Directrice d’école dans un quartier populaire, Véronique Vinas a un long passé de professeur des écoles en élémentaire et en maternelle. Elle réagit aux premières informations du rapport Goigoux sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Rôle des manuels, compréhension de l’écrit, production d’écrit… Le rapport vu de la classe…
Cette étude longitudinale sur des échantillons représentatifs est un document unique et extraordinaire (du point de vue de la somme de données recueillies, il s’agit d’une base de données incroyable…). Le fait qu’il puisse servir à couper l’herbe sous le pied de polémistes, dogmatistes de tous poils est heureux. L’apprentissage de la lecture-écriture a été l’objet dans le passé d’une vague de désinformation, d’intoxication très déstabilisante dans le monde enseignant et sa pseudo analyse a servi des intérêts très douteux et réactionnaires.
Au-delà des méthodes, il est très intéressant de voir que sont analysées des pratiques effectives, dans leur variété et diversité. C’est l’ordinaire de la classe qui est décrit, analysé grâce une grille très pointue et complète. Cela devrait constituer, je l’espère, à la fois pour les enseignants sur le terrain mais également pour les formateurs (ESPE, Maîtres-formateurs, CPC…) et pour ceux qui rédigent les livrets d’accompagnement des programmes des indications précieuses sur ce qui fonctionne, ce qui dans le détail, dans l’ordinaire de la classe, participe de la réussite des élèves ou …non.
Que l’école ne prenne pas suffisamment en charge les processus d’acculturation à l’écrit dans les apprentissages n’est pas nouveau. Que cette étude permette d’interroger la nature de cette acculturation et de dégager les « gestes professionnels » acculturants est essentiel. On aurait envie de dire, enfin !
Quelques remarques plus précises sur les premiers résultats.
Je suis peu étonnée dans l’ensemble par certains constats. Par contre le fait que 10 à 30 % des élèves ne disposent pas des compétences attendues à la fin de l’école maternelle est préoccupant. L’école maternelle est donc bien la première école, essentielle.
Le grand apport de l’étude c’est ce qui a trait à la compréhension de la langue écrite (fortement corrélé avec l’appartenance sociologique). Cela inquiète avec par exemple 30% d’échec à la compréhension des textes entendus. Cela veut dire que le « bain de langage » et la lecture d’albums par l’adulte, même régulière, ne suffisent pas.
Il semblerait que la compréhension ne soit pas une cible d’enseignement jugée prioritaire… C’est pourtant un domaine extrêmement discriminant où l’école n’a que rarement un rôle compensatoire. Hélas… C’est un enseignement difficile à concevoir, à réaliser. Compréhension fine d’albums de littérature de jeunesse, débat littéraire, débat interprétatif, travail sur les inférences, repérage des références culturelles… La construction d’un patrimoine littéraire dès la petite section est indispensable… Mais les enseignants sont peu outillés. Il y a donc là un champ de travail énorme… Je ne suis pas surprise par ce constat, ni par ailleurs par le fait que le travail de compréhension de texte soit mis entre parenthèse au CP…
Par contre, ce qui m’étonne un peu c’est que le manuel ait peu d’importance. Entre Léo et Léa et Ribambelle, il me semblait qu’il y avait des différences notables notamment en ce qui concernait la compréhension de texte… Cela vient conforter l’idée qu’il n’y a pas d’effet manuel mais que les pratiques effectives d’enseignement de la lecture sont diverses avec des composantes didactiques et pédagogiques extrêmement variées… De la même façon, c’est intéressant de se rendre compte que les enseignants n’utilisant pas de manuel (et ils sont plus nombreux que ce que j’imaginais), obtiennent les mêmes résultats que les autres (ce dont je ne doutais pas, puisque que cela a été mon cas pendant les quelques années où j’ai enseigné en CP).
L’étude montre un léger effet négatif pour les élèves initialement faibles scolarisés dans des classes qui utilisent un manuel avec approche intégrative en comparaison avec ceux qui utilisent un manuel centré sur le code. Cela m’étonne un peu et la recherche d’interprétation m’intéresse vraiment. Qu’en est-il de ces élèves à la fin du CE1 ?
Je suis peu surprise de ce qui est dit autour du temps passé au décodage (ce qui a peu d’effet sur l’acquisition du code…). Par contre le temps passé à l’encodage a un effet positif pour les élèves faible au code, j’en suis depuis longtemps persuadée, ayant fait écrire mes élèves quasiment tous les jours lorsque j’avais une classe de CP. Que l’encodage soit réduit aux seules activités de dictée, m’étonne un peu. Rien sur la production d’écrit… qui a pourtant beaucoup à voir avec la construction d’une culture de l’écrit (fréquentation de la littérature de jeunesse).
Véronique Vinas