Professeur honoraire à Standford et spécialiste de l’histoire des technologies à l’école, Larry Cuban n’est pas un laudateur des technologies, ni un geek. Il s’intéresse à l’utilisation concrète de celles-ci et les observe dans leur capacité à répondre aux besoins des élèves, plus particulièrement ceux issus des classes populaires urbaines. Dans deux billets récents, il s’attache à une expérience d’enseignement en histoire où les élèves utilisent leurs propres outils numériques en classe (BYOD).
Lorsque la démarche du Bring-Your-Own-Devices (BYOD), en français PAP (« Prenez vos appareils personnels ») est apparue, c’est-à-dire la pratique consistant à utiliser ses équipements personnels (téléphone, ordinateur portable, tablette électronique) dans un contexte professionnel ou scolaire, Larry Cuban l’avait rejetée concernant le domaine de l’éducation pour trois raisons : premièrement, en raison des difficultés techniques (bande passante, gestion des différentes plateformes), deuxièmement en fonction de contraintes pédagogiques (par exemple, la distraction et le comportement hors-tâche, la gestion de classe) et enfin, en raison de la question de l’équité.
Depuis, l’utilisation du BYOD s’est développé en milieu scolaire états-uniens et Larry Cuban a voulu en savoir plus et en comprendre les raisons.
Ayant entendu parler d’une enseignante d’histoire utilisant le BYOD dans ses cours, il l’a contactée. Cette dernière qu’il nomme fictivement Sarah Denniston l’a invité dans son lycée de Californie du Nord. Son école compte près de 1800 étudiants répartis (50% d’élèves blancs et 50% issus des minorités asiatique et latino).
Près de 20% bénéficie d’aide en raison de leur pauvreté. Larry Cuban a répondu à son invitation, l’a observée enseigner en classe et a rédigé deux billets relatant cette expérience fort intéressante. Le premier relatait une leçon d’histoire. Le deuxième revenait sur la leçon et les avantages/inconvénients d’une telle démarche selon Larry Cuban.
Le contexte de travail de l’enseignante
Sarah Denniston utilise la démarche BYOD dans cinq de ses classes. Elle enseigne à plus de 150 élèves par jour. Larry Cuban est intervenu une classe de 26 élèves suivant un programme d’histoire européenne. Les élèves sont répartis par ilots de trois. Tous les élèves disposent soit de leur ordinateur, soit de leur tablette. Pour les élèves n’en disposant pas, l’école leur a fourni une tablette pour l’école et la maison. La leçon débute par un cours illustré de diapositives de 25 minutes, dispensé par l’enseignante. Concernant les mots inconnus des élèves, elle descend de son podium et les inscrits sur un tableau blanc. Les élèves écoutent et Larry Cuban les observe prendre des notes sur leurs appareils. Ils devront également compléter une fiche de travail numérique autour des notions de « conservatisme, libéralisme, nationalisme et romantisme ».
Les élèves ont ensuite une tâche à réaliser à savoir créer une présentation au format journal télévisé sur la France au milieu du 19e siècle. Pour réaliser la tâche, les élèves disposent de leur manuel, du matériel qu’ils auront trouvé sur l’Internet et de leurs notes de cours. Deux élèves sont volontaires et présentent leur travail sous la forme d’un entretien entre un propriétaire d’usine du milieu du 19ème siècle et un ouvrier. Les deux élèves effectuent leur présentation à l’aide de leurs tablettes et du script qu’ils ont écrit. La classe continue ensuite de travailler qu’ils termineront comme devoir pour la prochaine fois.
A l’issue de cette période, Larry Cuban constate que l’enseignement par BYOD fonctionne dans cette classe. Le dispositif technique mis en place par l’école a fonctionné, sauf pendant un bref moment. On retrouve le flux des activités familières d’une classe d’histoire de lycée (cours magistral, prise de notes, fiches, travail individuel ou par groupe, mise en commun) et aucun des élèves n’était hors-tâche. L’utilisation de la technique par Sarah Denniston améliorait la leçon donnée.
Les avantages d’un enseignement de l’histoire BYOD
Après la leçon, Larry Cuban a eu l’occasion de discuter avec Sarah Denniston et de comprendre sa philosophie de l’enseignement à l’aide de la technologie.
Sarah Denniston est préoccupée par les questions d’équité et de résoudre les difficultés techniques et pratiquent accompagnant généralement l’utilisation de la technologie en classe. Elle est un défenseur du BYOD, car chaque élève a un accès égal à la technologie et elle croit que son enseignement est meilleur parce que les élèves apprennent plus à l’aide du numérique. Les outils technologiques lui ont permis à elle et à ses élèves de collaborer, de faire des devoirs, d’écrire et de réaliser des projets. Ainsi, l’utilisation constante de Google Docs a permis de développer la coopération entre élèves et aide Denniston à suivre le travail d’écriture des élèves ainsi que les remédiations. Pour Denniston,
« Le BYOD me permet d’être instantanément à l’écoute des besoins de l’élève. S’il y a un problème avec la leçon que je l’ai, je peux corriger instantanément et tout le monde obtient les changements immédiatement. Il permet aussi pour moi de réviser les leçons avec beaucoup plus de régularité et permet une meilleure circulation du travail de remédiation de mon curriculum. »
Parmi les autres avantages relevés, il faut noter que chaque élève a accès à un dispositif et peut l’utiliser à la fois à l’école et à la maison. Près de cent pour cent des étudiants, dit Denniston, ont accès à Internet à la maison. Aucune fracture numérique n’existe dans cette école secondaire. Chaque étudiant apportant une tablette ou un ordinateur portable à la maison, les questions de vol sont en diminution et la responsabilité personnelle augmente. Le coût d’équipement de chaque élèves est moindre puisque l’école ne fournit une tablette qu’aux élèves ne disposant pas d’un dispositif personnel.
Les inconvénients d’un enseignement d’histoire BYOD
Après quelques années d’utilisation dans ses cours d’histoire, Denniston voit quelques inconvénients néanmoins du BYOD:
1. Les difficultés techniques. Même avec tout l’aide de districts spécialistes de la technologie, le réseau « plante ». Denniston dit que les échecs de cette année sont beaucoup moins nombreux que l’année précédente mais ils se produisent néanmoins.
2. Les distractions pour les étudiants (textos, Facebook ou Instagram) restent nombreux et la gestion de classe doit les prendre en compte (circuler dans la classe, observer ce que les élèves font à l’écran, …).
3. La pratique du couper/coller augmente en classe.
L’avis de Larry Cuban
Après avoir vu Sarah Denniston à l’œuvre, Larry Cuban a eu la preuve que le concept de BYOD peut fonctionner. Il a donc évolué sur ce point suite à cette preuve par l’acte. Il reste réservé cependant d’une généralisation à tous les établissements et plus particulièrement concernant les établissements en zone urbaines lorsque leurs élèves sont très majoritairement issus des minorités et des classes sociales pauvres.
Ayant eu l’occasion d’observer de tels écoles à Cleveland et à Washington D.C., il notait en 2014 que si la plupart des étudiants ont des téléphones cellulaires, à chaque école interdit leur utilisation en classe. Tous les élèves ne disposent pas d’un accès internet à la maison ou à proximité de l’école. La facture numérique parait ici infranchissable à Larry Cuban.
Pour celui-ci, les partisans du BYOD ignorent généralement la question de l’équité dans l’accès à la technologie dans les écoles et ferment les yeux sur la fracture socioéconomique existant aux Etats-Unis. Enfin, la question de savoir si les élèves apprennent plus, plus vite et mieux au moyen du BYOD reste ouverte.
Les deux billets de Larry Cuban
A History Class Using Bring-Your-Own-Devices (BYOD) | Larry Cuban on School Reform and Classroom Practice : https://larrycuban.wordpress.com/2015/04/29/a-history-class-using-bring-your-own-devices-b
A History Class Using BYOD (Part Two) | Larry Cuban on School Reform and Classroom Practice : https://larrycuban.wordpress.com/2015/05/01/a-history-class-using-byod-part-2/