Longtemps le local a été perçu comme la solution aux problèmes éducatifs. C’est cette idée que porte l’autonomie des établissements dans la réforme du collège ou le décret sur la sectorisation des collèges pour lutter contre la ségrégation scolaire. C’est cette articulation entre politique nationale et conjugaisons locales que la revue Diversité interroge dans un numéro piloté par Choukri Ben Ayed.
Et quand le sociologue regarde de près le partage des rôles impulsé par la décentralisation, son constat est amer. « Alors que le recours au local apparaît pour ses défenseurs comme un « levier » de changement et de « modernisation », les recherches soulèvent un certain nombre d’écueils et d’effets négatifs induits : fragmentation spatiale, inégalités territoriales d’éducation, accroissement des logiques ségrégatives et des marchés scolaires locaux », annonce Régis Guyon, rédacteur en chef de Diversité.
Le chef d’établissement au coeur des tensions entre local et national
Dans une bonne vingtaine d’articles, la revue croise les regards entre niveau local et politique nationale ainsi qu’entre les acteurs. Agnès Van Zanten confie son étonnement devant l’étrange barrière entre le national et le local particulièrement dans une école qui se vit assiégée. Jean-Paul Delahaye rappelle les inégalités scolaires, y compris entre les politiques locales d’éducation et pose quelques jalons concrets comme le travail sur l’écart entre le pourcentage de boursiers et de CSP défavorisées dans les établissements.
Les tensions entre local et national sont biens présentées à travers un article de S Condette sur les chefs d’établissement. C’est lui qui doit articuler les politiques nationales et locales, faire face aux résistances et aux frictions entre l’interne et l’externe. Et il bien du mal à le faire.
Donner moins d’école aux élèves en difficulté ?
Choukri Ben Ayed, coordinateur du numéro, livre une analyse sévère de cette articulation à propos de la politique de mixité sociale. Pour lui, sous couvert de localiser cette politique, l’Etat ne remplit pas son rôle. La décentralisation de fait aboutit à une impasse sur le terrain, l’Etat se gardant de contrôler l’application effective de sa politique.
Au coeur de cette lecture du local, les établissements privés font l’objet d’un article novateur de Guillaume Dupuy. Il ne s’intéresse pas aux ségrégations entre public et privé mais au petit monde des décideurs locaux qui gèrent les ressources publiques. Dans le département qu’il étudie il relève que la grande majorité sont des usagers satisfaits du privé ou s’arrangent avec la sectorisation scolaire. Et cela n’est pas sans conséquences sur les politiques menées. Cette « trahison » des élites locales entre en concurrence avec les autorités académiques.
Plusieurs articles interrogent aussi les politiques d’aide périscolaires. Ainsi S Bonnery étudie les dispositifs d’action culturelle dans une ville de banlieue et montre les résistances, les ruses et les logiques contradictoires qui l’accompagnent. Benjamin Moignard et Juliette Garnier reviennent sur les dispositifs éducatifs locaux vus du vécu des élèves. Pour eux, le risque c’ets de donner au final plus d’école à ceux qui réussissent et de renvoyer à des formes du périscolaire ceux qui ont des difficultés scolaires.
Il reste encore à découvrir dans ce numéro de Diversité bien d’autres articles importants. L’essentiel c’ets le regard neuf et acéré que ce numéro porte sur la déclinaison entre local et national, c’est à dire au constat de l’écart entre les objectifs donnés à ces politique slocales, en gros remédier aux difficultés du système éducatif, et les résultats obtenus. Au coeur des inégalités scolaires et des échecs du système éducatif il y a bien cette question di local. La revue le démontre.
Diversité n° 181, 3e trimestre 2015, L’école, entre national et local, 176 pages – 15,00 € ISSN 1769-8502 / ISBN 978-2-240-03526-4
C. Ben Ayed : « Quand le ministère s’émeut de l’instabilité des enseignants en REP , il devrait s’interroger sur sa propre permanence »
Coordinateur du numéro 181 de Diversité, Choukri Ben Ayed revient sur le rapport entre national et local depuis la décentralisation. Pour lui on a décentralisé sans se donner les moyens de vérifier les politiques locales. » Décentraliser pour décentraliser n’a aucun sens ».
Face aux difficultés scolaires, le local est souvent perçu comme la solution. C’est là que peuvent s’adapter les politiques nationales de façon à être plus efficaces car plus proches du terrain. Pour vous ce n’est pas le cas ?
Je montre qu’on a tendance à idéaliser le local et à le considérer comme une solution. Or c’est un problème à traiter. Il faut aller au delà du discours et regarder les contradictions révélées par les enquêtes de terrain.
Le local ne tient pas ses promesses ?
L’Etat se contente de déléguer ses responsabilités au niveau local sans se soucier de la façon dont le local s’approprie ces politiques. Ce qu’on observe sur le terrain c’est l’hétérogénéité. On le voit dans le traitement de la difficulté scolaire. Ou encore dans le discours sur la mixité sociale à l’école à propos des nouveaux secteurs des collèges. En dépit du discours national, c’est uniquement le local qui est concerné. Le national se décharge sur le local et prescrit peu de choses sur les dispositifs. On a un transfert de compétences dans un cadre flou avec un texte qui fait référence à la bonne volonté locale. Il oriente peules acteurs qui sont assez dépourvus pour appréhender leurs responsabilités. De fait appliquer la réforme appartient au conseil départemental. Le recteur n’a pas les moyens de faire appliquer le décret.
On peut prendre un autre exemple. Les dispositifs de traitement de la difficulté scolaire renvoient à la politique de la ville. Les acteurs locaux se débrouillent avec les moyens dont ils disposent pour une action locale peu prescrite. L’Etat ne vérifie pas comment ça s epasse. De la même façon, le texte sur le transfert aux départements de la sectorisation des collèges tient en quelques lignes et personne ne vérifie ou n’évalue ses effets.
Comment expliquer ces situations ?
On a une sorte d’anémie ministérielle , des politiques éducatives qui disent tout et son contraire, pas de cap clairement défini. Il manque dans ces réformes institutionnelles un cadre qualitatif qui impliquerait l’Etat et des comités locaux. Il y a des injonctions mai speu de règlement.
Il faudrait s’intéresser aussi sur l’instabilité permanente du niveau national. Si on regarde l’organigramme du pilotage de la loi d’orientation, depuis 2013, combien de changements au niveau de la Dgesco ou du cabinet ? On a des dispositifs qui vivent de façon autonome et une bureaucratie nationale quia sa propre vie. On multiplie les injonctions mais les gens changent en permanence. Quand le ministère s’émeut de l’instabilité des enseignants en REP , il devrait s’interroger sur sa propre permanence.
C’est pourtant au niveau local qu’on peut mieux différencier les politiques..
Je ne suis pas dans la dichotomie entre local et national. Ce qu’il faut c’est évaluer ces politiques locales. Sinon on voit se multiplier les contestations locales, par exemple de sparents qui se mobilisent pour dire « venez voir ce qui se passe ». Autrement dit, il faut sortir de la dichotomie entre local et national et penser aux niveaux intermédiaires plutôt qu’envoyer des injonctions vers le terrain.
Les injonctions au final atteignent les professeurs…
De tout temps les professeurs ont eu à régler les problèmes locaux. Ce qui a changé c’ets l’explosion des dispositifs locaux. L’éducation prioritaire, la politique de la ville, la diffusion des valeurs républicaines, toutes ces politiques nouvelles se déclinent localement. Mais le local a-t-il le smoyens de faire face à cette accumulation ? On entend de nombreux discours sur le local et ses bienfaits mais quand on regarde on voit que les administrations locales changent peu. Il y a bien inadéquation entre le contenant et le contenu. Le niveau national n’assume pas son rôle. Il devrait se remettre au premier plan.
La question la plus urgente pour le système éducatif c’est la lutte contre les inégalités. Ca peut se piloter au niveau national ?
En fait c’est surtout un symptome.Mais quand on parle de contribution locale à la lutte contre la ségrégation scolaire on voit qu’une grande partie de celle-ci est liée à l’organisation scolaire : au curriculum, aux filières, aux options. Autant de sujets pour lesquels le local n’est pas compétent. La mise en concurrence des établissements c’est le domaine réservé du national or c’est à l’origine de la ségrégation.
Il faudrait de nouvelles instances administratives pour articuler local et national ?
Il faudrait penser a quelque chose de nouveau où le local ne serait pas laissé pour compte face à la bureaucratie nationale. Il faudrait penser l’accompagnement du local à travers des structures hybrides associant responsables administratifs, parents, syndicats.
C’est la décentralisation qui est interrogée ?
Il n’y a pas à être pour ou contre la décentralisation. Ce n’est pas mon problème. La décentralisation doit être un moyen pas une fin. Quand on l’érige en finalité on perd les pédales. On a d’abord décrété que la décentralisation était le graal et après on se demande pourquoi on décentralise… La mettre en finalité a été une faute politique. Décentraliser pour décentraliser n’a aucun sens.
Propos recueillis par François Jarraud