Il s’en passe de fort belles au collège de Piégut-Pluviers en Dordogne ! Projets interdisciplinaires, blog et murs virtuels, créations audio et vidéo, tablettes et classe inversée, liaison cycle 3, ateliers d’écriture, concours de capsules réalisées par les élèves, ludification de l’enseignement… : Amélie Mariottat, professeure de français, mène ce remarquable et foisonnant travail en collaboration avec ses collègues de diverses matières. Elle en explique ici les modalités, stimulantes, et les enjeux, essentiels : mettre les élèves en activité pour redonner sens, plaisir et efficacité aux apprentissages ; développer par le numérique ouverture culturelle et esprit d’innovation pour lutter contre les inégalités sociales et géographiques. « Le français ensemble et pour chacun » : autrement dit, le français ici préfigurateur du collège de demain ?
L’usage que vous faites du numérique dans votre collège semble lié au souci de lutter contre certaines inégalités, géographiques ou sociales : pouvez-vous expliquer en quoi le numérique est en ce sens utile ?
Pour nous, le numérique est clairement un vecteur d’équité. Il permet à nos élèves isolés géographiquement d’avoir un accès à la culture au sein même du collège. Avec la classe inversée et la leçon à la maison, on permet aux élèves dont les parents n’ont pas le temps ou les compétences de mener à bien le travail demandé puisqu’il ne s’agit que d’écouter et de compléter une fiche outil. Les musées en ligne, les twittclasses ou les projets radio sont autant de projets liés au numérique qui permettent à chaque élève de vivre de nouvelles expériences culturelles. Ainsi, nous essayons de combler les inégalités en mettant au cœur de nos pratiques cette ouverture culturelle qui est inscrit dans notre projet d’établissement.
Comment le numérique vous aide-t-il à mettre en place une pédagogie différente ? Quels vous en semblent les intérêts ?
Le numérique n’est pas une finalité mais bien un outil et une aide à ma pédagogie. Je pars toujours de l’élève, de son besoin, sa progression et je cherche à faciliter et ludifier le parcours. J’ai commencé par créer un mur collaboratif pour mes classes puis le blog « Le français ensemble et pour chacun » pour une communication plus aisée. Chaque classe navigue selon le chapitre dans les articles publiés. Nous avons au collège une salle informatique que nous utilisons régulièrement : par exemple, avec les 6e, nous avons écrit un conte. Le traitement de texte et notamment l’outil suivi de modification a été très efficace pour mener le travail du brouillon et faire progresser les corrections. Nous avons conçu des tutoriels pour les CM avec les tablettes via Adobe Voice, une application qui permet de créer des vidéos avec voix off et cela en une heure de séance. Le numérique permet donc de différencier les parcours plus facilement mais aussi de créer des supports attractifs pour les projets menés en classe.
Comment en particulier menez-vous à bien les heures d’études dirigées ?
L’étude dirigée est un temps prévu pour les 6èmes dans le but de faire les devoirs : étudier les leçons et faire les exercices demandés. Chaque enseignant la pratique selon sa personnalité mais avec une « ligne » commune qui s’est finalement dégagée naturellement sans concertation mais à partir d’échanges de pratiques.
Nous commençons toujours par un quart d’heure de lecture (nos élèves ont toujours un livre, une BD, un magazine dans le sac… : c’est obligatoire !), j’ajoute une musique de relaxation, cela permet de faire une vraie coupure pour les élèves. J’ai d’ailleurs dans ma salle un petit coin lecture avec des coussins, des poufs, un tapis pour se détendre. Ensuite, un élève écrit les devoirs au tableau et je vérifie les agendas des élèves les plus étourdis. Nous poursuivons par la création de groupes qui s’installent en îlots pour travailler autour d’une matière. Les élèves ont le droit de chuchoter : pour veiller au niveau sonore, je mets une musique de concentration et lorsque nous n’entendons plus la musique, il faut baisser la voix. Je passe de groupe en groupe pour aider à la méthodologie et les élèves « experts » qui ont fini très vite font la même chose que moi. Les élèves coopèrent, partagent leurs astuces pour mémoriser, se font réciter… Cette dimension d’échange au cœur de ce temps d’étude dirigée.
La qualité pédagogique du travail mené dans votre collège repose aussi sur la collaboration entre les enseignants, y compris en liaison avec des professeurs des écoles : pouvez-vous donner des exemples de cette synergie ? comment ce travail d’équipe parvient-il à se mettre en place ? quels profits en tirent tout à la fois les élèves et les professeurs ?
Au Collège de Piégut, il est vrai que nous aimons travailler par projet pour donner du sens et créer du lien entre nos matières. Par exemple, en ce qui concerne le projet métamorphose en 6ème, j’ai conçu toute mon année avec une collègue Professeur des Ecoles, Isabelle Rambaud, qui a mené avec ses CM la même progression de Français et participé également à tous les projets. À l’issue de cette préparation, j’ai créé un document de travail et les collègues s’en sont emparés. Nous avons écrit des fables et la collègue d’Arts Plastiques a travaillé sur la création d’un bestiaire en volume : nous pourrons ainsi créer un musée virtuel avec les écrits et les créations des élèves. Le collègue de Musique a créé une séquence sur le conte : Cont’émoi en Musique en parallèle à notre lecture d’Alice au Pays des Merveilles et de l’écriture longue de notre conte.
Les élèves mémorisent plus volontiers et s’attachent à mener toutes les activités avec beaucoup d’efficacité et de travail. On voit, sur les 6èmes qui étaient une cohorte aux attitudes peu « scolaires », une réelle motivation pour ces projets pluridisciplinaires pour lesquels ils voient une finalité et des enjeux.
Le projet de jeu Bilbo est un exemple de ce travail d’équipe : de quoi s’agit-il ?
Ce projet Biblo regroupe sept enseignants ayant les élèves de 5ème. Avec mon collègue de maths, Monsieur Colombo, nous voulions créer un jeu en ligne. Les élèves ont lu Bilbo en classe et ont créé des quêtes, des énigmes, des vidéos… Avec la collègue d’Arts Plastiques, ils ont créé des cartes de la Terre du Milieu, avec le collègue de musique, des personnages avec une identité musicale. Bref, ils ont créé tout un monde d’énigme qui va s’ouvrir peu à peu jusqu’à une explosion finale pour une après midi ludique où nous organiserons une quête au sein même du collège.
Des ateliers d’écriture sont aussi organisés en français : selon quel mode d’organisation ? pouvez-vous donnez des exemples et en expliquer les profits qu’en tirent les élèves ?
Nous avons créé des ateliers d’écriture, car nous pensions que le soutien tel que nous le pratiquions avant était stigmatisant et peu productif. Auparavant, nous avions une heure par semaine de « Soutien Français » qui servait à soutenir les élèves qui étaient en difficulté, souvent les mêmes qui faisaient des exercices systématiques qu’ils réussissaient très bien en fin d’heure mais n’arrivaient jamais à mettre en pratique en situation réelle : rédaction, évaluation… Nous avons constaté, parallèlement, le manque de goût des enfants pour l’écriture et la lecture. Nous avons donc décidé de créer des ateliers d’écriture pour tous. Nous faisons des groupes de besoin. Chaque groupe est encadré par un enseignant qui mène l’atelier selon sa pédagogie. Chaque trimestre, nous changeons de groupe et les élèves sont nourris de cette richesse, de cette diversité. Cela va faire deux ans que nous pratiquons cela, nous avons vu que les élèves qui ont déjà pratiqué les ateliers sont plus à l’aise dans l’écriture et ce dans toutes les matières. Le passage à l’écrit est vu non plus comme un douloureux exercice mais comme une activité naturelle, connu comme ayant des codes. Les élèves utilisent naturellement le brouillon, cherchent des idées, font des plans, organisent…
Pour finir, nous pratiquons l’évaluation par compétences qui ne classe pas les élèves entre eux mais montre à chacun ses points de progrès. Chaque élève peut avancer à son rythme et réaliser son parcours de progrès avec une valorisation par une publication ou une exposition.
Votre site propose de nombreuses capsules vidéo, confiant souvent des missions aux élèves : comment techniquement les réalisez-vous ? en quoi vous semble-t-il intéressant d’utiliser un tel outil pour lancer l’activité des élèves ?
Pour moi, ce qui compte dans la classe inversée, ce n’est pas la capsule mais bien la mise en activité des élèves. Ils doivent être acteurs de leur enseignement pour intégrer les notions. J’utilise souvent le jeu et notamment les missions pour que mes élèves soient plus actifs. Par exemple, en 5ème, le fil rouge de l’année est la Dame de Piégut qui demande aux élèves de la distraire. En effet, elle est seule dans la tour de Piégut et se languit d’une belle et grande cour et appelle sans cesse les troubadours ou les érudits pour raconter un voyage extraordinaire (Marco Polo), écrire un roman de chevalerie inédit (Yvain ou le chevalier au Lion), jouer une farce (La farce de Maître Pathelin)… Toutes nos activités de lecture, d’écriture, d’oral et d’histoire des arts sont liées à ce but. Depuis que je pratique cela, tous les élèves lisent les livres demandés car sinon, ils ne peuvent mener à bien la mission qu’ils ont reçu de la Dame de Piégut…
Pour créer ces capsules, on peut soit utiliser un ordinateur et des sites comme Powtoon ou alors utiliser une tablette, personnellement j’ai un Ipad, et j’utilise beaucoup Adobe Voice, Tellagami pour mon avatar, Puppet pals pour les personnages animés. Ensuite, je fais le montage via imovie. Aujourd’hui, je peux concevoir une capsule en moins de 30 minutes. La tablette facilite la vie.
Les élèves eux-mêmes sont amenés à réaliser des capsules mises en ligne sur le site, jusqu’à participer parfois à un « concours de capsules » : pouvez-vous donner des exemples ? quelles sont ici les étapes et les modalités de travail ? comment les autres élèves sont-ils amenés à les exploiter ? en quoi ce dispositif vous semble-t-il intéressant ?
La classe étant le lieu de l’action, bien souvent les élèves sont créateurs de capsules à destination de leurs camarades bien sûr et comme future trace écrite, car j’ajoute une fiche outil à compléter.
Prenons l’exemple du travail mené sur la langue. Lorsqu’on entend parler de la classe inversée et de son principe, on pense directement aux points de langue qui sont faussement découverts de manière inductive et qui appellent un cours magistral. Beaucoup d’enseignants ont dû en faire l’expérience : les élèves comprennent mieux et plus volontiers si ce sont les camarades qui expliquent… Partant de ces deux constats et de ma volonté de rendre l’élève acteur de son enseignement, j’ai donc décidé de faire créer aux élèves les capsules et je n’ai pas été déçue, ils sont rigoureux, organisés et pensent à tout détailler : de vrais enseignants !
D’un point de vue pratique, en général, je fais une évaluation diagnostique qui permet à tous les élèves de faire le point sur ses acquis. Ensuite, nous créons des groupes de besoin qui ont des missions. Il s’agit en général d’une question comme par exemple pour la révision de la phrase complexe : « Les propositions, qu’est-ce que c’est ? » ou « Quelles sont les différentes propositions subordonnées ? » Chaque groupe crée une carte mentale avec tous ses souvenirs dans une première phase, puis ils prennent leur manuel pour vérifier et ensuite font appel à moi. Une fois validé, je donne une tablette par groupe et le travail de création commence.
Nous faisons des concours de capsules quand les élèves ont travaillé sur le même thème, il y a différents critères et donc chacun s’interroge sur ce qui fait une bonne capsule notamment dans le but de la mémorisation. Nous prolongeons ce travail par la création d’exercices en ligne via le site learning apps qui permet de créer en deux clics sur ordinateur des jeux. Cela permet aux élèves de se poser la question : « que dois-je savoir ? » pour pouvoir concevoir puis ensuite, cela permet à chacun de s’entrainer autour de la notion développée dans la capsule. Bref, l’usage du numérique en langue permet de prolonger les activités de classe de manière ludique.
Comment utilisez-vous le numérique pour tout à la fois travailler l’oral et faire vivre les œuvres littéraires ?
Les élèves de 3ème doivent s’orienter à la fin de l’année, il m’a semblé judicieux de mener toute mon année autour de cela. Ils sont devenus des animateurs radio, des critiques littéraires, des auteurs engagés, des metteurs en scènes… L’oral est au cœur de cette année, car l’histoire des arts est une de leurs principales préoccupations avec le brevet. Pour faire baisser un peu cette pression scolaire, ils ont mené beaucoup d’oraux et notamment ceux qui font vivre les œuvres littéraires. Nous avons créé une émission littéraire sur l’autobiographie après la lecture de Philippe Grimbert. Après une étude des différentes émissions, nous avons synthétisé toutes les idées dans une carte mentale et avons mis en place les différentes chroniques et les jeux. Ainsi, cette émission était comme un bilan de chapitre reprenant toutes les notions et mettant en scène les personnages incontournables de l’œuvre. Cela a permis à chaque élève de mémoriser tout en créant.
Qu’est-ce que le projet « courant Livre » ?
Le projet courant Livre est une particularité de notre département : nous avons eu la chance d’obtenir 30 euros pour chaque élève de 3ème, à dépenser en livres dans une librairie.
Nous avons eu d’énormes surprises : beaucoup d’élèves de 3ème ne font pas la différence entre une bibliothèque et une librairie. Nous avons à nouveau travaillé sur l’orientation et les métiers du livre. Chaque enfant quitte le collège avec un début de bibliothèque personnelle. Cela nous semble idéal et important. Il s’agit ainsi de valoriser les lectures cursives (dites plaisir) et de réduire la fracture géographique.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
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