L’Ecole peut-elle quelque chose contre le décrochage ? Trois études récentes apportent des éclairages nouveaux sur les mécanismes du décrochage. Elles montrent clairement du doigt les responsabilités de l’Ecole. Ainsi le travail de PY Bernard et C Michaut explique que les décrocheurs sont aussi des jeunes qui en ont « marre de l’école ». E. Maurin, D. Goux et M. Gurgand montrent à contrario que l’école peut, à moyens constants agir efficacement contre le décrochage en travaillant sa relation aux parents. Une dernière étude réalisée par L Hernandez, N Oubrayrie-Roussel et Y Prêteur montre aussi l’impact des pairs dans le processus de décrochage.
Marre de l’école
Comment les jeunes décrocheurs expliquent-ils leur départ du système éducatif ? Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut, université de Nantes, ont travaillé sur les propos des décrocheurs. Basé sur une enquête téléphonique auprès de 1155 jeunes, un quart des décrocheurs des Pays de la Loire, leur travail éclaire avec cruauté leur rapport à l’Ecole. Car si les jeunes mettent en avant l’attrait de la vie professionnelle ou le désir de gagner de l’argent pour justifier leur départ, huit sur dix confient « en avoir marre de l’école ». Une formule qui recouvre des réalités différentes sur lesquelles les auteurs ont travaillé. Ils arrivent ainsi à dresser 5 portraits de décrocheurs qui vont de garçons en opposition affirmée avec l’Ecole à des filles découragées qui ont des difficultés scolaires. Mais, au final, « dans les déclarations des jeunes, il y a une dénonciation très forte de l’Ecole », conclue PY Bernard.
Impliquer les parents
Le travail d’Eric Maurin, Dominique Goux et Marc Gurgand sur l’expérimentation de prévention du décrochage réalisée dans l’académie de Versailles montre que les établissements ne sont pas désarmés face au décrochage. Testé sur plus de 4000 élèves de troisième de l’académie de Versailles, le dispositif évalué par l’Ecole économique de Paris a un coût fort modeste : celui des vidéos qui sont projetées aux parents par les principaux. Car l’essentiel du dispositif consiste en la sélection des « élèves à risques » par les principaux et le dialogue personnel engagé par les principaux avec ces familles. Ils appellent au téléphone les parents et les invitent à assister à deux réunions. Et leur intervention porte ses fruits. En comparant le devenir des collégiens de troisième à risque de décrochage avec des groupes similaires qui n’ont pas bénéficié de ces réunions, les auteurs mettent en évidence des changements significatifs. Le premier c’est qu’un pourcentage significativement plus élevé de parents vient assister aux réunions (+24% selon l’étude). L’impact de ces réunions est attesté. A leur issue, les parents se forgent des espoirs plus réalistes sur le devenir scolaire de leur enfant. Les réunions n’ont pas d’effet sur le niveau scolaire de ces élèves à risque qui reste très faible et ne s’améliore pas. Mais les parents abandonnent davantage (+8%) le rêve d’un bac ou la demande d’un redoublement pour se tourner vers un CAP. Les choix d’orientation des familles s’en trouvent affectés. Les demandes d’entrée en CAP augmentent d’un tiers et les voeux pour une filière bac diminuent en proportion. Le taux de décrochage diminue de 36%, celui des redoublements, souvent improductifs, de 34%. Pour Eric Maurin, « on peut faire reculer le décrochage par une intervention cosmétique. On peut agir sans politique de longue haleine, engageant des moyens importants et une transformation de l’Ecole ».
Le rôle des pairs
Lucie Hernandez, Nathalie Oubrayrie Roussel et Yves Prêteur, du laboratoire PDPS de l’Université Toulouse II, publient dans Recherches en éducation n°20, une intéressante étude sur le rôle des pairs dans le décrochage. L’étude s’appuie sur un questionnaire rempli par près de 700 élèves de troisième dans un échantillon représentatif de collèges. Les auteurs ont mené un double classement des élèves en fonction de leur rapport au groupe de pairs et de leur implication scolaire. Ainsi ils évaluent que 39% des élèves considèrent être fortement soutenus par le groupe des pairs : ce sont les « populaires ». Inversement 19% s’isolent du groupe (les « en retrait »). 17% des élèves sont soumis à l’influence du groupe (les « soumis »). Et 25% recherchent aussi le groupe mais se sentent peu appréciés (les « négligés »). Sur l’échelle de la scolarité, 12% des élèves sont démobilisés et en difficulté. 28% sont en difficultés. Selon les auteurs, les « populaires » sont les élèves les plus persévérants. Fortement soutenus par le groupe ils accordent de l’importance à leurs progrès. Les jeunes en retrait sont ceux qui s’attachent le plus à la valeur intrinsèque de l’enseignement. Ils viennent au collège pour apprendre et bénéficient le mieux des enseignements. Les « soumis » privilégient leur image dans el groupe à leur scolarité. Ils abandonnent facilement les apprentissages. Enfin les élèves « négligés » par leurs pairs accordent le moins d’importance à l’école. Les auteurs tirent un enseignement concernant le décrochage : l’influence du groupe des pairs est déterminante sur la persévérance scolaire. Ceux « qui ont un rapport aux autres fondé sur la cohésion, le soutien, la solidarité et l’intimité, ont tendance à attribuer davantage de sens à leur scolarité et donc à mieux réussir. Nous voyons combien le rejet par les pairs, des manifestations d’exclusion du groupe ou de discrimination « paralysent » la réceptivité et la mobilisation cognitive, fragilisent la confiance en soi et la prise d’initiative ». Voilà des dimensions auxquelles les enseignants doivent porter attention.
Au final, ce que nous disent ces études, c’est que lutter contre le décrochage passe bien par un effort pédagogique. Et ce n’est pas le plus facile.
François Jarraud