Le numérique peut-il construire une vraie coopération entre l’Etat et les collectivités territoriales ? C’est le pari du « Comité des partenaires du numérique pour l’éducation » créé lors de la 2ème Journée du numérique à l’Ecole. A quelques mois de la mise en oeuvre du plan numérique que François Hollande a promis pour la rentrée 2016, l’Etat a besoin des acteurs locaux. Deux membres du gouvernement, N Vallaud-Belkacem et A Lemaire, participent à la Journée. Qui convaincre et comment, c’est un peu le fond des échanges de la Journée. La ministre de l’Education a annoncé un plan d’équipement numérique pour les écoles REP. L’Education nationale a montré des projets phares aux élus locaux qui veulent savoir où ils mettent leur argent…
Grandes manoeuvres autour du plan numérique
Le 1er octobre, les deux membres du gouvernement sont venus signer la Convention créant le « Comité des partenaires du numérique pour l’éducation ». A coté des ministères de l’Education et du ministère de l’économie et du numérique, la Convention réunit les associations de maires (AMF, AMRF, AMGVF, AMVBF), l’association Villes Internet, le Réseau des villes éducatrices, l’ADF, l’ARF ainsi que la Caisse des dépôts. Le Comité veut traiter des usages, favoriser la mise en place d’accompagnements vers les enseignants, partager les bonnes pratiques sur l’achat et la maintenance du matériel et participer au développement de la filière du numérique éducatif.
C’est que le plan numérique annoncé par François Hollande va se déployer. Déjà environ 300 collèges et écoles préfigurent le déploiement du plan. Au budget 2016, 192 millions sont inscrits pour permettre l’équipement de 40% des collèges à la rentrée 2016. Le plan prévoit de renouveler cet effort durant 3 ans. L’Etat attend des collectivités territoriales qu’elles participent financièrement au plan pour un tiers.
Mais les collectivités territoriales n’ont pas vraiment l’habitude d’être traitées en partenaires par l’Education nationale. Lancée par V Peillon, l’idée des contrats tripartites Etat – Région – Lycée marque le pas. La mise en place des PEDT est vécue comme une expérience négative par beaucoup de maires. Dans tous les plans numériques précédents, l’Etat a essayé de capter l’argent des collectivités territoriales tout en gardant seul le pilotage. Un seul plan a bien fonctionné : le plan écoles numériques rurales en 2010, avant que le ministère y mette fin faute de crédits. En 2014, le ministère a lancé un plan d’accès au haut débit pour les écoles des zones rurales. N Vallaud Belkacem précise que de nouvelles demandes peuvent encore être acceptées.
Une aide de l’Etat pour les écoles Rep
Mais voilà, les élections départementales ont fait basculer un nombre important de départements à droite. Et certains changent de politique éducative. Ainsi, le Jura, puis les Bouches du Rhône ont annoncé abandonner le déploiement de tablettes dans les collèges à quelques mois de la rentrée numérique. On n ‘est donc pas surpris de voir les ministres, lors de la Journée du numérique à l’Ecole, s’adresser plutôt aux associations de maires, très présentes .
« Oui le numérique peut aider les élèves à apprendre. Oui il est une des conditions de leur réussite future ». De la publication de l’étude Pisa sur le numérique à l’Ecole, N Vallaud-Belkacem n’a gardé que l’idée que le numérique a des effets positifs. « De nombreux métiers nécessiteront la maitrise de l’outil numérique », poursuit la ministre. « D’immenses gisements d’emploi encore insoupçonnés » attendent les élèves, fait-elle miroiter.
Axelle Lemaire explique aux élus que « le plan numérique est porté avec détermination par la ministre de l’Education nationale » et que le minsitère « prend les choses par le bon bout : ce sont les enseignants qui seront les fers de lance de la révolution numérique. C’est leur formation qui est au coeur de tout ».
N Vallaud-Belkacem donne des arguments objectifs. Elle annonce que l’Etat financera l’équipement des écoles Rep et Rep+ à 100% », à hauteur de 381 euros par élève et enseignant. D’après le ministère, l’appel à projet est en préparation.
Les chaises à roulettes font-elle la pédagogie de projet ?
Et pour achever de convaincre les élus, la Journée présente deux vitrines pédagogiques. A Champagne au Mont d’Or (69), le collège a ouvert un learning lab. Au lycée Vauban de Brest, il s’agit d’un incubateur numérique. Deux projets qui semblent fort proches mais la table ronde met en évidence les différences. A Brest, Bernard Le Gal présente l’incubateur comme un dispositif. C’est un endroit où les enseignants peuvent tester des usages numériques en bénéficiant sur place d’une aide technique et pédagogique. B Le Gal n’a pas de souci pour la durabilité de l’incubateur. Il s’appuie sur des réseaux anciens d’enseignants, précise Ronan Pichon de Brest Métropole. « La question de la durabilité ne se pose pas quand un dispositif répond à un besoin », explique B Le Gal. Il estime avoir au lycée suffisamment d’enseignants investis dans le numérique pour assurer l’avenir de l’incubateur.
La situation au collège de Champagne au Mont d’Or semble bien différente. A l’origine du projet de Learning Lab, un projet de design mené par la principale. En partenariat avec une entreprise privée elle a ouvert un espace où on teste du mobilier scolaire. L’espace est tellement différent des salles de classe ordinaires que l’accès est réservé à quelques enseignants triés sur le volet. « On fera facilement des travaux de groupe grâce aux sièges à roulettes », explique la principale…
L’intégration du numérique peut-elle être induite par des espaces particuliers ? On retrouve une utopie ancienne : l’idée que l’architecture scolaire peut piloter la pédagogie. Si l’architecture pose des contraintes, elle ne suffit évidemment pas à définir une pédagogie ou même à la changer. L’expérience des nouvelles écoles de l’immédiate après guerre l’a démontré. Le changement pédagogique lié au numérique est aussi souvent réduit à un changement de « posture » de l’enseignant, une injonction répétée par la principale de Champagne au Mont d’Or.
Avec ce rappel du mobilier, la Journée ramenait les élus locaux à un rôle bien connu, celui de fournisseur de chaises et de tables. Or le vrai enjeu « c’est l’enjeu de la continuité sur le temps de élèves et entre les cycles », nous a dit Jean Rainaud, conseiller éducation de l’Association des Régions de France. Les régions investissent environ 100 millions par an dans le numérique. « On ne peut plus isoler l’école et le collège. Il faut impliquer tous les acteurs du terrain », nous a dit Patrick Roumagnac, secrétaire général du SI EN Unsa. C’est bien l’idée du partenariat que promet la Convention signée le 1er octobre. Pour permettre cela il faut au moins une révolution numérique.
François Jarraud