Faut-il concentrer els moyens sur des écoles spéciales pour les plus pauvres ? Faut il une pédagogie officielle pour ces enfants ? Doit-on transférer des moyens du lycée vers le primaire ? Jean-Paul Delahaye revient sur les points les plus importants de son rapport.
Adapter l école à la grande pauvreté c’est une question pédagogique ou de moyens ?
Il ne s’agit pas d’adapter l’école à la grande pauvreté mais de faire réussir tous les élèves, c’est-à-dire de faire en sorte que, quel que soit leur milieu d’origine tous les enfants de ce pays maîtrisent le socle commun de connaissances, de compétences et de culture à l’issue de la scolarité obligatoire.
Parce que les enfants en situation de grande pauvreté ont des fragilités qui les empêchent d’entrer sereinement dans les apprentissages (comment bien apprendre quand on a des difficultés pour se loger, pour se nourrir, pour s’habiller, pour acheter le matériel nécessaire aux études, pour se divertir et se cultiver?), il faut un e concentration accrue des efforts et des moyens en direction des élèves et des territoires les plus fragiles, condition nécessaire pour une égalité des droits.
Ainsi, une action sociale plus forte doit être conduite en faveur de ces enfants et adolescents. L’école fait en effet face à une dégradation de la situation sanitaire et sociale touchant au moins 1,2 million d’élèves. L’engagement des personnels et des partenaires de l’école confrontés à ces difficultés est réel, mais les réponses apportées tant par l’État que par ses partenaires ne sont pas suffisantes. Nous en donnons plusieurs exemples dans le rapport, notamment le montant des bourses de collège loin d’être à la hauteur des besoins, des fonds sociaux qui ont scandaleusement servi de variable d’ajustement budgétaire, de 2002 à 2012, le manque des personnels de santé et sociaux, l’engagement réel mais inégal des collectivités territoriales.
Mais, même en supposant que des réponses plus satisfaisantes soient apportées aux problèmes sociaux empêchant les enfants des familles pauvres d’apprendre, nous n’aurions fait qu’une partie du chemin pour la réussite de tous. Car l’augmentation insupportable des inégalités au sein de notre école est aussi, et est surtout, la conséquence des choix faits dans l’organisation même du système éducatif. La question est donc aussi et surtout pédagogique. Les pauvres ne veulent pas d’une école organisée à part pour leurs enfants, ils veulent une école pour tous, c’est-à-dire une pensée pour leurs enfants aussi et pas seulement organisée pour sélectionner.
Vous recommandez une pédagogie explicite. Elle est souvent confondue avec la défense du cours magistral. En en faisant une pédagogie officielle ne prenez vous pas un risque ?
Les« enfants pauvres » ne sont pas de « pauvres enfants », aussi ne s’agit-il pas d’en rabattre avec les exigences scolaires. Être exigeant scolairement avec eux, c’est les respecter. Toutefois, ces mots doivent être bien compris. L’exigence est la recherche de l’activité intellectuelle qui fait progresser dans la maîtrise des connaissances et des compétences. Et elle impose de la rigueur. Mais l’exigence ne consiste pas à imposer des activités formelles difficiles à comprendre sans en donner les clefs, considérant que celles-ci doivent être déjà là quand l’élève rentre dans la classe.
Il ne s’agit pas, dans le cadre de ce rapport, de décrire ce que serait une pédagogie idéale ou officielle pour la réussite de tous et donc pour les enfants des familles pauvres. La diversité des approches possibles et des chemins pour assurer la réussite de tous interdit tout dogmatisme en la matière et appelle à la retenue. Grâce aux acteurs de terrain et à la recherche, les principes d’organisation et de fonctionnement de l’école plus favorables que d’autres à la réussite de tous sont perçus relativement clairement et depuis longtemps. Notre école est pleine de ressources, la question est de savoir comment généraliser ce qui marche, comment lever les blocages, comment passer de « l’innovation à la transformation ».
Précisément parce que les chemins de la réussite sont multiples, notre rapport ne comporte pas de préconisations pédagogiques au sens habituel du terme. Les enseignements tirés des visites de la mission, des auditions d’experts, des contributions des chercheurs et des travaux des inspections générales, permettent néanmoins d’identifier quelques conditions d’organisation et de pilotage pour favoriser la réussite de tous les élèves, sans prétention à l’exhaustivité. Il n’y a en fait rien d’extraordinaire ou de nouveau à mettre en œuvre. Le plus difficile est de coordonner une politique publique pour la réussite de tous les élèves à partir de ces différents points d’attention.
Et, effectivement, parmi ces points d’attention, et quelle que soit la démarche retenue (cous magistral dialogué, exercice autonome, etc.), il y a celui qui consiste à veiller à ce que les élèves aient toujours une claire conscience des buts des tâches scolaires (ce qu’ils ont à faire), des apprentissages visés (ce qu’ils vont apprendre), des procédures utilisées pour apprendre, des progrès qu’ils vont réaliser, etc. C’est ce qu’on appelle en effet une pédagogie explicite qui n’est en rien une « pédagogie officielle » mais qui n’est qu’un des fondements du métier d’enseignant, qui s’apprend en formation initiale et qui se perfectionne en formation continue, notamment grâce à la recherche.
Vous invitez à « oser une inégalité de moyens ». Mais c ‘est déjà ce qu’ annonce le ministère avec la politique d’affectation des moyens et l’éducation prioritaire. Faut il aller plus loin ? Renforcer les moyens des Rep ? Augmenter leur nombre ?
Les nouvelles modalités d’attribution des moyens en fonction de critères sociaux, la relance de l’éducation prioritaire avec 350 millions d’euros supplémentaires, la priorité à l’école primaire qu’il faut maintenir, sont des axes essentiels pour réduire les écarts de réussite dans notre système éducatif. Ces moyens nouveaux permis par la création de 54 000 postes jusqu’en 2017 marquent l’engagement déterminé de la Nation en faveur de son école dans un contexte budgétaire que tout le monde connaît.
Mais tant que les conditions d’enseignement de certaines écoles et établissement demeureront aussi difficiles, il y aura nécessité d’un accompagnement encore renforcé. Une des priorités, par exemple, est d’affecter des enseignants bien formés et expérimentés dans les écoles et établissements difficiles et cela représente un investissement financier. De la même manière, la question des effectifs d’élèves scolarisés dans les classes des écoles et des établissements qui connaissent des difficultés particulièrement importantes ne peut être éludée.
La mission a pu observer à la fois combien était essentiel pour la réussite de tous un effectif par classe adapté aux difficultés rencontrées, mais aussi combien étaient sans effets des effectifs réduits sans évolution des pratiques pédagogiques. Aussi, l’effort de solidarité supplémentaire qu’il conviendrait d’accomplir pour donner des conditions d’enseignement et d’apprentissage plus favorables encore devra s’accompagner d’une réflexion pédagogique offrant toutes les garanties d’efficacité dans le cadre d’une contractualisation avec les autorités académiques.
Faut il reformer le lycée et affecter une partie des moyens vers le primaire ?
Le rapport évoque deux marges de manœuvre à explorer pour compléter l’effort de la nation et engager un effort supplémentaire de solidarité pour la réussite de tous les élèves. Il y a d’abord les moyens qui pourraient être libérés par la suppression du redoublement et le rapport suggère de prévoir de réaffecter une partie des économies réalisées par la suppression progressive du redoublement au financement pérenne d’actions pédagogiques d’accompagnement des élèves les plus en difficulté dans les écoles, les collèges et les lycées.
Il y a ensuite les moyens qui pourraient être dégagés par un rééquilibrage des dotations en postes entre les degrés d’enseignement. La situation de notre pays est bien connue : nous avons, par rapport aux pays qui nous sont comparables, un second cycle plus coûteux de 15 %, et une école primaire moins bien dotée, de 15% également. Notre rapport suggère de prévoir de rééquilibrer les dotations budgétaires au sein du système éducatif de manière à concentrer les moyens disponibles en direction de l’école primaire en effet, mais aussi à mieux doter les collèges et les lycées qui accueillent une part importante d’élèves ayant besoin d’une attention particulière en raison de leur situation sociale.
Vous invitez a renforcer l’éducation prioritaire. Mais pour être efficace faut il éduquer à part les enfants des quartiers populaires ou courir après la lune d’une mixité sociale dont, semble t il, les Français ne veulent pas ?
La mixité sociale profite à tous les élèves. On sait que quel que soit le type d’établissement, les élèves issus des catégories favorisées réussissent le mieux, ce qui ne surprend pas. Mais on sait aussi que les élèves issus des catégories défavorisées réussissent mieux lorsqu’ils sont scolarisés dans les établissements dont la mixité est la plus forte. La question peut aussi être posée de cette manière : dans l’école de la République, une partie de la population scolaire peut-elle être longtemps tenue à l’écart et se voir condamnée à des scolarités courtes ou incomplètes conduisant au décrochage sans poser de problèmes à la République elle-même ? Quelle société préparons-nous si nous ne parvenons pas à faire vivre et à faire apprendre ensemble, au moins pendant le temps de la scolarité obligatoire, dans des établissements hétérogènes, toute la jeunesse de notre pays dans sa diversité ?
En 2012 et 2013 vous avez été a la tête de l’Education nationale. N’aurait il pas fallu alors commencer la refondation par cette question de la grande pauvreté ?
Mais précisément la loi de refondation commence par cette question! C’est le sens de la nouvelle rédaction de l’article L. 11. 1 du Code de l’éducation qui stipule que l e service public de l’éducation « reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. »
Et je vous rappelle que le rapport annexé à la loi fixe des objectifs précis au système éducatif : « Les objectifs fixés par la nation à son école : une école à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun. La refondation de l’école doit en priorité permettre une élévation générale du niveau de tous les élèves. Les objectifs sont d’abord de nature pédagogique :
[…] ― réduire à moins de 10 % l’écart de maîtrise des compétences en fin de CM2 entre les élèves de l’éducation prioritaire et les élèves hors éducation prioritaire […]
― diviser par deux la proportion des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification et amener tous les élèves à maîtriser le socle commun de connaissances, de compétences et de culture à l’issue de la scolarité obligatoire […] ».
Notre mission « Grande pauvreté et réussite scolaire » prolonge donc la loi de refondation car elle offre l’opportunité de rappeler pourquoi il y a nécessité de refonder l’école et pour qui. En réalité, c’est la même question. Savoir pourquoi refonder, assurer la réussite de tous, c’est aussi déterminer pour qui refonder. Si refonder l’école, c’est corriger les inégalités au sein du système éducatif, alors refonder l’école, c’est faire réussir les plus pauvres. La refondation concerne bien sûr tous les élèves et il n’est pas question de réduire les écarts en baissant le niveau des meilleurs. Refonder l’école, ce n’est pas niveler par le bas, c’est élever le niveau de tous en centrant l’attention du système éducatif en priorité en direction des plus fragiles, ceux dont les destins scolaires sont liés à leur origine sociale. Et tout le monde y gagnera, y compris les élites, dont la base sociale est trop étroite.
Propos recueillis par François Jarraud