le professeur peut parler des guerres que la France mène dans plusieurs pays.
Après les attentats de janvier, le ministère a décrété une minute de silence qui a posé pas mal de problèmes. Faut-il le refaire ?
Les événements sont très différents de ceux de janvier. Ils ne sont pas du tout ciblés. Les victimes ont été prises totalement au hasard. Par conséquent tous les enfants peuvent se reconnaitre dans les victimes. Mais avant la minute de silence, il est indispensable qu’un débat ait eu lieu en classe.
L’école française ne développe pas assez les compétences sociales et particulièrement l’empathie. On n’y pense que lors des drames. Comment l’encourager en temps ordinaire ?
J’ai développé le Jeu des trois figures qui a été testé de la maternelle au collège. En effet il ne faut pas attendre un drame pour inviter les enfants à développer leur capacité à changer émotionnellement de point de vue. Développer ces compétences devient urgent. Ce jeu y aide. Il s’appuie sur la découverte d’une fenêtre critique qui existe pour l’empathie vers vers 9 -12 ans.
Le quartiers où ont eu lieu les attentats sont très peuplés. Des milliers d’enfants ont été touchés plus que les autres. Ils ont vu ou entendu des choses. Ils ont senti l’inquiétude des adultes. Que faire pour eux ?
Là le conseil s’adresse plutôt aux parents. Ces attentats mobilisent des souvenirs et des pensées terribles. Je pense à ce qu’ont pu vivre les grands parents par exemple. Ce qui me semble important c’est que, avant de parler aux enfants, les parents parlent entre eux. Prendre l’enfant directement comme interlocuteur c’est prendre le risque de leur donner beaucoup d’angoisse. Il faut que les parents « détoxiquent » ce qu’ils éprouvent avec un autre adulte d’abord. Après ils pourront parler avec leur enfant de façon moins impliquée. Il ne faudrait pas que l’émotion des parents embouteille totalement le mental de l’enfant.
Propos recueillis par François Jarraud