Le chercheur Roland Goigoux est venu présenter mardi 15 septembre à Paris les premiers résultats d’une vaste étude sur la lecture et de l’écriture en CP. Il en ressort que l’apprentissage de la compréhension est une faiblesse de l’école française. Et que pour y remédier, il n’y a pas de recette miracle, plutôt une subtile alchimie de différentes variables.
Faire des dictées mais pas trop, favoriser la lecture orale en classe mais sans excès, travailler la correspondance phonèmes-graphèmes mais pas seulement, enrichir le lexique mais cela ne suffit pas… L’étude, à laquelle une soixantaine de chercheurs ont collaboré, est inédite par son ampleur et la richesse de ses données.
Lancée en 2012, elle examine la pratique de quelque 130 enseignants, des profs expérimentés ayant exercé en moyenne 8 ans en CP. Et elle répertorie toute une série de variables qui favorisent, à des degrés divers, la réussite des élèves, ou qui peuvent au contraire l’entraver.
« Il n’est pas de notre ressort de faire des recommandations, a expliqué d’emblée Roland Goigoux, nous allons présenter en détail notre recherche aux cadres de l’Education nationale lors d’un colloque le 25 septembre à l’Ifé (Institut français de l’éducation) à Lyon. Et ce sera à eux d’en tirer les conclusions. Nous, nous continuerons encore pendant des mois à exploiter nos travaux». L’étude a été financée par le ministère de l’Education nationale et par l’Ifé.
Maîtriser le code n’est pas suffisant
Roland Goigoux, qui était notamment accompagné par le directeur de l’Ifé, Michel Lussault, a alors présenté les lignes forces de l’étude.
Pour qu’un enfant sache réellement lire en fin de CP, a-t-il souligné, il ne suffit pas qu’il maîtrise le code, c’est-à-dire la correspondance des lettres et des sons, et qu’il sache déchiffrer des phrases simples. Encore faut-il qu’il comprenne un texte contenant des implicites.
«Nous avons pointé ici quelque chose de novateur, a-t-il poursuivi, les différences de performances des élèves, qui sont très grandes et très marquées socialement, ne s’expliquent pas seulement par le niveau lexical. Elles s’expliquent aussi par la capacité à comprendre les textes qu’on leur lit oralement».
La compréhension, « parent pauvre du CP »
Or, ici, l’école française pêche. Elle consacre trop peu de temps à la compréhension, « le parent pauvre du CP », a déploré le chercheur. « Rien d’étonnant dès lors qu’elle ne puisse jouer son rôle compensatoire », a-t-il ajouté, à l’égard des élèves les plus fragiles, issus de milieux défavorisés ou de familles étrangères, arrivant avec un niveau lexical faible.
Roland Goigoux, citant les travaux précédents de Michel Fayol, recommande de travailler en parallèle, dès le plus jeune âge, la question du codage et la compréhension.
La pédagogie n’explique pas tout
Que pèse la pédagogie ? Les chercheurs se sont interrogés. En fait, c’est de loin le niveau initial des élèves qui pèse le plus lourd : il explique plus de la moitié (53%) de leur progression en fin d’année. Il faut aussi compter avec « l’effet classe ». On apprend mieux quand le climat de la classe est bon.
Quant à l’impact pédagogique, les chercheurs l’évaluent à 11% pour expliquer la progression en écriture et à moins de 5% pour la compréhension des textes. «La compréhension est plus culturelle et dépend du contexte social, explique Roland Goigoux, il est difficile de compenser en un an les six ans passés dans le milieu familial. »
Les élèves travaillent en classe
Evoquant les pratiques, Roland Goigoux parle d’un constat « extrêmement rassurant ». Contrairement aux visions apocalyptiques, les élèves consacrent du temps à la lecture et à l’écriture : 7 heures 22 en moyenne par semaine – en enlevant le temps d’ouvrir les cahiers, de préparer la classe…
Mais il existe de grands écarts : 10% des maîtres n’en font que 5 heures 11, et à l’opposé 10% vont jusqu’à 10 heures 9. Or quand les élèves sont « engagés » en classe, c’est-à-dire lorsqu’ils sont au travail, ils apprennent mieux, soulignent les chercheurs.
La querelle des méthodes est dépassée
Les chercheurs ont pris des enseignants représentatifs dans leur diversité : certains n’utilisent aucun manuel, d’autres un manuel syllabique classique, d’autres encore sont des adeptes de la littérature jeunesse…
Tous, dès la rentrée, font faire du code de façon très explicite à leurs élèves, souligne Roland Goigoux, leur apprenant à associer un son à une lettre. En moyenne, ils vont y consacrer 3 heures par semaine.
Les différences existent sur la vitesse de l’apprentissage, ce qui peut être déterminant pour la progression des élèves. Durant les 9 premières semaines de cours, certains profs font étudier seulement 6-7 correspondances graphèmes-phonèmes, « trop peu, selon Roland Goigoux, alors que l’optimum est de 14-15. »
En fait, d’après lui, la querelle des méthodes – globales ou syllabiques – n’a plus de raison d’être. On retrouve 30% des maîtres n’utilisant aucun manuel dans le groupe des profs « très efficaces », et 30% encore dans celui des « pas du tout efficaces ». Les instits classiques, avec des manuels syllabiques, se retrouvent à 16% parmi les plus efficaces et seulement 5% chez les inefficaces. « Ca ne fait que limiter la casse », commente Roland Goigoux.
Qu’est-ce qu’un bon prof ?
« Difficile à dire, c’est une alchimie de différentes variables », répond le chercheur. Il préfère évoquer des « alertes ». Si le tempo de l’apprentissage du code est trop lent, par exemple, ce n’est pas bon. S’il est trop rapide, non plus d’ailleurs. Faire des dictées, c’est très bien, mais 15 minutes par semaine. Au-delà de 20 minutes, cela n’apporte rien de plus. La lecture à haute voix est positive, mais là encore il y a un seuil à ne pas dépasser…
L’étude reconnaît enfin un effet de l’ancienneté des profs en CP. Mais elle ne s’est pas penchée sur la formation elle-même. Par ailleurs, pour les élèves en difficultés, elle souligne qu’ils ont besoin de plus de temps que les autres. Mais elle ne dit rien de la possibilité de leur donner ce temps.
Enfin, il reste un peu de mystère. « On explique 66% de la progression (la variance) des élèves mais 33% reste inexplicable », indique Roland Goigoux. Cela peut tenir au charisme du prof, à son optimisme, sa conviction de faire réussir tous ses élèves…
« Sortir des débats d’arrière-cour »
« Les méthodes ne sont sans doute pas l’essentiel, a conclu Michel Lussault, l’important est plutôt l’outillage des enseignants. Un professeur bien outillé, bien formé et bien accompagné va bien fonctionner. Loin de clore les discussions, cette recherche les relance et permet de sortir des débats d’arrière cours. L’un des problèmes de l’éducation nationale est que l’on ne débat pas assez de pratiques».
Véronique Soulé