En proposant, à peine quinze jours après la rentrée sa deuxième université numérique d’automne, le rectorat de Dijon a réuni plus de 1000 personnes, chefs d’établissement, enseignants, personnels académique. Chiffre d’autant plus impressionnant que l’organisation avait tablé sur le croisement de différents évènements et ateliers qui s’adressaient aussi bien aux formateurs qu’aux responsables ou aux acteurs de terrain. Le bilan de cette journée est positif pour Guillaume Lion, le Dane de l’académie, content d’avoir pu faire passer les messages que les différents intervenants étaient invités à partager avec les participants.
Premier bilan des collèges connectés
La fin de la journée a été l’occasion de donner la parole à Pascal Plantard, professeur des universités à Rennes 2. Son travail sur les enfants en difficulté ou à besoins éducatifs particuliers, autour de la question du numérique sont reconnus. Dans son exposé il a montré comment les inégalités devant le numérique sont perceptibles. A partir de deux enquêtes sur les usages du numérique, il a mis en évidence les caractéristiques qui déterminent cette inégalité.
A la suite de cette partie, Pascal Plantard a présenté les résultats de la recherche sur les collèges connectés. Quatre remarques clefs :
– les outils mis à disposition sont peu adaptés et les enseignants choisissent les outils grands publics;
– l’écart des pratiques adolescentes avec celles du monde scolaire rend difficile la formation de citoyens responsables;
– l’approche techno-centrée des formations qui peut sembler satisfaisante dans un premier temps ne permet pas de passer aux usages, les enseignants veulent passer du « comment ça marche » au « comment l’utiliser en contexte scolaire »;
– il reste bien difficile de développer des pratiques de partage et de collaboration alors que ce n’est pas valorisé.
La conclusion de cette recherche l’amène à énoncer trois freins :
– Le cadre hiérarchique est trop contraignant
– Comment développer des dynamiques si près de 60% des enseignants n’ont pas plus de cinq années d’ancienneté
– L’espace de la classe sert d’abord la construction identitaire de l’enseignant et il est difficile d’y faire entrer des pratiques collaboratives.
La principale recommandation faite en fin d’exposé est de refuser toute généralisation, toute systématisation des projets pour tous de manière identique. Il faut respecter au mieux les « parcours » différents que ce soit pour les instruments, pour les élèves ou encore les enseignants
Révolution cognitive et révolution numérique
Ces journées se doivent de proposer certains rituels : ateliers de démonstration, espace des partenaires et autres ateliers de présentation de pratiques pédagogiques ou de production institutionnelle. C’est l’occasion de faire le tour des stands et ateliers aussi bien dans le domaine technique que dans celui des usages. De nouveautés, très peu. On sent bien que l’on est entré dans une phase que l’on peut qualifier de consolidation de la place du numérique en éducation. Certes l’annonce du plan numérique généralisé pour septembre 2016 n’est pas propice à des annonces, mais la région est porteuse de projets qui sont en train d’arriver à maturité qui ont fait l’objet de certaines de ces présentations.
Deux conférenciers invités ont apporté leur regard différent et complémentaire sur la place du numérique dans le monde scolaire. Britt Mary Barth a proposé de faire du lien entre la révolution cognitive et la révolution numérique. Cette pédagogue qui a fait des travaux importants sur la mise en oeuvre concrète des travaux de Bruner a permis à chacun de faire du lien entre ces deux pôles : enrichir l’environnement et les supports de l’apprentissage, rendre concrètes les connaissances abstraites en s’aidant du numérique, faciliter les interactions et le travail coopératif avec le numérique. Madame Barth a su tenir son auditoire par sa démonstration rigoureuse marquée par des phrases clefs : « apprendre ensemble, c’est apprendre à vivre ensemble », « important de créer des réseaux d’enseignants pour améliorer l’enseignement », « renoncer à une conception individuelle de l’apprentissage », « toutes les réponses des élèves sont bonnes, l’enseignant ne porte pas de jugement ». Britt Mary Barth partage depuis plus de trente années ses travaux dont le coeur peut être évoqué au travers de l’expression « enseignant médiateur ». Au cours de son exposé elle a cependant comparé la révolution cognitive à la révolution numérique en se demandant si la deuxième parviendrait à transformer l’école, ce que la première n’a pas réussi à faire, malgré les connaissances scientifiques nouvelles.
Les collectivités locales en position centrale
La table ronde qui réunissait le recteur, la DNE et Canopé était consacrée à la préparation de la réforme du collège dans sa dimension numérique ainsi qu’à la gestion des établissements préfigurateurs du plan numérique qui doit généraliser les équipements mobiles en 2016 en classe de 5è. On a pu sentir dans les propos de la DNE et de Canopé qu’il y avait quelques actions proches qui pouvaient être en concurrence en particulier dans les ressources. Le recteur de l’académie a souligné qu’il était aussi du rôle des acteurs des établissements de mettre à profit cette richesse, tout en soulignant que le rectorat accompagnait les établissements. Aussi bien sur le plan local que sur le plan national, il est souhaité que la mutualisation se développe. Le recteur a souligné d’ailleurs les actions allant dans ce sens à commencer par cette université numérique d’automne qui lance justement pour l’année scolaire les initiatives et les échanges. A propos des établissements préfigurateurs, on a pu constater que la place des collectivités locales était essentielle puisque seuls deux départements sur quatre de l’académie sont entrés dans le processus. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de projets. Le recteur a signalé que les appels à projet avaient répondu au-delà des attentes, s’engageant à les prendre en compte.
Ces journées que l’on peut facilement critiquer tant elles ressemblent parfois à des rassemblements rituels sont pourtant importantes. Dans le cas de l’académie de Dijon la date retenue et les modalités d’organisation ont permis de poser des jalons. Mais il reste à opérationnaliser les intentions déclarées. Certains enseignants, certes contents de cette journée se demandaient quel en serait la suite. D’autres se demandaient comment était pris en compte et valorisé l’investissement personnel dont ils avaient fait preuve auparavant. Le développement des pratiques pédagogiques du numérique ne peut se suffire de matériel ou de bonnes intentions. Les acteurs impliqués ont aussi besoin de reconnaissance, de valorisation et surtout de sentir qu’il y a une réelle continuité dans les projets. Mais gageons que les propos tenus devant tant de chefs d’établissements et d’enseignants débutants et confirmés ainsi que de formateurs, se traduiront dans l’année qui vient par des pratiques effectivement partagées.
Bruno Devauchelle