Pour assurer davantage de mixité sociale, la carte scolaire suffit-elle ? La question est posée à un des ateliers du colloque organisé par le Cnesco sur la mixité sociale le 3 juin. Pour y répondre, une belle assemblée de décideurs, chercheurs et acteurs. En discussion la mise en place des cartes scolaires, le report de l’Etat vers les collectivités locales des questions de mixité sociale. En privilège, des exemples précis portés par leurs acteurs…
Cet atelier 2 est animé par Marie-José Torrero, membre de la commission permanente de l´Association Nationale des Directeurs de l´Éducation des villes (ANDEV). Deux temps ont été prévus : l´un permettant de donner la parole à Françoise Cartron (Sénatrice de la Gironde et Vice-Présidente du Sénat), à Choukri Ben Ayed (sociologue, professeur à l´Université de Limoges et chercheur au GRESCO (Groupe de Recherche et d´Études Sociologiques du Centre Ouest), à Laurent Visier (Professeur de sociologie, Université de Montpellier), à François Deligné (Maire de Guyancourt, Vice-Président de la Communauté d´Agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines) et à Hélène Rouch, porte-parole et secrétaire-générale adjointe de la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d´élèves).
Françoise Cartron : Comment faire de la mixité sociale et scolaire un objectif central porté par le Ministère de l´Éducation Nationale ?
La mixité sociale doit être l´objectif premier qui doit poursuivi des politiques menées au niveau de l´Éducation Nationale. Pourquoi ? Parce qu´aujourd´hui, et suite aux événements du 11 janvier, il faut faire vivre les valeurs de la République, voir que l´école ne remplit pas son rôle, voir comment les enseignants se sont parfois trouvés démunis au lendemain du 11 janvier. Il faut comprendre les jeunes qui sont des établissements très ségrégués, que leur réalité est la non-égalité et la non-fraternité. Il faut repenser le recrutement car si non on ne recréera pas cette paix sociale entre les jeunes et ce sentiment d´appartenance aux valeurs de la République, on ne résoudra pas non plus l´échec scolaire, on ne reconstruira pas non plus la confiance nécessaire que les jeunes perdent. Ce n´est pas simple, mais il faut voir cette situation comme une bombe à retardement et que des remèdes palliatifs ou des pansements ne sont pas des solutions. En effet, la non-mixité déclenche une souffrance, une révolte, pour les jeunes, mais aussi pour les enseignants à qui l´on confie une mission impossible face à une pression très forte de la société.
Choukri Ben Ayed : La question n´est pas de savoir s´il faut une sectorisation ou pas, mais laquelle et pourquoi ?
Si la mixité sociale est énoncée comme une volonté politique forte, un enjeu pour la République et la Nation, alors il faut que celle-ci se dote des outils nécessaires à sa réalisation et en particulier un vrai cadre législatif, absent pour le moment selon lui.
Il y a une première contradiction : parler de sectorisation et de libre choix. C´est un débat clivé voire maladroit. C´est quoi au juste la sectorisation ? Il n´y a pas plusieurs types de sectorisations ? C´est un problème compliqué car l´Éducation Nationale l´annonce comme une priorité de la société. Quid du cadre juridique et quid opérationnel.
On parle peu de la sectorisation du premier degré. Il n´y a pas de texte juridique, à ce jour, faisant de la sectorisation dans le premier degré une obligation institutionnelle et juridique. Elle est laissée à l´appréciation des municipalités en fonction donc de leurs intérêts locaux. Cela a un effet catastrophique car les gens ne comprennent pas pourquoi ils font ce qu´ils veulent en primaire et, ensuite, à partir du collège sont affectés en fonction de leur secteur. Alors, si la mixité sociale est un enjeu pour la nation, pourquoi on ne pensera pas à ce que l´État prenne la main pour sectoriser les villes ? L´État n´a pas de prise sur le premier degré. On est dans un cadre décentralisé. Que fera-t-on, de surcroît, quand on aura des municipalités Front National pour les convaincre de faire une politique qui défend les plus faibles? On ne pas vouloir la décentralisation et ne pas assumer les alternances politiques.
Concernant le second degré, depuis 2004, la compétence de la sectorisation a été transférée aux conseils généraux, donc l ´État n´a pas la main non plus. À ce moment-là, on n´est pas dans une mixité sociale, on est dans une autre logique. On parle seulement d´équilibre démographique, pas de mixité sociale.
La décentralisation est-elle une fin ou un moyen ? Si on estime qu´on a perdu la main, soit on renonce à l´objectif de mixité sociale, soit on ne renonce pas et remet les choses dans le bon ordre. En 2013, les inspecteurs généraux ont remis un rapport sur l´assouplissement de la carte scolaire. La moitié des conseillers généraux ne savaient pas que cette compétence avait été transférée en 2004, l´autre moitié n´avait pas jugé bon de prendre une délibération qui modifiait les secteurs, pensant que ça allait risquer de froisser l´Éducation Nationale. Et une toute petite partie s´est emparée de cette compétence pour modifier des secteurs.
Alors, on fait comment ? Qui fait quoi ? La mixité sociale comme enjeu de la Nation et de la République, tout le monde est d´accord. Mais quels moyens se donne la République pour administrer cette politique et pouvoir la contrôler et être à la hauteur ? La question se pose encore aujourd´hui sur l´adéquation du cadre juridique, réglementaire et administratif.
Carte scolaire et aménagement urbain
Laurent Visier a souhaité mettre en rapport ce qui est théoriquement possible avec la réalité du fonctionnement. Comment instaurer une carte scolaire durable ? Quels sont les critères qui doivent permettre de la faire vivre autrement ? Laurent Visier ajoute que la mixité à l´école n´est pas quelque chose sur lequel il faudrait revenir. Non. Elle vient du progrès, elle est profondément liée à la modernité et à la massification. C´est donc un problème nouveau ! Tout le monde y est confronté, tous les pays et on n´a pas trouvé la solution. Il y a un lien statistique entre l´appartenance sociale et les résultats scolaires ; on le sait depuis longtemps. Et ce qui est nouveau, c´est que celui avec qui je suis scolarisé, joue un effet sur mes résultats. (Exemple : rappel d´un exemple donné en plénière, un collège de Montpellier appelé « le collège des marocains »).
La carte scolaire et la sectorisation n´ont pas été créées pour être des outils de mixité au départ ! On ne fait pas de la mixité à partir de la carte scolaire. L´existence du privé en France suffit pour invalider l´idée que l´on pourrait faire de la sectorisation l´élément essentiel de production de la mixité. Le voisinage est important, le phénomène de régulation existe dans tous les pays et le contournement
François Deligné a souhaité intervenir sur les deux leviers qui favorisent la mixité à l´école, et tout particulièrement à l´école primaire, l´aménagement urbain et la carte scolaire. Et l´autre aspect qu´il souhaitait aborder, c´est la question de la sectorisation des collèges et de la difficulté d´être entendu.
Quand François Deligné, enseignant et élu local d´une ville de 30.000 habitants, à 25 kilomètres de Paris, avec 50% de logements sociaux, 50% d´accessions à la propriété, prend la parole, il met en avant la création de nouveaux quartiers prenant en compte la mixité. Cette conception de quartier, instaurant une véritable mixité urbaine, facilite grandement la mixité scolaire. Ce projet a été affiné au fil des années. Ensuite, un autre défi a été d´introduire de l´accession à la propriété dans des anciens quartiers pour créer de la mixité. D´autres leviers sont importants pour la carte scolaire, l´équilibre pédagogique (nombre d´élèves par établissement), la proximité du domicile, la prise en compte des fratries, l´aménagement urbain, … Mais lorsqu´il est question du collège, c´est beaucoup plus compliqué car les intervenants sont multiples : Conseils généraux et Éducation Nationale (pour les dérogations et l´assouplissement). Comment, en tant que maire et conseil général peut-on faire la même chose pour les collèges ? Au niveau départemental, bien souvent, il faut garder des situations acquises de communes qui avaient leurs prés carrés.
La Fcpe pour une gouvernance commune des sectorisations
Hélène Rouch a souhaité aborder le thème de la cohérence entre les sectorisations du primaire et du secondaire. Pour Hélène Rouch, porte-parole de la FCPE, la mixité impliquerait de passer de la massification à la démocratisation. La carte scolaire peut être une réponse à la mixité mais certainement pas la seule. Cela dépend des territoires. Et si on le considère comme un outil adapté, quelle mise en oeuvre prévoit-on ? Beaucoup d´acteurs interviennent sur la carte scolaire : les maires, les collèges (CG, inspection académique : dérogations et recours gracieux !), les lycées (le rectorat). On pourrait donc songer à une sorte de gouvernance commune, une instance globale, au moins jusqu´au collège, où élus locaux, principaux des collèges, directeurs des écoles primaires et parents d´élèves travailleraient ensemble. Ces instances iraient vers les parents pour des réunions d´informations, proposeraient des visites des établissements, … Pour les collèges ruraux uniques, on pourrait privilégier un bassin de vie. Suite à cette dernière proposition, Marie-José Torrero a rappelé que 87% des communes de France ont un seul collège.
Quelques exemples sur le terrain : avancées et difficultés rencontrées
La Principale du collège Jules Verne des Mureaux, à 30km de Paris, appelé « Le collège des Noirs » a évoqué la resectorisation qui vient d´être actée suite à un travail d´équipe avec les principaux des deux autres collèges de la commune et le Conseil Général. Cette initiative a été accompagnée d´un gros travail de communication avec les parents. Elle et son équipe éducative sont allées à la rencontre des familles puis les ont invitées aux portes-ouvertes du collège. Si, en janvier, on pouvait parler d´une levée de bouclier, en avril, les prises de parole des familles se sont transformées en initiatives d´aménagements des abords du collège par exemple. Tout le monde doit être fier de son établissement.
Thomas Lancelot, CPE au Lycée Jacques-Decour, ayant exercé auparavant dans un lycée industriel électrotechnique parisien de 400 élèves évoque l´absence de mixité : extrême ségrégation avec 80-85% de CSP défavorisés, 400 élèves garçons et deux filles, pas d´élèves « blancs ».
Jane Vennat, chargée de mission sectorisation au conseil départemental du Val de Marne précise que la mixité n´est pas forcément voulue par les municipalités ou par les familles. Elle prend l´exemple d´Ivry où dix réunions publiques ont été organisées mais ont été « sportives ». Sa mission a vraiment besoin d´outils pour travailler dans ce sens, pour mettre en place de la mixité. L´INSEE, le CG, le rectorat, l´inspection académique, la ville doivent mieux accompagner cette mission. Elle reconnaît qu´il s´agit de données sensibles mais qu´il est difficile de gérer la situation, de prendre en compte les flux d´élèves parisiens qui reviennent sur Ivry, par exemple, ou quand il est question de sectorisation temporaire avant la sectorisation définitive en 2020 à cause de la construction de deux nouveaux collèges.
Une principale adjointe, exerçant dans un collège des Yvelines, avant professeur des écoles, rappelle, elle aussi, qu´il faut associer les parents. Elle souligne ensuite le problème qu´un établissement n´a aucun intérêt à accueillir des enfants défavorisés. À part les établissements REP+, aucun moyen spécifique n’est attribué aux autres établissements. Ne faudrait donc t-il pas créer des quotas incitatifs et non pas coercitifs ? Exemple : accueillir 15% d´élèves défavorisés apporterait des moyens supplémentaires à l´établissement. Hélène Rouch soulève le problème de codes différents des élèves parachutés dans un établissement favorisé.
Abdoulaye Sangaré, adjoint à l´éducation à la mairie de Cergy, membre associatif, parent, membre d´une association de parents d´élèves au collège et au lycée de ses enfants, insiste sur la participation citoyenne. Pas de réforme, si on impose. On ne maîtrise pas les gens, le parcours locatif des personnes, … À Cergy, où 45% de la population ne paie pas d´impôts, où trois collèges sur quatre sont REP, et où cohabitent des gens de 140 pays d´origine différents, que fait-on quand on est parent et que l´on doit scolariser ses enfants ? On fuit dans le privé ou on s´investit dans le collège. Il s´est investi dans le collège et y a trouvé une communauté éducative mobilisée, et ça marche !
Enfin, Florence, chargée de mission sectorisation en Seine-Saint-Denis, rebondit sur ce que sa collègue du Val de Marne, Jane Vennat, avait stipulé : le processus de concertation est primordial pour que la sectorisation fonctionne. C´est un travail de longue haleine. Il faut travailler l´attractivité de l´établissement, s´intéresser à la sécurité routière et donc travailler avec la direction de la voirie. Elle revendique à son tour la nécessité des données pour construire, expliquer, convaincre, quitte à imaginer une mesure de confidentialité. La cohérence pédagogique est très difficile à prendre en compte du fait des capacités d´accueil différentes des écoles primaires et des collèges pour la répartition des effectifs.
Laissons à Choukri Ben Ayed le mot de la fin. Il évoque le deuxième volet, celui de l´implantation des établissements scolaires, le premier seulement ayant été abordé, l´affectation. Pour lui il faut le considérer davantage qu´on ne le fait. Il est à raccrocher au monstre institutionnel qu’est notre système. « Notre système éducatif n´a pas été construit pour produire de la mixité. » Voilà une dure conclusion provisoire…
Stéphanie Fizailne
C Ben Ayed : Pour une autre vision des populations reléguées
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