Au moment de la rentrée réapparaissent traditionnellement de nombreux thèmes qui animent sempiternellement le débat sur l’école. L’autorité des enseignants en fait partie…
1- Quand l’autorité s’est-elle perdue ?
Selon les commentateurs les plus naïfs, les écoliers, collégiens et lycéens qui sont pris aujourd’hui d’une frénésie d’incivilité seraient victimes des soixante-huitards. La croyance en cet héritage délétère est contestée par de nombreux chercheurs, dont Philippe Meirieu qui estime que la période a eu assez peu de conséquences sur le système scolaire sauf à considérer comme révolutionnaire le remplacement éphémère des notes par les lettres, l’apparition des représentants des élèves et des parents ou la disparition, ici ou là, des uniformes (1)… Selon ces mêmes naïfs, la solution aux maux de l’école est simplette : il suffit de redonner l’autorité aux enseignants. Aucun ne sait vraiment comment, mais l’intention leur sert de programme.
La perte d’autorité de tout type de fonctionnaire est un progrès démocratique lorsqu’on l’envisage comme une limitation de pouvoir au profit des citoyens. Si le principe est aisément admis en théorie, il ne l’est pas aisément dans le cas de l’école et des enseignants. Tout se passe comme si tout le monde pouvait contester l’autorité des maîtres (les parents, les technocrates, les journalistes, les politiciens…). Tout le monde … sauf les élèves. Serait-ce parce qu’il s’agit en bonne pédagogie, seulement de les initier à une citoyenneté future sans leur laisser expérimenter une citoyenneté factuelle et active in situ, in vivo.
2- Pourquoi vouloir plus d’autorité ?
La glorification de l’autorité ressemble à une approche managériale de l’école. Elle peut cacher une perception comptable machiavélique, du type : plus d’autorité, moins de personnel ? En effet, si un prof autoritaire (un CPE, un assistant de vie scolaire…) en vaut deux, une économie de postes est envisageable.
La demande d’un renforcement de l’autorité n’est pas nécessairement de droite. Beaucoup de sympathisants de gauche et d’extrême-gauche prônent une obéissance absolue des élèves aux enseignants et une subordination systématique de leurs parents aux décisions de l’administration scolaire. En général, ce type d’autoritaristes préconise l’éviction des élèves indésirables dans des institutions spécialisées hors de l’école.
L’ostracisation des indésirables tourne le dos aux données sociétales actuelles et aux avancées contemporaines des processus éducatifs, qui ont généré de nouveaux rapports des jeunes aux pouvoirs et aux devoirs. D’ailleurs, la mentalité des autoritaristes repose le plus souvent sur l’espoir de remonter le temps et de faire comme avant. Avant quoi ? Avant que les jeunes n’entrent massivement dans les collèges et les lycées parce qu’ils allaient majoritairement à l’usine, à la mine ou aux champs.
3- Les profs savent-ils ce qu’est l’autorité ?
Les tenants d’une autorité accrue des professeurs se donnent une justification éthique. Dans une époque sans repère, sur fond de cellule familiale décomposée (et recomposée), dans des contextes socioculturels ghettoïsés … la jeunesse doit trouver dans l’univers scolaire, des adultes de référence qui ne concèdent rien à la déliquescence ambiante. L’argument est recevable. Mais, il est insuffisant. Il repose sur l’hypothèse que la perte d’autorité des maîtres serait totalement due à un ratage dans la socialisation (éducation) des élèves. Or, on peut envisager l’éventualité d’une méconnaissance de l’existence de l’autorité par les enseignants eux-mêmes.
Si dans la société en général, il existe effectivement une dégradation historique du respect de l’autorité, les fonctionnaires de l’éducation nationale en sont imprégnés exactement comme tous les autres ressortissants. Dès lors, il faut admettre qu’un professeur ne sait pas être autoritaire ; non parce que les élèves sont pire que jadis, mais parce que l’autorité n’est pas pour lui un mode relationnel connu. En l’occurrence, s’il est une nouvelle recrue, sans doute n’a-t-on jamais été autoritaire à son endroit comme on lui demande de l’être face à ses écoliers, ses collégiens, ses lycéens, ses apprentis, ses étudiants …
En l’occurrence, nombre d’enseignants veulent faire autorité sans être autoritaires. Il s’agit dans leur esprit, d’obtenir la considération et l’estime des élèves avec leur savoir-être, leurs connaissances, le rayonnement spontané de leur personne… sans assumer une fonction coercitive inhérente à l’encadrement d’enfants et d’adolescents à qui on donne une formation, au nom de l’État et plus largement de la société.
4- L’autorité peut-elle remplacer une politique éducative ?
Tandis que divers milieux contestent les attributions souveraines actuelles des professeurs (choix des méthodes pédagogiques, notation, rythme des devoirs, punitions…) ; d’autres estiment qu’ils devraient avoir plus de pouvoir sur les élèves … C’est déjà le cas dans l’enseignement privé sous contrat. Les enseignants et la direction exercent une prépotence discrète mais discrétionnaire sur tous les autres aspects de la scolarité : choix des langues, orientation, inscription dans l’établissement, éviction sournoise, exclusion sans conseil de discipline …
Le modèle dominant d’épanouissement individuel des enfants et des adolescents encourage leur esprit critique, leur ironie, leur impertinence voire leur insoumission au point d’en faire des preuves d’intelligence utiles dans la réussite d’une vie. Dans ce contexte, le souhait d’une augmentation de l’autorité à l’école paraît paradoxal, mais il revêt un intérêt ergonomique pour les professeurs. En effet, des élèves polis et studieux offrent des conditions de travail convenables (voire idylliques) à leurs maîtres.
À propos des conditions d’exercice des enseignants, notons au passage, qu’il est moins onéreux de leur promettre plus d’autorité que de diminuer les effectifs dans les classes et d’améliorer leur salaire. Les propos politiciens en faveur du respect des maîtres ne coûtent rien. Néanmoins, ils envoient un message qui peut avoir son revers. En effet, un accroissement de l’autorité personnelle de chaque enseignant pourrait promouvoir des pratiques disparates incontrôlables. Se poserait alors la question de leur régulation par une autorité de l’autorité. Dans cette hypothèse, comment réagiraient les enseignants face à une réduction de leur liberté au profit d’une évaluation minutieuse de leur nouvelle autorité par une hiérarchie aux pouvoirs accrus (inspecteurs, proviseurs, recteurs…).
Gilbert Longhi
(1) Concernant l’école et 1968 Cf. l’intégralité de l’article de P. Meirieu sur http://www.meirieu.com/nouveautesblocnotes.htm