La démocratie lycéenne doit-elle être au service de l’entre soi ? En choisissant un lycée hyper privilégié pour marquer, le 22 septembre, « la semaine de l’engagement lycéen », N Vallaud-Belkacem ne fait que souligner l’extrême faiblesse de sa politique lycéenne. Deux ans après son lancement par G Pau-Langevin, l’Acte II de la vie lycéenne reste aux oubliettes de la politique ministérielle. Sa mise en scène parisienne n’est qu’une « mascarade » pour la première organisation lycéenne. La citoyenneté lycéenne est aussi une victime de janvier 2015.
Démocratie lycéenne et entre soi
« La démocratie ça sert à ce que vous preniez des responsabilités dans la vie quotidienne de votre lycée pour l’améliorer… Ca sert aussi à faire de vous des citoyens en plus que des élèves ». Le 22 septembre, N Vallaud Belkacem illustre la Semaine de l’engagement lycéen par une visite au lycée Condorcet en plein coeur de Paris.
Plantons le décor. Le Conseil de la vie lycéenne (CVL) du lycée Condorcet se réunit sous le monument aux morts du lycée, restauré par le CVL, et les regards de Sadi Carnot et Paul Deschanel, deux présidents de la République anciens élèves du lycée. Les lycéens du CVL font l’admiration de la proviseure. Ils ont rédigé une Charte des voyages scolaires qui vient renforcer le règlement intérieur. Dans ce lycée hyper bourgeois où la moitié des élèves sont en classe préparatoire, le CVL réunit des sommes importantes pour Sos Amitiés. Le journal du lycée fait de la critique littéraire. La Maison des lycéens fonctionne dans la même atmosphère de consensus et d’admiration réciproque. Ce que les lycéens et les adultes partagent c’est avant tout le privilège. Celui d’être dans un des meilleurs lycées du pays. Les photos des grands anciens, les plaques apposées sur chaque salle de classe rappellent en permanence ce que rapporte le conformisme.
L’ambition de l’Acte II de la vie lycéenne
On est loin des ambitions portées à la naissance, en 2013, de la Semaine de l’engagement lycéen. Pour G Pau-Langevin, alors ministre déléguée à la réussite éducative, la vie lycéenne devait être un outil de transformation en profondeur des lycées. En 2013, une circulaire impose une formation de deux heures obligatoire pour tous les élèves dans chaque classe de lycée sur le fonctionnement des instances de vie lycéenne. » C’est important que l’on sache que dans l’éducation nationale, la jeunesse est une priorité. On a besoin de donner la parole aux jeunes », nous avait dit G Pau Langevin. « Nous allons expliquer ce que les jeunes peuvent obtenir dans les conseils de la vie lycéenne. Nous ferons en sorte que leurs responsabilités soient reconnues et leur engagement encouragé. Quand ils font une permanence par exemple, il faut que ce temps soit compté comme du travail et pas qu’ils soient marqués absents ».
L’ambition portée par G. Pau Langevin en 2013 n’a pas survécue au changement de ministre. Certes sur le papier, la démocratie lycéenne fonctionne. Créé en 1998, le conseil des délégués à la vie lycéenne formule des propositions sur l’utilisation des fonds lycéens et doit officiellement être consulté sur l’organisation des études et du temps scolaire, sur le travail personnel et le soutien des élèves ou leur orientation. Il a son mot à dire aussi sur l’hygiène et la sécurité et sur les activités sportives, culturelles et périscolaires. Le vice-président du CVL (un élu lycéen) est membre de droit du conseil d’administration du lycée où il présente ses travaux. Le CVL doit être réuni avant chaque séance du CA. Depuis 1991, les CVL sont prolongés par les conseils académiques de la vie lycéenne et depuis 1995 par un conseil national. Enfin depuis 2005 chaque académie doit avoir un délégué académique à la vie lycéenne.
L’enlisement
Mais plusieurs rapports montrent que la réalité est toute autre. Publié en 2013, le rapport de la députée Anne-Lise Dufour-Tonini montre des résistances dans les établissements devant la prise de responsabilité par des jeunes. « Dans les établissements, par définition, ce sont les adultes qui prennent les responsabilités. Et c’est vrai qu’on renverse les habitudes en demandant de considérer les jeunes comme des partenaires. Ca modifie les postures habituelles ». Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, premier syndicat des personnels de direction, confirmait. » Le vrai représentant des lycéens reste celui des délégués de classe. Il y a là une question de légitimité ».
En 2014, le rapport l’inspecteur général Henri de Rohan-Csermak enfonce le clou. Les semaines de l’engagement sont devenues une charge supplémentaire pour les chefs d’établissement et surtout les CPE. Pour beaucoup, c’est aussi quelque chose d’illégitime ou d’inutile. D’où le peu d’empressement à les organiser réellement. Ainsi, « non seulement on peut se demander s’il y a un seul lycée où deux heures de formation ont été effectivement prodiguées à toutes les classes, mais le contenu de ces heures de formation a été tout aussi variable que les solutions trouvées pour les dispenser partiellement », affirme le rapport. Il estime à un tiers le nombre des lycées où aucune des heures prévues par la circulaire ministérielle n’ont été organisées. C’est l’idée même de démocratie scolaire qui entre en contradiction avec l’institution scolaire construite sur l’idée que l’élève doit attendre son élévation par le savoir avant de récupérer des droits.
Cette tradition scolaire se lit dans les scènes savoureuses rapportées par le rapport. « Quant au taux de participation aux élections, il recouvre des réalités très diverses qui le rendent peu fiable comme indicateur de motivation ou de conscience civique », explique le rapport. » En effet, nombre de chefs d’établissements recourent à des procédés incitatifs, pour ne pas dire autoritaires, pour « convaincre » les élèves d’aller voter. Par exemple, on les conduit systématiquement à l’isoloir après la photo de classe, ou même on vient les chercher un à un dans la classe ». On appréciera aussi cet extrait : « la première condition, pour motiver les potentiels électeurs lors des semaines de l’engagement lycéen, était que les instances lycéennes pour lesquelles ils devaient voter fonctionnassent effectivement dans l’établissement ».
Mascarade en 2015
Où en est la vie lycéenne en 2015 ? Selon le Syndicat général des lycéens (SGL) qui est devenu la première organisation du Conseil national de la vie lycéenne (CNVL) et la seule au Conseil supérieur de l’éducation, le CNVL n’a été réuni qu’une seule fois en 2014-2015. Il est vrai que la ministre organisera le 7 octobre la réunion de tous les conseils académiques de la vie lycéenne. Mais le SGL estime que « l’écoute des lycéens est quasi inexistante » et refuse « d’être la caution jeune du ministère, la courroie de transmission de ses politiques ». Il dénonce « des consultations fantoches et des annonces factices ». De fait la seule annonce réelle de ce 22 septembre c’est le doublement des crédits de la vie lycéenne qui passeront de 500 000 à 1 million d’euros. Pour 2 496 lycées publics cela ne risque pas de doper la vie lycéenne…
Le SGL constate » le manque de moyen mis en oeuvre pour faciliter l’apprentissage de la citoyenneté par l’exercice de ces responsabilités. Aujourd’hui encore de nombreux lycées sont dépourvus de Maison des Lycéens (censées remplacer les FSE depuis plusieurs années désormais), alors que dans le même temps d’autres souffrent du manque d’implication de ses équipes pédagogiques sur la présentation du Conseil de Vie Lycéenne… La démocratie lycéenne est à bout de souffle dix ans après son existence : les élus lycéens sont déçus du manque de légitimité et de crédibilité qui leur ait accordé. S’il est vrai que les générations passent, la déception et la désillusion liées à ce que certains surnomment une « mascarade » restent bien trop présentes ».
Depuis janvier 2015, la citoyenneté est portée dans les lycées par un enseignement moral. Les lycées doivent détecter les jeunes « en voie de radicalisation ». Bref, la citoyenneté ça vient d’en haut.
François Jarraud