Les enseignants ne sont pas tous des juristes, loin de là. Mais nul n’est censé ignoré la loi. Or l’observation des pratiques du numérique dans les établissements scolaires laisse à penser que les pratiques pédagogiques sont souvent assez éloignées du cadre légal, du cadre réglementaire à défaut de se référer à ce qui est recommandé par les autorités académiques. Il n’est pas question, ici, de faire un cours sur le droit et l’enseignement, mais simplement de signaler quelques questions d’ordre juridique qui émergent dans le monde scolaire et qui doivent être prises en compte au sein des établissements. Les chefs d’établissements sont en premier lieu les responsables du respect de la loi dans l’EPLE. Les enseignants sont aussi responsables des pratiques qu’ils mettent en place avec le numérique. En proposant à des jeunes, mineurs ou non, d’accéder à Internet et à certains services grands publics (Facebook twitter, Google, 365 etc.), les enseignants, les équipes éducatives respectent-ils la loi sur la protection des enfants ? Respectent-ils le cadre de référence que l’Etat tente d’imposer depuis 2003 autour du déploiement des ENT est des services en ligne (téléservices et autres SCONET, ATEN etc.)?
Des pages incomplètes…
La multiplication des usages des sites grands publics en classe en concurrence des services proposés dans les établissements par les collectivités territoriales et l’Etat pose la question de la loi, de la protection des jeunes mais aussi de l’autorité de l’Etat sur les pratiques quotidiennes dans la classe. Plus avant, cela pose aussi la question plus large de la « responsabilité éducative » des adultes. De plus en plus d’entreprises sont confrontées à la concurrence des pratiques personnelles des moyens numériques par les salariés au sein même de l’entreprise et parfois en concurrence des services fournis, voire imposés par celle-ci. Le monde de l’éducation échappe d’autant moins à cette question que la fameuse « liberté pédagogique » aussi encadrée soit-elle, reste une sorte de juge de paix brandit par nombre de personnes dès lors qu’on tente de leur imposer une manière de faire. Peut-être qu’il y a quelques bonnes raisons à cela.
On ne peut que déplorer, toutefois que, pour clarifier ce point, cette page web soit incomplète et qui plus est non mise à jour depuis aout 2011 (consultée le 6 octobre 2015). Une rapide recherche sur Internet n’apporte guère plus de réponse pour clarifier cette responsabilité. Si pour les chefs d’établissements on trouve encore cette page en friche (d’où vient la responsabilité de cet abandon ?) pour les enseignants il en est quasiment de même. Et c’est à propos d’Internet qu’on trouvera le plus d’informations. On trouvera à cette adresse : http://eduscol.education.fr/internet-responsable/ressources/legamedia.html des éléments de réponse qui concernent l’ensemble de la communauté éducative. Il faudra passer par la CNIL pour trouver quelques documents bien utiles : http://www.cnil.fr/les-themes/scolarite-mineurs/ et en particulier des documents pour le chef d’établissement. Ces documents sont prolongés par le site http://www.educnum.fr/ qui s’adresse directement aux jeunes, mais aussi aux adultes (indirectement).
Une réglementation peu accessible…
Mais une rapide recherche sur les moteurs de recherche laisse pantois. Rien de bien clair, à moins de lire directement le code de l’éducation proposé par le site Légifrance et qui regroupe les textes réglementaires à jour. Mais pour ceux qui s’y sont plongé, c’est parfois un peu difficile à lire. Il semble bien que le cadre légal des actions concernant le numérique dans le monde scolaire soit encore bien mal documenté, même de la part du ministère de l’éducation, et surtout peu accessible aux usagers que sont en premier les enseignants et les chefs d’établissements. A tel point que certains, du ministère jusqu’aux salles de prétoire, déplorent cette ignorance du droit et des obligations qu’il implique, car trop souvent le mot « droit » n’est pas perçu comme un cadre à respecter pour soi, mais davantage un cadre à faire respecter par les autres. L’exemple du droit d’auteur l’illustre bien, tant il est souvent bafoué, même par les enseignants simplement en oubliant de citer les sources des photocopies distribuées aux élèves.
Quid de Twitter et Facebook ?
On nous dit, par exemple que Facebook est interdit au moins de treize ans. En recherchant plus avant, on s’aperçoit que c’est une règle valable aux USA, mais qu’en est-il en France ? Le directeur de twitter France écrit que l’âge légal pour ouvrir un compte twitter est de 13 ans. Mais il s’agit, comme pour Facebook d’une loi issue du tribunal compétent aux USA. En France qu’en est-il ? En fait deux questions différentes se posent. Dans la pratique privée, personnelle, familiale, rien n’empêche un enfant d’ouvrir un compte sur un réseau social, pour peu que sa déclaration soit acceptée par le fournisseur du service (en fonction des lois qui régissent son activité). Mais les choses changent quand il s’agit pour un enseignant de demander aux élèves d’ouvrir un tel compte, ou encore de l’ouvrir pour eux. A-t-il le droit ? Pour aller plus loin on pourra lire ce document (qui date de 2004, le reste du site ne semble pas à jour depuis 2012, là encore, pourquoi ?) qui permet aux enseignants d’y voir un peu plus clair mais qui est déjà largement dépassé pour ce qui concerne certaines technologies apparues récemment.
Une question en déshérence ?
Décidément notre travail de défrichage (de surface) de la loi amène à un constat tout à fait curieux : d’une part chartes, cadres de confiance ou de référence, recommandations de toutes sortes, et même recommandation de la CNIL abondent; mais d’autre part l’information fournie par le ministère de l’éducation sur le cadre juridique est largement en déshérence et semble bien peu pertinente (voire simplement pas actualisée) en regard des problèmes de fond Faut-il en déduire que les pilotes du système ont baissé les bras ? Qu’ils sont inconséquents ? Qu’ils n’ont pas les moyens ? Ou plus simplement que cela ne leur pose pas problème ? Mais, et c’est cela l’essentiel : chacun fait ce qu’il pense pouvoir faire au lieu de penser ce qu’il « doit » faire. D’une académie qui ouvre la porte aux services de grandes sociétés informatiques étrangères sans se soucier de la conformité au cadre, à l’enseignant qui fait des twictées avec les élèves d’école primaire, on peut s’interroger et surtout interpeller les responsables politiques (ministères) et techniques (Dgesco, DNE etc…).
Loin de moi l’idée d’agiter le chiffon rouge et d’attiser les peurs, ce qui serait pour ma part aller contre ma manière d’envisager les choses. Mais en regard de ce flou généralisé, et en regard des nombreuses petites incivilités ordinaires que chacun de nous peut être tenté de s’autoriser, il est probablement temps, avant que le plan numérique ne vienne inonder les établissements scolaires, que chacun soit conscient de ses responsabilités et des limites que la loi impose à son action mais aussi ce qu’elle permet. Car finalement, la loi française semble, non pas laxiste mais responsabilisante. Mais pour responsabiliser il faut aussi quelques repères communs, or ceux-ci semblent manquer… au moins dans les têtes et un peu sur le web…
Bruno Devauchelle