C’est un numéro hors série tout à fait passionnant que propose Recherches en éducation. La revue s’attaque aux rituels scolaires. Ceux ci font l’objet d’une prise de conscience et d’un engouement croissants dans l’institution scolaire. Mais cet intérêt cache des finalités différentes.
Alors que le rituel scolaire classique marquait l’entrée dans la société scolaire républicaine, depuis quelques années les rituels scolaires répondent à des demandes de prise de controle comportementale sur les élèves, expliquent Maryvonne Merri et Marie-Paule Vannier, coordinatrices du numéro. » En définitive, la déperdition des rituels dans l’école contemporaine annoncée par la sociologie s’accompagne de l’établissement de nouvelles structures régulières de contrôle qui peuvent être bureaucratiques ou thérapeutiques. Ces contrôles peuvent être source non seulement d’une adoption exclusive des seuls enjeux instrumentaux de l’école, mais encore d’individualisation et d’émergence de contre-rituels au sein du groupe des élèves », expliquent-elles. « De plus, cet affaiblissement des rituels peut nuire plus spécifiquement à des élèves qui, par leur origine sociale ou leur fragilité particulière, seraient plus éloignés de l’école. Le maintien de pratiques rituelles est, on le voit, une question sociale très sensible qui associe école, enjeu sociétal et différenciation des publics ».
Marie-Paule Vannier et Maryvonne Merri rendent compte d’une enquête menée auprès de 316 enseignants de la maternelle au lycée sur les rituels utilisés. « Les résultats de l’enquête mettent en évidence que les institutions du collège et du lycée introduisent, en propre, des objectifs de respect des règles de vie dans la classe, en particulier par le rituel de l’appel. À ces deux niveaux scolaires, il semble que peu de savoirsoutils puissent être mobilisés comme conditions ritualisantes, à l’exception, au collège, des professeurs de langue pouvant, par exemple, introduire une phase de salutation au début du cours », expliquent-elles. « Ainsi, le plus souvent, les comportements de discipline sont ritualisés sans être supportés par une tâche particulière à réaliser par les élèves, comme c’est le cas à la maternelle. Les réponses des enseignants de collège et de lycée permettent également de dégager un noyau rituel composé, au-delà du rituel de l’appel, des rituels du rappel, du bilan et du programme de la séance. Ces trois rituels sont associés à l’objectif de structuration des connaissances. Cet objectif est susceptible d’être mis en oeuvre sous une forme ritualisante, à l’image de la maternelle, ou sous une forme déjà ritualisée, selon que la pratique de l’enseignant permet, selon McLaren (1999), l’émergence d’une nouvelle organisation des savoirs ou qu’elle se réfère à celle d’un « suzerain » omnipotent ».
Autre article très éclairant, Maroussia Raveaud compare la fonction des rituels scolaires en France et en Grande Bretagne. » Le fondement de la vie en groupe repose ainsi sur des prémisses différentes. Côté français c’est le modèle civique qui s’impose à l’école à travers l’attribution de responsabilités. Outre-Manche, c’est l’adhésion aux valeurs de l’école qui est attendue. La participation raisonnée attendue de l’écolier français peut être contrastée à l’engagement affectif et moral attendu de son petit camarade anglais… L’idée d’un effort ou d’une volonté de la part de l’enfant pour devenir un membre à part entière du groupe est absente des textes français. La dimension affective de l’appartenance n’est pas non plus mise en avant ; l’implication affective apparaît plus comme une conséquence indirecte d’une intégration réussie que comme la mesure de cette dernière. L’insistance porte surtout sur le statut que revêt l’enfant en tant qu’écolier, du seul fait qu’il appartient désormais au monde scolaire ».
Entre maintien de l’ordre et appartenance au groupe, le rituel scolaire intéresse l’enseignant. Ce numéro de Recherches en éducation lui donne la possibilité de prendre du recul et mieux comprendre ses attentes et son rôle.
François Jarraud