« Un jeune bachelier professionnel sur deux souhaite désormais poursuivre ses études. Et c’est là un défi que nous avons à relever ». Dans son discours du 4 septembre, N Vallaud-Belkacem a-t-elle vraiment vu le « défi » dans sa dimension réelle ? Devant l’explosion des bacheliers professionnels, son ministère semble totalement désarmé devant la question posée par ces jeunes : la démocratisation du supérieur.
En effet, depuis la réforme de 2009, c’est une véritable marée de bacheliers professionnels que connait l’Education nationale. De 119 000 en 2010, on est passé à 191 000 bacheliers professionnels en 2014. Ce son ces jeunes qui ont permis de faire progresser le taux d’accès au bac. Ce flux nourrit un tsunami dans le supérieur. Si 17% des bacheliers professionnels souhaitaient poursuivre après le bac en 2000, le taux monte actuellement à 48%. Selon Vincent Troger, qui a été le premier à mettre en évidence cette mutation en 2012, la voie professionnelle s’est banalisée. D’abord voie de qualification pour entrer sur le marché de l’emploi, elle est devenue un chemin commode vers le supérieur.
Des jeunes à profil particulier
Or ces jeunes ont des profils particuliers. Ils sont moins mobiles que les bacheliers généraux et vont privilégier des formations courtes près de chez eux. Ils ont moins d’appétence pour l’enseignement général. Ces deux caractéristiques font que le débouché normal des bacheliers professionnels serait les BTS, une voie où ils réussissent moyennement : 59% de réussite contre 84% pour les autres bacs. Leur part dans les étudiants de STS est passé de 21 à 29% depuis 2010. Depuis 2014, l’Education nationale a mis en place des quotas académiques qui doivent faciliter l’entrée des bacheliers professionnels en STS. Ils portent un peu leurs fruits. « Le nombre de propositions d’admission en BTS/BTSA faites aux candidats d’une terminale professionnelle s’est accru de 12,5 % (+ 4 761) », révèle le rapport de la députée S. Doucet remis en novembre 2014.
Mais leur arrivée en BTS s’accompagne d’une forte lassitude des enseignants des STS mis devant un défi pédagogique totalement nouveau. Ils dénoncent une baisse de niveau résultant de la réforme du bac professionnel dont le rapport Doucet s’est aussi fait l’écho. La députée reprend les propos de la Fédération de l’enseignement privé (FEP)-CFDT, pour qui » le nouveau « bac pro » aurait fait perdre (aux jeunes) « l’habitude du travail » du fait de coefficients qui invitent à délaisser les matières générales telles que le français, les langues étrangères, les mathématiques et l’histoire-géographie. Pour S Doucet il y a bien « un risque de décrochage » du BTS. Il y a peu d’expériences de préparation des bacheliers professionnels à cette poursuite d’étude. Encore moins de communication entre les enseignants de bac pro et ceux du supérieur ne serait ce que pour connaitre les programmes des uns et des autres.
La tentation de la relégation
Cette arrivée des bacheliers professionnels pose un autre défi à l’éducation nationale : celui du coût. Un étudiant en BTS revient à 13 510 euros en moyenne, soit nettement plus qu’un étudiant ordinaire. Aussi depuis 2012 a-t-on créé seulement 1 500 places supplémentaires dans cette filière. Un nombre sans rapport avec les besoins des bacheliers professionnels. Nombre d’entre eux continuent à aller vers des filières universitaires où leur taux de réussite est très faible.
En décembre 2014, G. Fioraso, secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, avait proposé de créer une filière supérieure particulière pour des bacheliers particuliers. Le nouveau » Brevet professionnel supérieur » devait être un diplôme de niveau III délivré en alternance. C’est sur les entreprises qu’aurait donc reposé le coût de la démocratisation de l’enseignement supérieur. Cela au prix d’une nouvelle relégation dans une filière et un diplôme spécifiques. Cette tentative semble définitivement enterrée.
Quelle égalité pour les jeunes des familles populaires ?
Dans son discours du 4 septembre 2015, N. Vallaud-Belkacem semble en panne d’idées sur le devenir de ces jeunes. « Un jeune bachelier professionnel sur deux souhaite désormais poursuivre ses études. Et c’est là un défi que nous avons à relever ensemble : mieux prendre en compte cette aspiration des jeunes et mieux les préparer aux modalités pédagogiques de l’enseignement supérieur, qui lui aussi doit sans doute mieux adapter sa pédagogie à ces jeunes qu’il accueille de manière croissante », dit-elle. « Le devenir des bacheliers professionnels est une problématique importante et croissante, j’en suis consciente, et c’est bien la raison pour laquelle j’ai demandé à Monsieur Lerminiaux d’y travailler plus spécifiquement. On ne peut pas se satisfaire du taux de réussite de 3% des bacheliers professionnels à l’université. D’un autre côté, on doit aussi pouvoir progresser sur le taux de réussite des bacheliers professionnels, de l’ordre de 50 %, dans les BTS. Il faut donc construire de vrais parcours de réussite pour les bacheliers professionnels ».
La création des bacs professionnels a finalement empêché une véritable démocratisation du lycée en reléguant les enfants des milieux populaires dans des lycées particuliers et un diplôme particulier qui signifiait une fin d’études. La création d’une voie nouvelle dans le supérieur pourrait avoir la même signification. Le défi posé par les bacheliers professionnels nécessiterait des adaptations pédagogiques avant et après le bac et finalement des moyens que le ministère ne semble pas avoir. Finalement, quelle égalité pour les jeunes des familles populaires ?
François Jarraud
Le bac pro, caillou dans la chaussure de l’éducation nationale