La publication, le 27 octobre d’une nouvelle Note de la Depp sur l’enseignement du latin au collège relance le débat sur la réforme en semblant justifier un déclin des langues anciennes. Que savons-nous des usages que les familles font de cette option ? Que penser de la publication de cette Note à quelques mois de l’application de la réforme ?
Quels usages les familles font du latin ?
Pourtant d’autres études, avant la Note de la Depp, ont montré que les langues anciennes sont un marqueur social dans le système éducatif. « Les options ne sont pas prises de manière égale par les élèves des différentes classes sociales. Les plus aisés prennent plus souvent le latin ou l’allemand par exemple », explique Son Thierry Ly, auteur avec Eric Maurin et Arnaud Riegert d’une étude sur la ségrégation dans les collèges franciliens. Selon cette étude, « pour 62% des élèves ségrégués socialement (et 70% scolairement), la répartition des élèves selon leurs choix d’option et de langues suffit à expliquer la segmentation observée ». En 3ème c’est 76% des élèves. Une autre étude, celle de François Baluteau, souligne le rôle non plus du latin, mais du couple latin grec. 74% des collèges défavorisés proposent le latin seul mais 53% des favorisés ont latin grec. L’étude de la Depp vient donc confirmer l’usage du latin qui est fait par les familles les plus favorisées pour tracer leur route au collège, y compris dans les collèges de l’éducation prioritaire.
Un argument utilisé par le ministère
La position du ministère a été à la fois de dénoncer la ségrégation sociale par le latin et d’annoncer vouloir l’offrir à tous. La circulaire d’application de la réforme précise par exemple que « les élèves qui bénéficient d’un enseignement de complément doivent être répartis dans plusieurs classes, afin d’éviter la constitution de filières sur la base de ce choix ». Une recommandation qui semble-t-il pourrait rester lettre morte suite à une intervention des personnels de direction du Snpden.
Le 24 mars, devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée, la ministre utilise l’argument ségrégatif pour défendre sa réforme. « Je ne me satisfais pas de réserver (le latin) à quelques uns… Il s’agit de généraliser et non de supprimer cet enseignement. Le latin sera un EPI au lieu d’une option facultative ». Et la ministre affirme une volonté politique dans un entretien donné au Point. « Tout le monde est d’accord pour déplorer les faibles résultats et les inégalités qui se creusent au collège. Mais lorsqu’il s’agit d’offrir à tous les collégiens les mêmes perspectives de réussite et donc de tirer tout le monde vers le haut et pas seulement quelques-uns, on nous parle systématiquement de « nivellement par le bas ». Alors, oui, ces débats le confirment une fois de plus : il y a bien une différence essentielle entre les progressistes et les conservateurs. Les premiers combattent les inégalités quand les seconds en théorisent la nécessité ».
Le 22 avril elle réitère . « Non, la réforme n’enterre pas le latin. Bien au contraire. Là où il n’est aujourd’hui qu’une option (c’est-à-dire des heures de cours en plus), proposée par quelques établissements, choisie par très peu d’élèves (20 %) qui pour la plupart l’abandonnent au lycée, nous en faisons un enseignement pratique interdisciplinaire (ce qui signifie à la fois étude de la langue mais aussi de la culture et de la civilisation) présent dans la scolarité obligatoire. Cela va contribuer à démocratiser cet enseignement ». La circulaire d’application promet des moyens suffisants : « les établissements qui proposent aujourd’hui les options latin, grec et langues régionales disposeront des moyens nécessaires à la mise en œuvre dans les meilleures conditions des enseignements de complément en latin, grec et langues régionales ».
Le latin un outil de promotion scolaire
Pourtant les enseignants des langues anciennes mettent souvent en avant le caractère démocratique de l’enseignement du latin. La Cnarela met en avant le rapport des inspecteurs généraux Klein – Soler qui a écarté l’idée d’un élitisme des langues anciennes au titre de sa progression dans l’académie de Créteil. Pour François Martin, le vice président de la Cnarela, les apports des langues anciennes à la culture des élèves sont bien réels aussi bien pour la maitrise du français, un vrai enjeu social, que pour leur dimension citoyenne. Et l’étude de la Depp confirme qu’au sein de l’éducation prioritaire, le latin est bien utilisé comme un outil de promotion scolaire.
« Discipliner » la lutte pour la mixité sociale au collège ?
Ces deux positions illustrent la façon dont on a finalement confondu un objectif social avec une discipline scolaire. Cela renvoie d’une certaine façon à la question finale de l’étude de la Depp. Le latin est-il un outil ou un marqueur de différenciation sociale ? Comme le latin est largement abandonné à l’entrée au lycée, il semble plutôt être utilisé comme un véhicule de promotion scolaire par les familles que pour ses vertus propres.
La réduction des filières élitistes peut-elle réduire ce mouvement de différenciation sociale et de différenciation des établissements ou ira-t-il simplement se déplacer ailleurs en utilisant les marges d’autonomie qu’offre la réforme du collège ? Même si des efforts ont été faits en faveur de l’éducation prioritaire, il semble que le ministère ait fait le choix de lutter contre les inégalités sociales à l’école par la réglementation davantage que par l’amélioration de l’offre scolaire. L’avenir dira si ce choix, certes plus facile, est le plus efficace.
François Jarraud