Les textes récents sur l’Enseignent Moral et Civique entrent en vigueur en ce moment. On ressent fortement cette année l’émergence de la problématique de la citoyenneté et de l’éthique des TIC en éducation. Malheureusement, ces deux notions peuvent rapidement devenir des étendards bien davantage que des bases de travail. Pourtant le questionnement n’est pas vraiment nouveau, mais il se réactualise avec les évènements dramatiques qui ponctuent régulièrement les unes des médias et les conversations du quotidien au travail voire à la maison. Le ministère de l’éducation apporte sa pierre à l’édifice, mais le discours porte davantage sur les valeurs de la république que sur la citoyenneté et l’éthique. En d’autres termes on est plutôt dans le cadre, celui proposé par la république, que dans la personne et son rapport à l’éthique et à la citoyenneté, en amont des valeurs de la république. Deux entrées complémentaires, mais bien différentes dans la démarche. Le site Eduscol le montre bien dans sa première phrase : « L’École transmet les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité ; laïcité ; refus de toutes les discriminations. Les élèves étudient les grands textes qui les fondent. » Ces valeurs prennent sens si elles font lien avec la personne. Or l’entrée retenue dans cette phrase emblématique ne laisse pas de place au Sujet. Le fait de n’utiliser que le mot élève est révélateur de cette distance que l’institution éducation nationale entretient avec la jeunesse et ses pratiques non scolaires.
Si les métissages ne sont pas nouveaux dans l’histoire de l’humanité, ils n’ont eu de cesse que de se développer et plus récemment, avec les moyens de communication numérique, de prendre une place prépondérante dans le débat sur la culture et donc sur celui de la citoyenneté. Comment se sentir citoyen d’un pays plutôt que du monde ou d’une contrée quand les frontières sont aisément franchissables matériellement parfois mais surtout numériquement. L’ampleur du problème migratoire en lien avec les conflits se trouve actuellement au premier rang des préoccupations médiatiques et politiques. Pourtant ce phénomène n’est pas nouveau, mais surtout il ravive la question du sens du mot citoyenneté. Or c’est le mot éthique qui le devance. En effet, de quelle manière chacun de nous se situe face à ce phénomène. Qui est l’autre ? Qui suis-je ? Quel droit a-t-on les uns sur les autres.
La fréquentation d’Internet ouvre des horizons et permet d’entrevoir, surtout dans les pays ouverts, ce que peut être le cadre de vie. Quand on écoute le récit de migrants on s’aperçoit qu’ils se sont créé une représentation du monde vers lequel ils vont à partir d’Internet. On s’aperçoit aussi que leur smartphone est l’objet le plus important pour continuer d’exister, puisqu’ils ne sont plus citoyens… Parce qu’il leur permet de voir devant (vers quels pays vont-ils aller ?), derrière (garder les traces de ses origines), et autour de soi (rester en contact avec ses proches). Autrement dit l’identité, voire l’individuation, est première et doit être maintenue à tout prix, au risque d’être englouti dans ce collectif errant. Et les technologies contribuent grandement à permettre à chacun d’accéder à l’information dont il a besoin pour se re-constituer.
A l’école, la question des migrations va revenir inévitablement dans les débats, voulus ou non. Ce sera surement l’occasion d’utiliser les ressources mises à disposition sur Internet pour comprendre, connaître. Même si, dans de nombreux pays en crise l’information reste très chaotique, on peut parvenir à recueillir les faits, ou tout au moins certains. Et puis il y a l’histoire. Celle du pays dont on est originaire, sa propre histoire. C’est à partir de ce terreau de l’origine que l’on peut construire une identité et peut-être ensuite une citoyenneté.
Le flux incessant d’échanges entre les jeunes, via les moyens numériques à leur disposition est un élément de leur construction identitaire. Tous les travaux de recherche sur leurs pratiques le confirment et mettent en évidence la variété et aussi la labilité de ces pratiques. Le monde scolaire est loin de ces pratiques de par son fonctionnement même. Aussi se trouve-t-il confronté à une sorte de mission impossible car paradoxale. Le rêve d’une école qui construit la citoyenneté ne peut passer sans évoquer l’éthique individuelle que chacun se doit de définir, mais aussi l’éthique collective que l’on doit réfléchir ensemble. Les pédagogies participatives ou institutionnelles on depuis longtemps incité à cela. Les moyens technologiques actuels sont un support pour les mettre en oeuvre à peu de frais. Là où la difficulté se présente, c’est lorsqu’il s’agit de passer à la citoyenneté dont on a dit qu’elle était cadrée par les valeurs de la République. Les mots ont d’autant plus de sens qu’ils s’incarnent dans le quotidien de ceux à qui on les adresse. Aussi il est nécessaire que le monde scolaire fasse une sorte d’aggiornamento sur ce point. Car le modèle actuelle de la scolarisation est dans un écart et une tension avec le modèle social, qu’il propose un modèle collectif de socialisation qui a du mal à faire sens avec la socialisation par le réseau. Et pourtant l’histoire de l’humanité est peuplée, bien avant Internet, d’exemples qui mettent en évidence l’idée que le réseau, « les communs » diront certains, est fondamental pour permettre la construction des citoyennetés et non pas d’une seule citoyenneté monolithique.
Bruno Devauchelle