Quel sens donner à un mandat de 5 années à la tête des 469 lycées franciliens ? Henriette Zoughébi, vice présidente du Conseil régional d’Ile-de-France en charge des lycées, publie un petit livre qui donne du sens à son mandat. « Le parti pris des jeunes » (Editions de l’Atelier), donne le fil rouge d’une action politique qui a commencé par une vaste consultation lycéenne. Dans ce récit qui raconte comment l’action politique se construit en lien avec les lycées franciliens, Henriette Zoughebi donne une grande leçon de politique. Toute action publique doit être construite avec celle et ceux pour qui elle est faite. Démonstration…
Pas un bilan, un récit…
« Tout ce qui a été fait c’est grâce à l’énergie des jeunes ». Honnêtement, Henriette Zoughebi ne manque pas, elle aussi, d’énergie ! A la tête du plus important service éducatif régional depuis 2010, elle a impulsé de nombreuses actions politiques qui ont parfois pris une dimension nationale. On peut dire par exemple que « l’Acte II de la citoyenneté lycéenne » doit beaucoup à l’action francilienne vers les lycéens.
Habituellement, un compte-rendu de mandat prend la forme d’un gros rapport rempli de chiffres. Pour une direction régionale de l’éducation, on compte les lycées rénovés et construits, les mètre carrés bétonnés, les milliards dépensés à entretenir des bâtiments ou à payer des agents de service dans les lycées. Vous ne trouverez pas cela dans ce petit livre, même si l’action politique d’Henriette Zoughebi se chiffre aussi en lycées ouverts ou reconstruits et en emplois.
« J’ai voulu faire un récit », nous a dit H Zoughébi, entourée d’élus lycéens. « Ce sont 4 années de rencontres avec les lycéens, en continu, qui font la trame du livre. C’est par elles que s’est construite mon action politique ». Arrivée dans une région qui pensait avoir assez fait pour les lycéens, H. Zoughebi a d’emblée consulté les jeunes pour définir son action. « Si je m’en étais tenue aux compétences régionales, j’en serais restée à la gestion des murs. Mais ce qui m’intéressait c’était d’accompagner les jeunes ».
Kalilou, Mohamed et les autres…
Ces jeunes existent bien. Le Café pédagogique a suivi H Zoughebi dans quelques unes de ces rencontres régulières avec eux. Certains sont présents lors de la présentation du livre. Les propos relatés dans le livre sont vraiment les mots prononcés dans ces réunions. Ce que ne dit pas H Zoughebi, c’est que par son action, elle a fait apparaitre et se former des responsables lycéens qui donnent simplement confiance en l’avenir. Kalilou, Mohamed, ces jeunes qui exprimaient des revendications en 2011 ont pris des responsabilités, appris à convaincre, à dialoguer avec les techniciens et à gérer un budget. H Zoughebi ne donne pas de cours d’EMC. Mais elle a sacrément mis en pratique l’enseignement civique et contribué à former une génération de responsables efficaces qu’elle laisse en cadeau à ses successeurs…
Des rencontres régulières, dans les lycées , avec les jeunes, H Zoughebi a fait naitre des politiques régionales. « La politique doit être révolutionnée. Il faut remettre au centre des politiques publiques les préoccupations directes des personnes », écrit-elle. Dont acte. Pour développer la démocratie lycéenne, la région Ile-de-France a appris à leur donner des responsabilités concrètes. Cela passe par le soutien aux projets des jeunes : approuvés par le conseil d’administration de leur lycée, ils doivent être défendus en commission par les jeunes et être construits budgétairement. Chaque année une centaine de projets reçoivent entre 2500 et 5000 euros (à condition de promouvoir l’égalité filles garçons). Ces sommes servent aux Conseils de la vie lycéenne à financer un bal de fin d’année ou un voyage par exemple. La région a aussi créé un « budget participatif lycéen ». Dans ce cadre, les CVL peuvent défendre des projets plus importants (70 000 euros) qu’ils doivent finaliser « politiquement » en consultant l’ensemble lycéens et techniquement avec des administratifs. Ces sommes sont utilisées pour créer un équipement sportif ou culturel souhaité par les lycéens.
A travers ces rencontres, H Zoughebi découvre aussi la jeunesse francilienne. Car de Neuilly sur Marne à Neuilly sur Seine, ces jeunes ont des points communs, explique H Zoughebi. « Ils veulent tous réussir », explique-t-elle. Il sont tous des ambitions que l’institution scolaire écoute trop peu. « Ils sont tous épris d’égalité ». Elle raconte par exemple ses visites au lycée du bâtiment Guimard à Paris où la solidarité s’étend aux jeunes sans papiers comme aux filles qui veulent devenir tailleurs de pierre. Mais aussi ses rencontres avec les jeunes d’un lycée privé versaillais ou d’un lycée public de Neuilly (92). Ils veulent aussi être entendus et acteurs de leur formation.
Une réflexion sur l’école
L’ouvrage parle aussi des ratés. Par exemple la convention signée avec Vincent Peillon pour promouvoir l’égalité entre filles et garçons dans l’éducation nationale. Un vaste programme de formation des enseignants était prévu grâce aux 500 000 euros apportés par la région. « C’est resté lettre morte » remarque H Zoughebi, du fait de l’Education nationale. Elle a d’autres motifs de colère comme le projet de création d’une voie supérieure spéciale pour les bacheliers professionnels. Ou encore le nouveau bac pro sanitaire et social qui leurre les lycéens sur ses débouchés.
Car, au final, le livre est aussi une réflexion sur ce que doit être un système éducatif. « S’il faut transformer l’école avec les éducateurs, avec les parents qui doivent retrouver confiance dans l’institution, il faut surtout entendre les jeunes », écrit-elle. « Le regard que les jeunes portent sur l’école est le bon stimulant pour la repenser… car ils sont en demande à la fois de sens et de concret. Cette double exigence est un véritable laboratoire d’innovations ». En 150 pages, à travers les portraits de lycéennes et de lycéens bien réels, H. Zoughebi cherche ce qui peut redonner sens aux apprentissages et à la vie publique. Son livre est une grande leçon d’espérance. Espoir envers les jeunes des banlieues : H Zoughebi fait exploser les clichés. Espoir dans la politique. « Pour changer les choses il n’est pas nécessaire de tout changer », dit-elle.
François Jarraud
Henriette Zoughebi, Le parti pris des jeunes. Réinventer l’éducation populaire, Editions de l’atelier, 2015. ISBN 978-2-7082-4331-6.