La lecture cursive d’une œuvre littéraire est une activité régulière en français : peut-elle devenir aussi une pratique en Langues et Cultures de l’Antiquité ? peut-on conduire les élèves à explorer une œuvre longue dont ils maîtrisent peu la langue ? Patricia Cochet-Terrasson, professeure de latin au lycée Mansart de Saint-Cyr-l’Ecole, et Anne Fillon, professeure de grec au lycée Le Corbusier à Poissy, ont tenté de relever le défi par une activité présentée dans un récent séminaire :. Elles démontrent combien il faut dépasser les représentations qui associent les langues anciennes essentiellement à la grammaire, à la traduction et à la « civi ». Elles éclairent les modalités et les enjeux d’une « tâche complexe » susceptible de renforcer l’implication des élèves dans le travail de la langue en développant tout à la fois plaisirs et compétences de lecture.
En latin avec Patricia Cochet-Terrasson
Pourriez-vous expliquer dans quel contexte cette activité de lecture d’œuvre intégrale se situe et quelle place elle prend dans votre progression annuelle ?
J’enseigne dans un lycée général et technologique qui regroupe ses latinistes en deux classes : une seconde (17 élèves cette année) et une première/terminale (25 élèves). J’essaie de pratiquer la lecture d’œuvre intégrale (ou de section d’œuvre intégrale) dans toutes mes classes de latin. Très tôt dans l’année en classe de seconde – un peu comme un défi – je propose un ou deux livres extraits de l’Histoire naturelle de Pline sur un thème abordé au cours de nos révisions de début d’année, par exemple le thème des animaux croisé à l’occasion de fables de Phèdre. La lecture (à laquelle nous ne consacrons que quelques séances) n’est pas trop ambitieuse : nous acceptons que certains passages soient négligés et, en associant les parties lues par chacun, nous « reconstituons » l’essentiel du livre tout en dégageant des axes et des enjeux. En classe de première, j’attends le mois de mai pour aborder soit un discours, soit une pièce de théâtre, ce qui occupe toute une séquence. C’est l’occasion pour chacun de montrer une certaine autonomie dans le texte latin et de mobiliser compétences et connaissances de tous ordres (pas seulement linguistiques ou grammaticales). Enfin, en classe de terminale, la période importe peu – tout dépend de l’œuvre qui est au programme.
« Lire une œuvre intégrale en langues anciennes » : voilà qui semble un pari impossible ! Pourriez-vous nous donner un exemple de mise en œuvre de cette pratique dans une de vos classes en en explicitant les enjeux, les démarches, le déroulement …
J’ai présenté au Rendez-vous des LCA 2015, la lecture de la Vie de Néron de Suétone par la classe qui regroupait des élèves de premières et de terminales L, S, ES dont quelques grands débutants. La lecture s’organise en plusieurs étapes qui permettent une entrée progressive dans l’œuvre et qui conduisent les élèves à choisir eux-mêmes les extraits qu’ils présenteront à l’épreuve du baccalauréat.
En premier lieu, je pars des représentations des élèves avant de leur proposer de quoi les remettre éventuellement en cause. Ici, le portrait qu’ils ont brossé de Néron était si négatif que nous avons très naturellement douté de son objectivité. La livre de Suétone – auteur qui avait eu accès aux archives impériales – est devenu l’indice majeur d’une sorte d’enquête.
En second lieu, en éclairant davantage le contexte, j’’aide les élèves à problématiser la lecture : Néron est-il si monstrueux, y compris aux yeux de ses contemporains ? (1 à 2 heures)
L’objectif suivant est de manipuler suffisamment l’œuvre (en version bilingue – classiques en poche) pour que chacun puisse s’y repérer facilement. Les élèves avaient l’intuition d’une construction chronologique, je leur ai proposé une phrase-clé (§19) qui les a aussi orientés vers une construction thématique. Pour y voir plus clair, nous avons donc décidé dans un premier temps d’établir un sommaire afin de comprendre l’architecture choisie par Suétone. Pour cela nous avons simplement traduit les premiers mots de chaque paragraphe latin, en essayant d’établir des regroupements thématiques ou chronologiques. Ainsi, nous avons pu dégager les quatre grandes parties de l’œuvre et les thématiques abordées. (2 heures)
L’avant-dernière phase invite à entrer dans le contenu des paragraphes. Il s’agit de trouver des outils de lecture pour répondre à la problématique. Nous avons comparé l’organisation interne de deux paragraphes, là encore en nous concentrant sur les débuts de phrase. Nous avons commencé à comprendre ce qui, dans le comportement de Néron, pouvait choquer Suétone et les Romains. (2 heures)
Enfin, il convient de choisir les passages les plus représentatifs de l’œuvre et les plus à même de répondre à la problématique. Nous avons « réparti » l’ensemble de l’œuvre dans la classe. Devant ses camarades, chaque binôme devait défendre l’un ou l’autre passage – ce qui a donné lieu a des débats très riches et à des retours au texte latin fréquents. (3 à 4 heures)
L’outil numérique occupe-t-il une place dans votre démarche ?
Dans le cas de Suétone, l’outil numérique a servi à synthétiser notre lecture et à produire un outil original de révision. Nous avons produit une nouvelle édition de l’œuvre en latin qui mettait en avant son architecture (avec un sommaire très détaillé et commenté en français) et des éléments de réponse à la problématique. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est de voir comment les élèves ont reconsidéré à plusieurs reprises la mise en paragraphes de l’édition établie par Henri Ailloud.
En classe de seconde, nous travaillons sur le site Itinera electronica car les élèves ont souvent besoin de lire d’abord le texte français avant d’essayer de se repérer dans le texte latin, ils apprennent ainsi à naviguer dans un texte long.
En classe de première, nous avons aussi travaillé à partir de ce site pour lire la tragédie de Sénèque, Médée. Nous sommes partis des mots les plus fréquemment employés pour comprendre le personnage et son évolution. Dans un premier temps nous n’avons lu que les passages où se trouvaient ces mots.
Quels sont pour vous les points communs et les différences entre ce que l’on appelle lecture d’une œuvre intégrale en langues anciennes et lecture d’une œuvre intégrale en Français ?
Je ne crois pas qu’il y ait finalement tant de différences. On pourrait penser à la « barrière de la langue », mais dans nos classes de français, nos élèves ne sont pas toujours si égaux devant la lecture … Et les latinistes s’inquiètent aussi avant tout du nombre total de pages ! C’est pourquoi il me paraît nécessaire -pour ne pas dire indispensable- de prendre le temps (même si nous en manquons) de se questionner ensemble sur ce que nous croyons savoir de l’œuvre et de l’intérêt que nous pouvons y porter. La phase de problématisation aussi est délicate : elle doit être suffisamment riche pour maintenir le « désir » de lecture jusqu’au bout, mais elle doit aussi rester accessible pour que les élèves puissent s’en emparer. On retrouve les mêmes enjeux en classe de français. Enfin, impliquer les élèves dans le choix des extraits (traduits et commentés en terminale, déclamés ou joués en première, présentés sous forme de devinettes en seconde) contribue à donner du sens à la lecture, nous le savons bien.
On a l’habitude d’associer, en cours de langues anciennes, pratique de la lecture et pratique de la traduction : l’approche que vous présentez propose-t-elle une articulation différente ou nouvelle de ces deux pratiques ?
Je ne sais pas si l’approche est nouvelle, en tout cas, en classe, la question ne se pose pas. Nous avançons dans notre lecture du texte latin en utilisant des chemins de traverse très variés : en construisant un sommaire, pour valider ou infirmer des hypothèses, en tournant autour de quelques mots qui se développent en réseau… La traduction en regard est un chemin comme un autre – assez prisé au début parce que c’est rassurant, mais qui devient au fil des séances, de moins en moins utile. Lire l’œuvre intégrale en latin c’est surtout la comprendre et y être sensible, ce qui ne veut pas dire savoir la traduire mot à mot – mais savoir situer un extrait (latin) avec finesse, en comprendre l’enjeu grâce à des outils variés pertinents que l’on a construits ensemble en classe, réagir ou s’interroger à propos de cet extrait. Finalement, ce que nous entendons ici en classe par « lecture » me paraît plus exigent que ce qui est habituellement appelé « traduction ».
Quels sont selon vous les intérêts de cette pratique de lecture d’œuvre intégrale ? Eventuellement les erreurs à éviter ou les réserves que vous pourriez formuler ?
D’après l’expérience que j’en ai, la pratique de la lecture de l’œuvre intégrale réunit de nombreux atouts. Elle est facile à mettre en œuvre dans une classe multi-niveaux si l’on pratique une entrée progressive dans l’œuvre – même les élèves les moins expérimentés peuvent rechercher le thème d’un paragraphe en n’en lisant que les premiers mots. La mise au travail est immédiate et les élèves sont actifs et impliqués, d’autant que le spectre d’une traduction très précise est écarté. Dans l’exemple que je viens d’évoquer, la lecture a conduit à de nombreux échanges de compétences, de points de vue … que je n’avais pas imaginés. Il a fallu trouver de nouveaux outils pour trancher entre les derniers extraits en lice ou limiter certains débats faute de temps …
Cette pratique peut paraître inconfortable à l’enseignant, chaque fois que les élèves l’emmènent là où il n’avait pas prévu d’aller. Je conseillerais de bien délimiter le nombre de séances que l’on veut consacrer à chaque étape de la lecture et de demander aux élèves de préparer à la maison leurs arguments pour les présenter avec méthode en classe. Toutefois, il faut aussi un peu de souplesse et accepter que les élèves choisissent d’autres extraits que ceux que nous aurions sélectionnés nous-mêmes ou que leur réponse à la problématique initiale ne soit pas aussi nuancée que nous l’envisagions. C’est une expérience de lecture à construire ensemble.
En grec avec Anne Fillon
Pourriez-vous expliquer dans quel contexte cette activité de lecture d’œuvre intégrale se situe et quelle place elle prend dans votre progression annuelle ?
Cette activité se situe en classe de première, en cours de LCA (langues et cultures de l’Antiquité), grec. Les élèves sont en nombre variable selon les années : de 13 à 19. Leur niveau est très hétérogène : certains ont commencé les LCA en 5ème, étudiant le grec en même temps que le latin, d’autres les ont étudiées à partir de la 3ème ; ils sont nombreux à en avoir commencé l’étude en 2nde. Enfin, un tout petit nombre commence en 1ère. Le Lycée Le Corbusier est un établissement que l’on peut dire « mixte » : le public helléniste est varié. Si l’on se réfère aux notes obtenues chaque année au baccalauréat, on voit que le niveau général (et pas seulement dans l’apprentissage des LCA) est très hétérogène : A certains, la note obtenue en grec donne l’accès à une mention, parfois la mention très bien. A d’autres, les points obtenus permettent tout simplement d’obtenir le bac… Nous disposons de l’horaire légal : 3 heures hebdomadaires.
L’étude du roman d’Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, en première, trouve explicitement sa place dans les Instructions Officielles dans lesquelles figure l’objet d’étude « récits et témoignages » ; des liens peuvent en outre être faits avec la rhétorique si l’on aborde la Seconde Sophistique (période « tardive » à laquelle le roman a été écrit) et la poésie érotique, deux autres objets d’étude des I.O. Le roman jouant beaucoup de la παιδεῖα (la culture) du lecteur, il est plus intéressant à lire en fin d’année afin de s’appuyer non seulement sur les connaissances acquises en seconde et au collège, mais aussi sur les connaissances de l’année en cours.
Lire une œuvre intégrale en langues anciennes : voilà qui semble relever du pari impossible. Pourriez-vous nous donner un exemple de mise en œuvre de cette pratique dans une de vos classes en en explicitant les enjeux, les démarches, le déroulement ?
Rien n’est impossible si l’on accompagne les élèves (si on les rassure devant 200 pages) et si l’on croit que c’est possible, voire nécessaire.
Les enjeux sont simples : ils partent du principe que l’étude d’extraits ne peut suffire à rendre compte d’une œuvre. C’est une lecture intégrale qui permet d’en apprécier toute la saveur. Le roman d’Achille Tatius, qui est remarquable pour ses références innombrables à la littérature antérieure ou contemporaine, pour son style très rhétorique, ne peut s’apprécier profondément que par une fréquentation assidue. Bien sûr, le professeur peut toujours expliquer le style, les références, dire les récurrences, mais l’élève adhère mieux —et durablement— s’il en fait l’expérience lui-même. Ainsi, comme des liens sont sans cesse tissés entre les textes par les auteurs eux-mêmes nourris de leurs lectures, le lecteur πεπαιδευμένος (qui possède la παιδεῖα) éprouve une réelle jubilation à retrouver dans une œuvre les échos de ses lectures antérieures. Il s’agit d’amener les élèves à ce plaisir.
La mise en route se fait très traditionnellement par l’incipit. L’originalité est que nous le lisons d’abord uniquement en grec. Les élèves doivent donc faire des repérages et les interpréter. Ils travaillent toujours en groupes de deux à cinq, le travail se déroule systématiquement ainsi : repérage/recherche/réflexion individuelles, puis mise en commun, confrontation dans les groupes, transmission entre groupes et/ou transmission à la classe.
L’incipit de Leucippé et Clitophon comporte une ekphrasis —description d’œuvre d’art— qui le rend particulièrement intéressant pour réfléchir aux fonctions de la description dans le roman (qu’ils étudient aussi en cours de français). Les élèves sont capables d’identifier de nombreux mots qu’ils connaissaient, mais aussi d’en repérer d’autres et particulièrement des noms propres, géographiques et mythologiques —celui d’Europe (car il s’agit d’un tableau présentant l’enlèvement d’Europe par Zeus métamorphosé en taureau) appartenant aux deux domaines. Le travail sur la langue est permis par les mots répétés à des cas différents, des verbes comme γράφειν conjugué à tes temps différents et associé à d’autres mots de la famille (famille intéressante puisqu’elle désigne aussi bien l’écriture que la peinture étroitement unies au moins dans les six ekphrasis de l’œuvre). Le travail sur la géographie (recherche de cartes) fait découvrir la Phénicie, le travail sur la mythologie fait réfléchir sur l’Europe (thème qui permet l’interdisciplinarité). Les élèves cherchent les sources d’Achille Tatius : c’est l’occasion d’étudier les représentations du mythe dans l’Antiquité (prolongement éventuel à l’époque moderne : les représentations abondent… jusque sur les pièces de deux euros). Les élèves ne sont pas satisfaits : Achille Tatius a dû aussi lire des textes. Et c’est finalement le poète grec Moschos qui est désigné comme la source : le mythe est très détaillé et présente aussi une ekphrasis, celle d’une corbeille de fleurs (on comprend en effet —en partie— pourquoi A. Tatius s’attarde, dans son incipit sur la description de la prairie et de sa flore…).
Les hypothèses de lecture étant posées, il faut les confirmer par la lecture en français, de l’incipit et de la suite. Puis, nous lirons d’ekphrasis en ekphrasis pour montrer les liens constants entre elles et leur fonction d’annonce. Entre chacune d’elles, les élèves sont chargés de lire —les passages sont réduits pour les plus faibles lecteurs, les plus forts résument en classe pour les autres— et de choisir en groupe les extraits sur lesquels nous travaillerons plus précisément. Ils doivent justifier ces choix en montrant l’intérêt linguistique (en grec avant tout) et romanesque des passages. Des temps sont consacrés à la lecture en classe afin que les élèves prennent l’habitude de lire le grec, et non pas seulement la traduction : leur intérêt est éveillé par des remarques sur la traduction, parfois approximative, toujours subjective.
Ils sont invités à choisir d’autres pistes de lecture. J’avais proposé pour Eduscol une fiche sur l’Egypte dans Leucippé et Clitophon, qui suggérait une lecture des realia. Un groupe d’élèves s’est intéressé au personnage de Ménélas qui, en contre-point de l’image traditionnelle du célèbre homonyme est courageux, sauve la plus belle femme du monde (en utilisant d’ailleurs un outillage homérique…) et est… homosexuel (on peut consulter sur ce thème l’article de E. Romieux-Brun, « Le Personnage de Ménélas chez Achille Tatius : une transposition en Egypte du modèle classique », Camenulae n°6, novembre 2010). Un autre groupe a cherché l’influence de Platon dans l’œuvre (l’introduction de l’édition Hatier/Les Belles Lettres donne beaucoup d’éléments). Ainsi, au terme de la lecture —qui aura occupé sept semaines—, les élèves se sont approprié leur livre, qu’ils ont garni de marque-pages et d’indications diverses. Ils sont prêts à lire un autre roman, celui de Longus, par exemple, et à faire tous les rapprochements qui s’imposent !
Je travaille constamment avec les outils numériques dans mes cours de langues anciennes, depuis dix ans. Le traitement de texte permet de manipuler les textes pour le travail de la langue, d’utiliser des couleurs (avec possibilité de se corriger facilement) pour le commentaire, de travailler la réécriture du brouillon. Les élèves apprennent aussi à faire des diaporamas en appui de leurs exposés.
Internet est largement utilisé pour le dictionnaire grec (un abrégé du Bailly est en ligne), mais aussi français (portail Lexilogos), pour les encyclopédies répertoriant les realia antiques, pour le site hodoi elektronikai (textes et appareillage des textes), pour des recherches de toutes sortes, particulièrement iconographiques. C’est l’occasion d’apprendre aux élèves des méthodes de recherche.
Le numérique permet en outre le travail collectif (et même collaboratif puisque les élèves peuvent communiquer entre eux hors de la classe) : usage de padlet pour un travail sur le même document, répartition du travail entre membre d’un groupe (l’un crée la liste de vocabulaire, un autre les notes de grammaire, un autre les notes explicatives., etc… qui peuvent ensuite être échangées, complétées par chacun…), le travail des élèves peut être projeté régulièrement devant la classe et donc commenté.
Tous ces usages trouvent leur place dans les diverses étapes de la lecture cursive. Le recours au numérique est très stimulant pour les élèves et ils apprennent à utiliser couramment l’ordinateur comme un instrument de travail.
Quels sont pour vous les points communs et les différences entre ce que l’on appelle lecture d’une œuvre intégrale en langues anciennes et lecture d’une œuvre intégrale en français ?
Le point commun essentiel me semble être le fait de s’approprier le livre en y portant des annotations, en glissant des marque-pages en fonction des objectifs posés (repérage des éléments annonciateurs contenus dans les ekphrasis, puis des événements qui étaient annoncés, pour Achille Tatius, mais ce peut être aussi l’entrée en scène de chaque personnage, la caractérisation progressive d’un personnage, les changements de lieux, les indications de temps…) : cela constitue des étapes qui soutiennent et relancent l’attention de l’élève.
La différence essentielle est bien sûr l’attention portée à la langue. La lecture du grec est d’abord faite de repérages dans un premier temps, sans traduction pour les premières pages. Ensuite, les élèves sont invités à une sorte de lecture bilingue : l’élève lit le français, puis se reporte au grec pour y retrouver les termes intéressants, les champs lexicaux dominants, les différentes formes d’un même terme. Enfin, elle prend aussi la forme d’une réflexion sur la traduction, d’un véritable commentaire de traduction, même, activité appréciée des élèves et qui demande beaucoup de rigueur puisqu’il faut vérifier précisément le sens et la forme de mots afin de « critiquer » les choix du traducteur.
On a l’habitude d’associer en cours de langues anciennes pratique de la lecture et pratique de la traduction : l’approche que vous présentez propose-t-elle une articulation différente ou nouvelle de ces deux pratiques ?
L’articulation entre ces deux pratiques est nouvelle dans le sens où la manière d’aborder les textes varie constamment. Ainsi, la lecture de l’incipit se fait sans traduire : de nombreux mots sont connus des élèves, ou transparents, avec quelques éléments donnés par le professeur, en particulier les termes récurrents, l’ensemble est abordable sans entrer dans le détail.
Par la suite, les élèves lisent en français, mais repèrent les mots grecs « intéressants » (c’est une notion qui se met en place dans l’année : termes dont des mots français sont issus et qui permettent un travail sur la langue, termes récurrents dans le roman, termes appartenant à des champs lexicaux dominants, termes souvent rencontrés dans d’autres textes…) et les mémorisent, enrichissant ainsi leurs connaissances lexicales.
Enfin, les passages qu’ils ont choisis font l’objet d’une lecture analytique et, donc, au préalable, d’une traduction précise : extrait entièrement en grec, de longueur variable selon les compétences des élèves, extrait qui peut être en partie accompagné de sa traduction dont ils peuvent s’inspirer, mais qu’ils doivent justifier, extrait avec notes explicatives ou sans notes (les élèves réalisent parfois les notes eux-mêmes), extrait qui peut être déjà préparé par des repérages grammaticaux (d’un élève, d’un groupe d’élèves ou de moi-même)….etc… Ainsi les variantes sont nombreuses : le but est que chacun trouve son mode de fonctionnement et ne soit pas confronté à une entreprise trop difficile.
Quels sont selon vous les intérêts de cette pratique ? Eventuellement les erreurs à éviter ou les réserves que vous pourriez formuler ?
Cette pratique présente plusieurs intérêts. Elle développe très activement les compétences de lecture en proposant des stratégies. Nos jeunes ont du mal à se concentrer longuement, surtout quand ils sont seuls et, souvent ils se découragent. Si on leur donne des objectifs autres que simplement lire (mais qui, tous, mènent à la lecture), ils se motivent. La motivation grandit aussi particulièrement si la participation de chacun est mise au service du groupe : ainsi, il est plus motivant pour un élève de lire pour raconter à ses camarades que de lire pour… une évaluation ! De même, un élève très bon lecteur, mais moins bon helléniste apprécie de raconter un passage à ses camarades qui, eux, se seront concentrés sur la langue grecque et auront peu avancé leur lecture. A l’issue de cette appropriation du livre, les élèves sont fiers. L’idéal est de réinvestir très vite ces méthodes dans une autre lecture.
Les erreurs à éviter sont toujours les mêmes lorsqu’on choisit de laisser agir les élèves : il ne faut pas être impatient, le travail est plus lent que lorsque le professeur tient tous les rênes, il faut accepter que l’extrait plébiscité par les élèves ne soit pas celui que l’on aurait choisi, il ne faut pas vouloir que tous les élèves s’investissent dans tous les aspects de l’activité… etc.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut et Claire Berest
Rencontres 2015 « Langues et Cultures de l’Antiquité»
Fiche Eduscol sur l’Egypte dans Leucippé et Clitophon
La lecture analytique en langues anciennes