La formation des enseignants prévue dans la réforme du collège aura-t-elle lieu en plus des heures de cours et sans aucune rémunération ? C’est la thèse développée par Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, le syndicat très majoritaire des personnels de direction, le 10 septembre. Ces propos se basent sur le nouveau statut des enseignants en application depuis le 1er septembre et sur la « zone grise » des obligations de service en dehors des heures de cours. Ils suscitent des réactions des autres syndicats et du ministère sollicité par le Café pédagogique. Notre lecture des textes est pourtant bien différente…
Il y a de nombreuses façons de soutenir une réforme. Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, en a inventé une nouvelle le 10 septembre : ouvrir une nouvelle polémique à quelques jours d’une grève nationale. Ses propos risquent d’agiter fortement les enseignants déjà réticents face à la réforme.
Comment organiser les 8 journées de formation pour tous les profs de collège ?
La réforme du collège prévoit un plan de formation de 8 jours pour tous les enseignants des collèges entre janvier et juin 2016. Selon le dossier de presse de rentrée du ministère, » chaque enseignant bénéficiera de huit journées de formation organisées selon une logique de proximité de façon à réduire les temps de déplacement et à renforcer la cohérence de l’action au niveau local… Les regroupements pourront se dérouler dans le cadre des bassins de formation, des districts, des réseaux d’établissements ou au sein des EPLE ». « Cet engagement », poursuit le dossier, » ne saurait se faire au détriment de la qualité des enseignements délivrés au cours de l’année scolaire 2015-2016. Aussi, cet effort de formation doit-il être réalisé en maintenant le bon fonctionnement des collèges. Pour répondre à cette exigence, les équipes au sein d’un établissement seront formées par vagues successives ». Le ministère fixe donc la règle d’une formation en dehors des heures de cours mais ne dit pas exactement comment il va faire. On sait qu’un budget de 24 millions est affecté au plan de formation mais il ne prend pas en compte une éventuelle rémunération des enseignants pour 8 journées de formation.
Des heures dues gratuitement par les enseignants ?
C’est sur ce point que Philippe Tournier a mis l’accent le 10 septembre et a développé sa pensée en réponse à deux questions du Café pédagogique. » Depuis le 1er septembre, les professeurs certifiés et agrégés ont un nouveau statut », rappelle P Tournier. « La définition du texte dit clairement qu’on ne peut plus supprimer d’heures de cours pour faire autre chose. C’est une nouvelle contrainte pour organiser ces stages de formation… Le snpden dit qu’il n’est socialement plus acceptable d’avoir ce type de comportement. On ne peut pas discutailler du moindre quart d’heure de dédoublement et ne pas être gêné par la suppression des cours dans tout un collège… Il ne s’agit pas de dégrader les condition de travail des enseignants mais de dire très clairement l’heure de cours c’est l’heure de cours ».
En réponse à une question du Café pédagogique, P. Tournier précise ; « Ce sera fait dans les 1607 heures du nouveau décret. La formation est explicitement mentionnée dans sa zone grise. Les enseignants ont 1607 heures comme tous les fonctionnaires dont une majorité composée de travail qui n’est pas devant les élèves. Ce que tout le monde reconnait. C’est recevoir les parents ou partir en formation. Il ne s’agit pas de partir dans une position extrême mais c’est une question qui doit être prise en compte dans le plan de formation ».
Ainsi , selon l’interprétation du Snpden, les 8 journées de formation peuvent être faites en dehors des heures de cours et s’imposeraient dans ce cas aux enseignants comme une tâche non rémunérée. Interrogée encore par le Café pédagogique, P. Tournier précise que le régime est différent pour les personnels de direction. S’ils sont formés durant les vacances de la Toussaint, ce qui sera le cas selon le plan ministériel, ils pourront eux récupérer ces journées en jours de congés…. Deux poids , deux mesures…
Qu’en disent le ministère et les syndicats ?
Cette vision du Snpden semble partagée par le ministère. Interrogé par le Café pédagogique, le ministère nous dit que « la formation doit s’effectuer dans le temps de travail défini par les 1607 heures annuelles. L’objectif est bien d’éviter de toucher aux heures de cours même si des contraintes organisationnelles peuvent conduire à des absences ponctuelles. La formation n’est donc pas en plus des 1607 heures et ne donnent donc pas lieu à rémunération pendant les 36 semaines de cours. Par contre les formations durant les congés pour des volontaires donnera lieu à rémunération ».
Le Snalc et le Snes ont vivement réagi sur Twitter. Pour le Snes, » la formation des salariés doit se faire sur temps de travail (règle générale), tout autre dispositif est socialement inacceptable ». Jean-Rémi Girard, secrétaire général du Snalc, estime que les professeurs » ont un service hebdomadaire, qui est le seul décompté, et des missions liées, qui ne peuvent l’être. La formation obligatoire est sur le temps de service ». A quelques jours de la grève contre la réforme du collège, un nouveau champ conflictuel vient de s’ouvrir.
L’analyse du Café
Mais qui a raison ? Sur le plan juridique, les certifiés peuvent-ils être contraints de participer à 8 journées de formation en plus de leurs heures de cours sans rémunération ? Pour Laurent Piau, le spécialiste juridique du Café pédagogique, la réponse est clairement négative. En effet, contrairement à ce qu’a avancé P. Tournier, le nouveau décret qui fixe les obligations de service des certifiés et agrégés (décret 2014-940 du 20 août 2014) ne mentionne pas la formation.
Il énumère la fameuse zone grise : » Les missions liées au service d’enseignement qui comprennent les travaux de préparation et les recherches personnelles nécessaires à la réalisation des heures d’enseignement, l’aide et le suivi du travail personnel des élèves, leur évaluation, le conseil aux élèves dans le choix de leur projet d’orientation en collaboration avec les personnels d’éducation et d’orientation, les relations avec les parents d’élèves, le travail au sein d’équipes pédagogiques constituées d’enseignants ayant en charge les mêmes classes ou groupes d’élèves ou exerçant dans le même champ disciplinaire. Dans ce cadre, ils peuvent être appelés à travailler en équipe pluriprofessionnelle associant les personnels de santé, sociaux, d’orientation et d’éducation ». Nulle part la formation n’est mentionnée. La circulaire d’application du décret (circulaire n°2015-057 du 29 avril 2015) n’en parle pas plus. Par conséquent les heures de formation ne font clairement pas partie des obligations des enseignants des collèges.
A quelques jours de l’appel à la grève, Philippe Tournier a lancé une nouvelle polémique. Il a pointé une difficulté réelle pour le système éducatif que le ministère aurait sans doute voulu résoudre dans la discrétion et plus tard. C’est raté. Sur le terrain de la formation comme ailleurs, réformer nécessitera bien le soutien et la collaboration des personnels.
François Jarraud