Comment les élèves peuvent-ils penser l’espace qu’ils habitent ? Trois enseignants du lycée J Prévert de Boulogne Billancourt ont fait réaliser par trois classes de seconde une carte sensible de la ville mêlant perception auditive, mémoire de l’espace, cartographie des sentiments et des perceptions. Une réalisation « tranquille » qui apprend sur le fonctionnement urbain mais qui donne aussi des clés citoyennes aux lycéens. Ariane Jourdan, une des enseignantes qui ont mené cette expérience, revient sur cette démarche.
De décembre 2014 à mars 2015, trois classes de seconde du lycée J Prévert de Boulogne Billancourt, ont été invitées à représenter leur espace vécu. Le principe de l’exercice était d’obtenir une cartographie de l’affectif projeté sur le territoire, ici plus ou moins bien connu. Ainsi, les sensations auditives, olfactives ou visuelles, les sentiments d’attachement ou de rejet, les habitudes et les incertitudes ont été transformés en figurés cartographiques. Réalisé à l’occasion d’un colloque sur la Seine et son environnement, l’exercice a donné lieu à une réflexion assez extraordinaire des jeunes sur leur ville. Ariane Jourdan a fait travailler sa classe de seconde dans ce projet mené avec ses collègues Elisa Capdevila et Emmanuel Lemée. Elle revient sur cette expérience.
Pourquoi faire réaliser une carte sensible de la ville ?
Toute carte est une représentation de l’espace. Mais le but original c’était, dans le cadre d’un colloque sur la Seine et son environnement, de faire travailler les élèves sur leur rapport à la Seine en leur faisant cartographier leur vision de ce territoire. Finalement on s’est retrouvé avec des croquis qui parlaient plus de la ville que du fleuve.
Qu’est ce que cela dit de la vision de la ville qu’ont les lycéens ?
Le premier enseignement a été que les élèves sont rarement sur les berges de la Seine. Ils sont beaucoup plus tournés vers Paris et la Seine apparait plutôt comme répulsive. Le grand axe autoroutier qui suit les berges n’y est pas pour rien. C’est une véritable barrière et le sberges sont un espace répulsif. Le second enseignement c’est que les jeunes connaissent très mal leur ville. Les trois classes de seconde qui ont travaillé dans le projet n’ont cartographié que peu de zones de Boulogne Billancourt. Le territoire des lycéens c’est leur quartier, le trajet vers le lycée. L’attirance vers Paris est plus forte que la connaissance de leur commune. De ce point de vue, les élèves nous disent ce qu’est Boulogne Billancourt : une banlieue.
Comment a été réalisée cette construction collective d’une carte entre trois classes ?
J’ai envie de dire qu’on y est allé, mes collègues et moi, tranquillement et à tâtons. Au départ, on a présenté aux élèves une carte subjective d’un autre espace. Une bonne partie des élèves n’a pas vu l’intérêt de cette démarche au départ. On a donc avancé pas à pas. On a commencé à faire représenter l’espace par les élèves à partir de fonds de carte. Chaque classe travaillait en demi groupe dans son coin.
Et puis une classe s’est révélée plus motrice que les autres. Ces élèves ont commencé à simplifier leur représentation et à inclure ce qu’ils entendent , ce qu’ils ressentent de la ville. Leurs croquis ont entrainé les autres classes. Et à partir de là les élèves ont commencé à approfondir. On a vu cette carte sensible petit à petit émerger.
Les enseignants d’histoire-géographie travaillent souvent seuls. Dans ce projet vous êtes trois. Comment s’est fait ce travail en commun et que vous a -t-il apporté ?
On est même quatre car Sophie Gaujal, une quatrième professeure d’histoire-géo du lycée, a réalisé la mise en forme numérique de cette expérience de cartographie. Dans ce lycée, on travaille souvent comme cela à plusieurs. C’est très agréable car on s’entend bien et on monte des projets ensemble. Ce n’est pas si chronophage que cela.
Ce qui était enthousiasmant dans ce projet c’était de voir le travail en commun des élèves. IL y avait 6 groupes sur des horaires différents. Mais les élèves se sont partagé l’espace et ils ont commencé à se compléter les uns les autres et à construire une synthèse de leurs représentations.
La plupart des professeurs d’histoire-géographie sont historiens de formation. Pourtant on a l »‘impression que c’est souvent en géographie qu’ils s’autorisent des démarches innovantes. Comment expliquez vous cela ?
Certains points du programme de géographie s’y prêtent. Il y a des points du programme, très globaux, mondiaux, qui passent par des démarches classiques. D’autres permettent une autre approche. La géographie c’est une science de terrain et on peut parfois faire pratiquer du terrain aux élèves en leur faisant construire leur savoir.
Propos recueillis par François Jarraud