« Globalement, en français, la réécriture a bien tenu compte des remarques faites, et a judicieusement harmonisé les trois cycles, avec une progressivité par cycle et par année qui nous semblait indispensable… Ces programmes devraient permettre la réorganisation nécessaire des enseignements pour une école et un collège moins inégalitaires ». Pour l’association française des enseignants de français les nouveaux programmes sont cohérents , lisibles , cadrés et ouverts. Cerise sur le gâteau : la nouvelle orthographe est enfin reconnue..
Retardés de quelques semaines par rapport à l’annonce qui avait été faite avant l’été, les nouveaux programmes des cycles 2, 3 et 4 viennent d’être publiés le 18 septembre. Le projet à valider prochainement est plus vaste, plus global, mais aussi plus précis que les préprojets soumis à la consultation au printemps qui avaient fait couler beaucoup d’encre. En 375 pages, il rassemble les trois cycles dans une approche curriculaire cohérente, retenant un cadre commun à l’ensemble des cycles et des enseignements. La lecture en est facilitée par des repérages de couleur qui signalent, d’une part, les parties accessibles à tous qui permettent une vision globale, et d’autre part les textes explicatifs et tableaux, qui relèvent de la compétence des professionnels de l’éducation.
Mais avant même d’entrer dans la lecture, nous n’avons pu que nous féliciter de la mention qui figure en page 2 sur l’orthographe, et qui répond à une des demandes récurrentes de l’AFEF au Conseil Supérieur des Programmes : « Les textes qui suivent appliquent les rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l’Académie française et publiées par le Journal Officiel de la République française le 6 décembre 1990 ». Réparant enfin une bizarrerie des programmes de 2008 qui indiquaient, en français, que ces rectifications étaient la référence sans les appliquer eux-mêmes, cette décision impose enfin l’orthographe rectifiée dans tous les enseignements et ne marginalise plus les enseignants qui osaient l’appliquer. Quant aux élèves, dans leurs entrainements quotidiens à l’écriture et à l’orthographe, ils ne pourront plus être pénalisés pour l’utilisation de graphies rectifiées. Nous préférons laisser de côté l’expression « dictée quotidienne » employée par la Ministre, probablement plus par effet d’annonce pour rassurer que dans le but de revenir à un exercice suranné de « dictée de Pivot » dont les effets d’apprentissage ont été réfutés depuis bien longtemps.
Un cadrage général cohérent qui insiste sur la langue et les langages
Dans chaque cycle, après un cadrage général des objectifs généraux pour les élèves, un volet fixe précisément les « Contributions essentielles des différents enseignements au socle commun » ; l’insistance sur la langue française y est réaffirmée, mais aussi sur les langages des disciplines, et leur contribution à l’interdisciplinarité. Chaque domaine du socle est explicité et décliné selon les différents enseignements, où la place du français est explicitée.
Dans les trois chapitres « français », la cohérence générale, qui faisait défaut dans le préprojet, est bien respectée entre les cycles ; les compétences travaillées se retrouvent identiques à chaque cycle, et pertinemment exprimées par des verbes : « Comprendre et s’exprimer à l’oral », « Lire », « Écrire », « Comprendre le fonctionnement de la langue », avec une complexification de ces compétences au fil des cycles ; au cycle 4, une cinquième compétence est ajoutée : « Acquérir des éléments de culture littéraire et artistique », avec un chapitre final « Culture littéraire et artistique », déjà présent au cycle 3. Dans chaque cycle et dans chaque compétence, sont précisés avec un cadre commun :
– les finalités de l’enseignement dans le cycle,
– les attendus de fin de cycle,
– les tableaux de connaissances et compétences associées en regard d’exemples de situations, d’activités et de ressources pour les élèves,
– des repères de progressivité par année, avec notamment un nombre d’œuvres à lire par an,
– et en fin de chaque cycle les croisements entre enseignements pour faciliter l’interdisciplinarité ; notamment, au cycle 4, des exemples précis sont indiqués pour travailler avec les autres disciplines dans le cadre des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires.
Toujours au cycle 4, le préambule précise que l’enseignement s’organise autour de trois grandes entrées qu’avait proposées l’AFEF :
– le développement de compétences langagières orales et écrites en réception et en production,
– l’approfondissement des compétences linguistiques,
– la constitution d’une culture littéraire et artistique commune.
Les compétences du français explicitées
Tranchant avec les anciens programmes, l’oral reste l’entrée première dans chaque cycle, oral en compréhension, production et interaction. Des repères de progressivité sont indiqués pour une formation continuée à l’oral respectant les étapes d’évolution des enfants et adolescents. Il s’agit là d’un enjeu majeur qui vise à réduire les inégalités en instituant des échanges et interactions avec les élèves les moins dotés socialement. C’est aussi un domaine peu investi par la Recherche depuis quelques années, et sur lequel l’AFEF lance une réflexion dans son laboratoire d’idées du 26 septembre qui sera suivi d’une rencontre-débat dans l’année scolaire.
La question de l’étude de la langue a été tranchée, elle reste bien un domaine à part entière, mais renommée compétence à « Comprendre le fonctionnement de la langue » elle se situe du côté de la compréhension et des pratiques langagières à l’oral et à l’écrit, plutôt que de celui de la connaissance exhaustive des éléments grammaticaux. Des progressions précises, par année et par cycle, sont indiquées, la terminologie est simplifiée comme indiqué au cycle 2. Au cycle 4, sont bien distinguées les compétences linguistiques « étude de la langue (grammaire, orthographe, lexique) des compétences langagières de lecture et d’écriture qu’elles servent. Non seulement au service de l’orthographe, elle permet de « s’approprier le sens des textes et mener des analyses littéraires étayées », et elle sert « la formation intellectuelle des élèves et le développement d’une posture réflexive ».
La compétence d’écriture est reprécisée, avec des progressions par cycle et par année. Au cycle 2, on insiste sur le développement du geste graphomoteur et la relecture des écrits pour les réviser et améliorer. Au cycle 3 plusieurs objectifs sont pris en compte, écrire de manière fluide et efficace (et notons l’apprentissage et l’usage rapide et efficace du clavier et l’entraiment à l’écriture sur ordinateur) ; mais aussi « recourir à l’écriture pour réfléchir et pour apprendre » (point sur lequel l’AFEF avait insisté), produire des écrits variés en s’appropriant les différentes dimensions de l’écriture », et réécrire. Au cycle 4, un niveau supérieur est demandé, avec une prise en compte de l’histoire de l’écriture, toujours l’écrit pour penser et apprendre avec des outils plus élaborés, avec en plus une progression dans les stratégies et procédures d’écriture, l’écriture d’invention, et le passage à un usage plus maitrisé de l’argumentation.
Dans les enseignements interdisciplinaires, l’importance du français est clairement affirmée, à la fois pour l’histoire des arts, mais aussi pour l’éducation morale et civique et pour l’éducation aux médias et à l’information, avec de nombreux exemples et références.
Enfin, la lecture est déclinée avec une progression et des titres différents selon les stades des acquisitions. Le cycle 1 « Lecture et compréhension de l’écrit » insiste à la fois sur l’entrainement à une lecture fluide et sur la compréhension de l’écrit, dans une démarche qui lie intimement lecture et écriture. Le cycle 2, avec le même titre, demande de renforcer la fluidité, mais introduit aussi la lecture-compréhension-interprétation de textes littéraires de genres et d’époques variés, la compréhension-interprétation de textes, documents et images (documentaires, informations…), et insiste sur la formation à un comportement de lecteur autonome. Un chapitre final, destiné à l’organisation des enseignements de lecture et d’écriture, propose un cadre thématique par année qui donne des pistes de sujets d’étude et d’œuvres. Au cycle 4, le titre est allongé : « Lecture et compréhension de l’écrit et de l’image », les attendus de fin de cycle sont précisés en rappelant que les outils d’analyse doivent rester simples, et que les textes littéraires seront situés dans leur contexte historique et culturel. Les supports de lecture sont des textes variés avec des objectifs divers, mais aussi des images, des documents composites et numériques, des œuvres littéraires et œuvres d’art, pour « élaborer une interprétation des textes littéraires ». Le corpus des œuvres est élargi : littérature patrimoniale (de toutes les époques), littérature contemporaine, littératures antiques et étrangères, littératures francophones, littérature de jeunesse (deux entrées sur lesquelles l’AFEF a insisté), écrits sociaux. Et le chapitre final, « Culture littéraire et artistique », reprend les quatre grandes entrées qui faisaient partie du préprojet d’avril, mais en les réarticulant avec l’ensemble du programme ; les questionnements sont reformulés et les indications de corpus veillent bien à ce que, au fil des années, les différents genres et époques soient traités. Autre point à noter, ces problématiques déclinées par année renvoient à des mises en relation avec les programmes d’histoire et donnent des indications précises pour des travaux interdisciplinaires.
Des programmes lisibles, cadrés et ouverts
Globalement, le cadrage rigoureux qui a été choisi rend les programmes facilement lisibles, malgré leur longueur due au choix de rassembler les trois cycles et tous les enseignements en un seul document. Une question qui avait été soulevée ne trouve pas de réponse, c’est celle de la répartition du temps consacré aux différentes compétences et activités du français dans l’année, en fonction du nombre d’heures dont nous disposons. Cette indication fait défaut, espérons que des documents d’accompagnement y suppléeront. Mais globalement, en français, la réécriture a bien tenu compte des remarques faites, et a judicieusement harmonisé les trois cycles, avec une progressivité par cycle et par année qui nous semblait indispensable. Les grandes orientations sont respectées : insistance sur les compétences langagières à l’oral et à l’écrit, en lecture et en écriture, et dans l’ensemble des enseignements ; articulation entre compétences linguistiques et langagières, entre oral et écrit, entre lecture et écriture ; et la culture littéraire et artistique constitue une compétence à part entière, donnant à la fois un cadre d’organisation et des pistes de ressources, mais laissant une grande autonomie aux enseignants qui, forts de l’ouverture des corpus et des indications de genres et d’époques, sont libres de choisir les supports sur lesquels les élèves vont travailler en français mais aussi en interdisciplinarité. Ces programmes devraient permettre la réorganisation nécessaire des enseignements pour une école et un collège moins inégalitaires. Le chantier suivant est celui du lycée dans ses différentes composantes, professionnel, technologique, général, tant l’âge fixé de la scolarité obligatoire à 16 ans est loin de correspondre à la réalité des besoins de nos élèves et de la société.
Viviane Youx
présidente de l’AFEF
Rapport de l’AFEF au Conseil Supérieur des Programmes – juin 2015