« Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, stipule le Code de l’Education, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite. » Communication, recherche web, écriture, appareil photo, enregistrement audio ou vidéo … : pourquoi se priver du potentiel du « téléphone intelligent » ? objectent de plus en plus d’enseignants et d’élèves. Dans l’académie de Poitiers, selon un cadre bien négocié, les élèves de Delphine Roux-Bellicaud ont par exemple utilisé leur propre matériel connecté, et les réseaux sociaux, pour réaliser collectivement un webmagazine : une réécriture moderne du Petit Chaperon Rouge de Perrault. La démarche, pleinement éducative, invite le système à surmonter ses peurs et aide les élèves à construire une citoyenneté numérique.
Dans quel cadre avez-vous mis en place cette expérience de « BYOD » ?
J’enseigne les lettres dans un Lycée professionnel rural dans le nord de l’académie de Poitiers. Dans le cadre des EGLS (Enseignements Généraux liés à la Spécialité) d’une classe de seconde Bac Professionnel ASSP (Accompagnement, Soins et Services à la Personne), j’ai mis en place un projet annuel de réadaptation d’un conte pour enfants.
Il s’agit de s’approprier un conte traditionnel, celui de Charles Perrault, Le Petit Chaperon Rouge, et de le réécrire en l’ancrant dans la modernité. L’objectif final étant de créer un webmagazine complet comportant les réécritures et les illustrations des élèves.
L’originalité et l’intérêt d’un tel projet reposent surtout sur l’utilisation des appareils connectés personnels des élèves en classe, c’est à dire sur une démarche « AVEC » (Apportez Vos Equipements Connectés) ou « BYOD » en anglais (Bring Your Own Device), il s’agit en réalité de l’ensemble des objets personnels et connectés : smartphones, ordinateurs portables, tablettes. Les élèves travaillent avec leur propre matériel qu’ils apportent en classe, en groupe ou seuls, à leur convenance.
Il pourrait sembler audacieux à certains d’autoriser ainsi les élèves à utiliser leur propre matériel en classe : Quelles précautions avez-vous prises ? Y a-t-il eu des dérives ou des soucis techniques ?
Cette démarche est possible si certaines précautions sont adoptées préalablement :
• Rédiger une charte d’utilisation des BYOD (sous forme de carte heuristique) ;
• Assurer la sécurité physique du matériel (armoire fermée à clefs par exemple) ;
• Assurer un accès WIFI sécurisé ;
• Rédiger un avenant au règlement intérieur de l’établissement scolaire pour déroger à l’article L511-5 du code de l’éducation et le faire adopter en Conseil d’Administration. Cet avenant a été ainsi formulé : « L’utilisation des matériels connectés personnels des élèves peut-être autorisée par l’enseignant dans le cadre d’une activité pédagogique ».
• Communiquer et expliquer le projet aux familles.
Lorsque ce travail préparatoire est mis en place, la pédagogie peut réellement commencer.
Je n’ai eu à déplorer aucun souci technique particulier ni aucune dérive de la part des élèves. Leur préoccupation majeure et celle de leurs familles était de sécuriser leur matériel personnel.
Concrètement, quels logiciels et applications les élèves ont-ils utilisés dans ce cadre ? Pour quelles tâches exactement et selon quelles modalités de travail ?
Selon leurs matériels respectifs, les élèves peuvent se servir de différents logiciels ou applications. Dans le cadre de ce projet, ils ont dû utiliser les logiciels de traitement de texte, de transformation de l’image mais aussi d’Internet pour effectuer des recherches, communiquer au sein du groupe, créer le webmagazine. Des groupes de deux ou trois élèves se sont formés assez vite pour la phase rédactionnelle, selon leurs envies et affinités.
S’agissant d’un projet annuel, à raison d’une heure hebdomadaire seulement, il a fallu respecter un échéancier et trouver des solutions afin d’optimiser ce temps de travail.
Nous avons donc créé un groupe privé sur Facebook puisque chaque élève y avait déjà un profil et pouvait ainsi facilement s’y rattacher. De plus, nous y avons invité différents acteurs susceptibles de nous aider, de nous conseiller quant à notre travail.
Les bénéfices de la création d’un tel groupe sur Facebook sont incontestables et ont même dépassé mes espérances. Mieux qu’un journal de bord, ce groupe intitulé « projet Petit Chaperon Rouge » nous a permis de mutualiser le travail de chacun, de partager des informations, de communiquer entre nous et avec les professionnels invités (désenclavant ainsi notre petit lycée professionnel de campagne) et tout cela en dehors de la classe. L’heure hebdomadaire d’EGLS s’est ainsi démultipliée très simplement et avec beaucoup d’enthousiasme.
Quels ont été les freins et les leviers d’une telle expérimentation ?
Le projet a été très bien accueilli par les élèves et leurs familles qui m’ont accordé leur confiance immédiatement. Au sein de l’équipe pédagogique, il a fallu rassurer dans un premier temps car le téléphone portable est encore diabolisé. J’ai dû montrer et prouver que nous pouvions en faire un outil de travail pertinent et efficace. Cette expérience menée pendant un an a convaincu certains collègues qui souhaitent aujourd’hui s’en emparer, ce qui me réjouit.
J’ai été aidée et soutenue par ma hiérarchie, le Référent pour les usages pédagogiques numériques, par le Centre Académique Recherche Développement Innovation Expérimentation de Poitiers et par le Délégué Académique au Numérique de Poitiers, Monsieur Dominique Quéré. Je conseille d’ailleurs aux enseignants qui souhaiteraient mettre en place un projet similaire de contacter le référent académique du CARDIE et le DAN car leur expertise dans ce domaine est précieuse et peut éviter des écueils.
De manière générale, pourquoi vous semble-t-il pertinent d’intégrer dans le cadre scolaire les pratiques numériques réelles des élèves, donc peut-être aussi leur matériel ?
Je pense qu’intégrer les pratiques numériques réelles des élèves dans le cadre de l’école permet de répondre au changement sociétal qui s’opère. Emmanuel Davidenkoff parle de « tsunami numérique » à juste titre, nous devons surfer sur la grosse vague et ne pas nous y noyer. De plus, la question de la citoyenneté numérique est une problématique incontournable aujourd’hui et les enseignants sont là pour sensibiliser les élèves, leur faire acquérir de nouvelles compétences. La réalité du terrain pédagogique, pour être efficace doit être la plus proche possible de celle des élèves, sous peine d’être déconnectée et donc obsolète. C’est la raison pour laquelle une démarche BYOD donne la preuve de son efficience.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
L’article L511-5 du code de l’éducation interdisant les portables