Peut-on vraiment utiliser Twitter pour goûter aux plaisirs de la littérature ? Comment alors intégrer dans les cours de français ce réseau social célèbre pour sa contrainte des 140 caractères maximum ? Céline Dunoyer, professeure de lettres au lycée Schuman à Charenton-le-Pont dans l’académie de Créteil, présente ici des expériences concrètes menées en classe autour des nouvelles, du roman et de la poésie. Elle éclaire ainsi de nombreux intérêts de la « twittérature » pour les élèves : pratiquer l’écriture plus souvent, découvrir que travailler son écriture peut vouloir dire ciseler la phrase (« en travailler chaque mot, chaque placement, réfléchir au rythme, à la ponctuation, penser à une chute, à une pointe »), montrer aussi aux élèves que ce que l’on écrit sur les réseaux sociaux peut être travaillé et doit être pensé… « De la musique avant toute chose », demandait Verlaine ? « De la culture avant toute prose », tweete ici, en bel écho, un lycéen !
Dans quel contexte pédagogique utilisez-vous Twitter ? Comment concrètement se passe l’entrée dans une telle activité ?
J’ai utilisé Twitter l’année dernière, dès le début de l’année, avec une classe de 2de, dans l’idée de faire pratiquer régulièrement l’écriture aux élèves. Il s’agissait d’abord de faire écrire les élèves souvent, et pour cela il me fallait imaginer des productions brèves, rapides à mener. En effet, au lycée, les activités d’écriture telles que le commentaire, la dissertation ou même simplement une partie de lecture analytique sont essentiellement des activités longues. Il me semblait nécessaire d’avoir aussi d’autres types d’activités pour pratiquer l’écriture plus souvent au sein même du cours. La brièveté même des tweets se prête justement bien à des activités courtes.
Utiliser Twitter en classe, c’est aussi choisir d’intégrer un outil que les élèves utilisent dans leur sphère privée et donc connaissent déjà pour un grand nombre d’entre eux. Cet élément, s’il facilite grandement la prise en main, pose aussi des questions sur le type de compte à utiliser en classe. Pour éviter tout débordement, les premières activités ont été menées uniquement avec un compte classe créé pour l’occasion et dont moi seule disposais des codes. Plus tard dans l’année, une fois la confiance mutuelle instaurée, la responsabilisation des élèves suffisante et les règles bien mises en place quant à l’usage d’outils personnels des élèves dans la classe, j’ai ouvert l’utilisation, pour une activité en particulier, aux comptes personnels des élèves parfois depuis leur smartphone car nous avions besoin d’une interaction entre plusieurs comptes par des réponses aux tweets du compte classe.
Vous avez en particulier mené une activité de twittérature autour du fait divers : quels étaient vos objectifs ? comment l’activité s’est-elle déroulée ?
Nous avons commencé l’année par un travail sur le fait divers afin de reprendre doucement contact avec les particularités de la langue écrite. J’ai d’abord demandé aux élèves de se raconter un fait divers et de l’enregistrer avec le dictaphone de leur smartphone. Ils devaient ensuite retranscrire exactement ce qu’ils avaient raconté, y compris les hésitations, les remords, les « euh… » et autres scories de la langue orale. Il fallait enfin réécrire ce fait divers sous une forme plus classique correspondant aux règles de la langue écrite. Nous en avons profité pour faire un petit cours sur les différences entre la langue orale et la langue écrite et rappeler les règles de base d’un devoir écrit scolaire.
Je leur ai ensuite donné un corpus de quelques unes des « Nouvelles en trois lignes » de Fénéon, comme par exemple : « Le professeur de natation Renard, dont les élèves tritonnaient en Marne, à Charenton, s’est mis à l’eau lui-même : il s’est noyé. » Nous avons travaillé sur la façon très stylisée dont Fénéon rédige ses faits divers à commencer par leur première caractéristique : la concision. Nous avons relevé ensemble divers effets de style, ce qui permettait de prendre conscience qu’un texte court n’était pas pour autant négligé et pouvait au contraire faire l’objet d’un travail d’écriture très exigeant.
J’ai alors demandé aux élèves d’écrire chacun un fait divers à la manière de Fénéon, en s’inspirant ou non du fait divers qui avait servi de point de départ à cette activité. C’est un travail d’écriture qu’ils ont mené à la maison pour prendre le temps de travailler suffisamment leur texte. Chacun est venu écrire son tweet dans un fichier texte commun puis nous avons lu tous ensemble chaque tweet et en avons commenté les effets stylistiques retenus. Parfois, les élèves ont proposé des modifications pour améliorer le tweet. La classe a enfin décidé si le tweet devait être publié immédiatement sur le compte de la classe ou non.
Une autre activité a porté sur le roman de Zola Thérèse Raquin : comment avez-vous exploité Twitter dans ce cadre ? qu’est-ce que cette activité a apporté aux élèves selon vous ?
L’étude de Thérèse Raquin se situait dans la continuité immédiate de ces activités sur le fait divers et entrait en résonance avec l’idée même du fait divers. Je cherchais une idée d’activité d’écriture à mener sur notre compte Twitter en relation avec cette étude. Le fait que le roman soit constitué d’un grand nombre de chapitres assez courts m’avait mis en tête de demander à chaque élève de prendre en charge un chapitre pour écrire un tweet sur ce chapitre. A cette époque de l’année, Canal+ faisait de la publicité pour sa nouvelle chaîne consacrée aux séries et avait une campagne d’affiches conçues autour de l’idée de « à suivre » et de suspense avec des phrases du genre : « La bombe est sur le point d’exploser quand tout à coup …». Cette campagne m’a inspiré l’activité proposée aux élèves.
Après avoir étudié ensemble plusieurs des affiches et en avoir mis au jour le fonctionnement, chacun devait écrire un tweet pour résumer l’élément essentiel du chapitre dont il avait la charge mais sans finir sa phrase afin de maintenir le suspense comme dans cette proposition : « Les nuits suivantes furent horribles. Les époux ne pensaient plus qu’à… » Les tweets produits ont été discutés en classe entière avant d’être publiés par mes soins sur le compte de la classe. Cette activité d’écriture a permis aux élèves de travailler sur la façon de ménager le suspense mais aussi de revenir sur la lecture du roman afin d’identifier chacun pour son chapitre l’événement majeur qui s’y déroule et fait avancer l’intrigue et de le présenter de façon extrêmement synthétique dans un tweet.
Vous utilisez Twitter pour travailler en particulier les compétences d’écriture : pouvez-vous expliquer et illustrer les intérêts spécifiques de ce site en la matière ?
Ecrire un tweet, c’est d’abord écrire un texte très court puisque le tweet est limité à 140 caractères. Pour bien des gens, écrire peu veut dire écrire sans travailler son écriture. Mais l’exemple très littéraire et très travaillé de Fénéon avec ses « Nouvelles en trois lignes » dont la plupart ne dépassent pas 135 caractères montre qu’il n’en est rien. La littérature ne manque d’ailleurs pas de textes pratiquant l’esthétique de la brièveté : aphorismes, pensées, devises, épigrammes, maximes, paraboles, sentences…
En écrivant des textes très courts, les élèves ont ainsi pu découvrir que travailler son écriture pouvait vouloir dire travailler une phrase unique et que cela impliquait d’en travailler chaque mot, chaque placement, de réfléchir au rythme, à la ponctuation, de penser à une chute, à une pointe. Ainsi, dans ce tweet à la manière de Fénéon : « Une femme est sortie de prison après 20 ans pour meurtre de ses enfants. Le père de cette femme aimait ses petits enfants, il a tué sa fille », on perçoit le travail du rythme de la phrase en cadence mineure et le soin de la chute. Au rebours de tous les clichés, le travail de la syntaxe peut prendre avec Twitter toute sa valeur. Quant aux figures de style, elles accèdent enfin au statut d’outils permettant de produire un effet sur le lecteur, ce qui rend les élèves plus sensibles au sens de leur utilisation dans les textes étudiés en lecture analytique.
Par ailleurs, la nécessaire brièveté des tweets peut aussi, quand l’activité d’écriture est menée en classe, être l’occasion de différencier le rythme de production des élèves : certains auront abouti leur écrit plus rapidement que d’autres et pourront alors faire plusieurs propositions ; les élèves ayant besoin de plus de temps pour écrire et mettre en forme leur tweet prendront ce temps nécessaire sans craindre de ne pas réussir à finir à temps.
Une autre activité menée sur Twitter avec les élèves s’intitule « Vous reprendrez bien un petit vers » : comment utilisez-vous Twitter pour susciter le plaisir, sinon l’ivresse, de la poésie ?
Cette activité d’écriture poétique au titre humoristique m’a été inspirée par une activité intitulée « Un hémistiche avec Twitter » proposée dans le complément en ligne du manuel Passeurs de textes 2de par Le Robert-WebLettres. Il s’agissait dans ce manuel de donner le premier hémistiche d’un vers aux élèves et de les laisser inventer le second hémistiche en respectant les règles de versification et d’éventuelles contraintes de formes.
Pour ma part, dans le cadre de l’étude de la poésie moderne, j’ai choisi d’utiliser Twitter pour inviter les élèves à écrire des vers complets. Cette activité a eu lieu en temps réel en classe et avec les comptes personnels des élèves acceptant d’utiliser leur compte dans le cadre du cours, en respectant bien les règles en vigueur dans la classe. Au cours de la séance, j’ai tweeté sur le compte de la classe des vers célèbres. Pour chaque vers, les élèves, en petits groupes autour du compte d’un élève abonné au compte de la classe, étaient invités à répondre à mes tweets en inventant le vers suivant, sans forcément rimer, mais en respectant le nombre de syllabes du premier vers. La contrainte métrique forte a obligé les élèves à mettre en pratique leurs connaissances en termes de prosodie pour ne pas se tromper dans le décompte des syllabes tant dans la lecture du vers donné que pour la production du vers suivant. Mais cette contrainte n’a pas empêché les élèves de prendre un réel plaisir à inventer des vers pour compléter ceux que je leur donnais comme on peut le voir dans leurs propositions, ainsi : « Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, » / « L’incompris, suis-je le seul à vouloir t’aimer ? » qui contient un bel affaiblissement de la césure ou « De la musique avant toute chose »/ « De la culture avant toute prose » pour lequel les élèves ont travaillé le parallélisme syntaxique.
J’ai mené par la suite une autre activité autour de la poésie surréaliste avec un principe assez similaire. J’ai proposé aux élèves, après avoir étudié avec eux ce qu’est le surréalisme, les quatre premiers vers de « Tu m’as trouvé comme un caillou… » d’Aragon dans Le Roman inachevé :
Tu m’as trouvé comme un caillou que l’on ramasse sur la plage
Comme un bizarre objet perdu dont nul ne peut dire l’usage
Comme l’algue sur un sextant qu’échoue à terre la marée
Comme à la fenêtre un brouillard qui ne demande qu’à entrer
Nous avons rapidement étudié la construction de ces vers, leur sens, l’univers créé par le poète, le rôle prépondérant des images. Les élèves devaient, en groupes, proposer une suite à ces vers en ne proposant que des vers commençant par « Comme ». Je ne leur ai donné aucune contrainte de longueur ni de rimes, mais, conformément aux vers d’Aragon, la consigne était de travailler les images. Libérés des contraintes de versification, les élèves ont pris un grand plaisir à créer à plusieurs, afin que chacun s’enrichisse des idées et des compétences des autres, à travailler et retravailler des images qui puissent entrer en résonance avec celles d’Aragon.
Comme un bijou transmis à travers les âges
Comme un épouvantail qui erre à travers les champs
Comme la lune cherchant son rayon de soleil
Comme une guitare n’ayant plus de cordes
Comme une cicatrice oubliée que l’on touche sans y penser
Ces deux activités d’écriture poétique ont particulièrement mis en évidence le goût de nombreux élèves pour l’écriture. Le cours de français donne habituellement plus de place à l’analyse littéraire et à des écritures souvent très analytiques qu’à des écritures plus libres. Or bien des élèves ne sont pas à l’aise avec ces exercices alors qu’ils aiment par ailleurs écrire, qu’ils ont parfois de très belles idées. Les activités d’écriture avec Twitter ont souvent permis à des élèves qui s’expriment peu en classe et qui ne sont pas en réussite dans les exercices de type bac de laisser s’exprimer leur côté créatif, un imaginaire parfois très libre.
De manière générale, en quoi vous semble-t-il intéressant d’utiliser les réseaux sociaux dans le cadre scolaire ?
Il me semble tout d’abord qu’il faut s’intéresser aux réseaux sociaux dans le cadre de l’enseignement parce que nos élèves en utilisent de nombreux et qu’il est nécessaire de les éduquer à de bonnes pratiques de ces réseaux en particulier en ce qui concerne le choix de leurs « amis », la visibilité ou non de leurs écrits et, en ce qui concerne Twitter, la maîtrise de ce qu’ils écrivent parce que tout écrit y est public puisqu’on ne peut choisir ses abonnés et donc susceptible de laisser des traces.
Il me paraît aussi important de montrer aux élèves que ce que l’on écrit sur les réseaux sociaux peut être travaillé. Twitter est pour cela un bel outil si on fait l’effort de dépasser les tweets inintéressants que l’on est tenté d’y produire et si on travaille ce que l’on va écrire en 140 caractères. Si j’ai utilisé Twitter pour son aspect bref qui favorisait des écritures plus fréquentes que lorsqu’on se lance dans un travail de plus longue haleine comme un commentaire littéraire, il m’a également permis, à cause de l’aspect bref des tweets, d’attirer l’attention de mes élèves sur la nécessité de soigner ses phrases même courtes, de les penser et de les retravailler sous différents angles. Les élèves ont compris que le format court propre à Twitter n’en était pas moins exigeant et que toute forme d’écriture méritait d’être soignée.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Des productions d’élèves en ligne
Le site de formation de Céline Dunoyer
Les activités Tice du manuel WebLettres Passeurs de textes